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Critique de colimasson


Ça fait bizarre… Admettons par exemple que vous parliez à quelqu'un dans la toute majestueuse banalité du quotidien et d'un coup, vous chutez dans un monde régi par des règles spatio-temporelles différentes. Ou que vous marchiez dans la rue et que votre regard, passant par hasard sur un assemblage quelconque d'êtres humains et d'objets, s'accroche sans raison sur la scène pour vous envoyer une série de connexions métaphoriques dont vous n'arrivez pas à restituer le sens. Vous êtes resté le même, dans des situations identiques à celles que vous avez vécues des millions de fois auparavant (oui, la vie est absurde), mais votre interprétation s'est transformée. Vous rencontrez le sentiment de l'inquiétante étrangeté. Il passe très vite (est-ce un bien ou un mal ?), et on se retrouve à nouveau dans le quotidien crasse. Même si cette sensation ne dure que deux secondes, c'était suffisant pour que Freud en fasse un livre.


« Unheimlich » : le terme original employé par Freud fut traduit par Marie Bonaparte avec l'expression d'inquiétante étrangeté. « Unheimlich » s'oppose à « Heimlich », un mot qui désigne ce qui concerne l'intimité, le tranquille, le secret voire le sacré. En miroir, « unheimlich » peut signifier le sentiment d'angoisse et d'inconfort, consécutif peut-être à la perte du secret.


Freud distingue deux formes d'inquiétante étrangeté. La première est liée au retour du même, imperceptiblement transformé. Un objet de la pensée anciennement refoulé a laissé libre un affect qui, entre temps, en a profité pour se transformer en angoisse. Qu'on provoque le retour de ce refoulé, et voilà que l'angoisse se ramène à son tour La deuxième forme d'inquiétante étrangeté est plus particulièrement liée aux complexes infantiles refoulés.


La présentation de cette théorie se fait par morcellement de chapitres, la plupart se consacrant au thème de l'esprit créateur et des bénéfices de la création dans la résolution des affres de la libido mal assouvie. Quel est le rapport ? L'inquiétante étrangeté pourrait traduire notre compréhension de l'essence d'une oeuvre, constituée par l'angoisse évacuée par l'artiste à travers son acte de création. Celle-ci parvient jusqu'à nous pour nous troubler à notre tour, mais aussi pour nous faire éprouver le singulier plaisir de se sentir compris et entouré dans l'épreuve. Freud aborde Shakespeare, Goethe et Michel-Ange dans des exemples très documentés, laissant percevoir qu'il avait eu l'intuition de l'existence d'un inconscient collectif mythique au sein duquel nous viendrions piocher à notre insu avant Jung. Il dépoussière également des cas isolés et reculés qu'il laboure sur des dizaines de pages par pure masturbation intellectuelle –l'exemple d'un cas de possession d'un homme au 17e siècle est l'exemple parfait du plus laborieux de ces essais, où il faudra se coltiner pendant plus d'une dizaine de pages les élucubrations de Freud quant à savoir pourquoi le pacte avec le diable a reçu deux signatures alors qu'une seule aurait suffi. C'est le jeu de la psychanalyse : on laisse quiconque s'emparer de la moindre bagatelle pour lui insuffler du sens, trop de sens peut-être, mais peu importe tant que ça soulage au moins celui qui s'en fait l'interprète.


Ainsi Freud s'amuse, et c'est très bien… Il se laisse griser par son petit jeu de la psychanalyse et nous oublie sans tristesse. Alors qu'on a connu Freud un peu déprimé dans le malaise de la culture ou dans Totem et tabou, ici, il prend un plaisir incontestable à analyser ses oeuvres préférées et il nous parle même des bénéfices incomparables du jeu. L'inquiétante étrangeté se termine ainsi sur un chapitre consacré à l'humour : « Par l'humour, le surmoi aspire à consoler le moi et à le garder des souffrances ». Si l'inquiétante étrangeté te trouble trop, n'oublie pas de lui rire à la gueule.

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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