L'aube du soleil noir, tome 1

A quoi bon être guérisseur quand on ne peut même pas sauver ceux que l’on aime ?

Le notion de provisoire est la règle dans ce pays. Ce que l’homme décide de bâtir, un séisme peut l’abattre en un clin d’œil. Mieux vaut ne pas construire en dur – ou alors que cela soit temporaire – et faire le gros dos devant les colères de la nature.

Puis son esprit dériva vers d’obscurs confins, vers le merveilleux abandon du sommeil.

L’efficacité d’un sacrifice, avait écrit le Prophète, est proportionnel à la valeur de ce qui est détruit.
Et Ian Casca la connaissait fort bien, cette valeur, songea Damien amèrement. Tout comme il n’ignorait pas les conséquences de son acte. Si seulement quelqu’un avait pu l’arrêter…

Sur les murs s’alignaient des boucliers munis d’amulettes, témoins muets de cette période de ferveur désespérée durant laquelle les prêtres s’étaient engagés à la fois comme sorcier et soldats et étaient tombés en martyrs. Car la Forêt avait triomphé. Les créatures à qui l’humanité avait donné naissance durant son ère de violence avaient acquis une puissance bien supérieure à celle qu’une modeste armée de prêtres-sorciers pouvait espérer vaincre.

Votre ordre n’a pas été fondé dans le seul but de fournir des chaperons aux apprentis sorciers, révérend Vryce. Il existe des parce que des époques de violence requièrent parfois des actes violents. Et parce qu’un homme seul peut parfois réussir où une armée à échouer.

Vous êtes un homme singulier prêtre. Assez courageux pour affronter les démons de Kale, sans parler des arcanes mentaux vicieux des Rakhs… mais pas pour partager le feu d’un dae auprès d’un autre voyageur humain.
- L’êtes-vous vraiment ? demanda Damien sèchement
Tarrant se rembrunit légèrement. Ses yeux pâles se durcirent.
- Suis-je quoi ?
- Humain.
- Ah. Évitons-nous un débat philosophique, voulez-vous ? Disons que je suis né homme comme vous-même, mais quant à ce qu’un homme doit devenir… Nous ne sommes pas vraiment engagés sur des voies que nos mères auraient approuvées, n’est-ce pas ?
- C’est un euphémisme dans votre cas.

Il eut le sentiment d’avoir gagné des points dans une manche d’un jeu qu’il ignorait. Et il ne connaîtrait peut-être jamais les règles.

Des étoiles. Ce fut la première impression de Damien : un univers constellé d’étoiles servant de toile de fond à une multitude de lumières flottantes. La paroi concave du cratère mes cernait complètement et des myriades de petites lueurs vacillantes parsemaient la pente de toute part : lanternes, feux de cheminées ou de plein air, fanaux. Des lumières scintillaient le long du rivage, d’autres bordaient la cime du cratère, d’autres encore éclairaient les navires et les quais. Toutes se reflétaient dans l’eau ondulante du port et leurs milles réverbérations dansaient au rythme énergique des vagues. Ils se trouvaient dans un calice rempli d’étoiles, ils flottaient dans un sombre ciel d’été. La beauté de ce spectacle si insolite était à couper le souffle.

C’est le ciment grâce auquel il tient encore. L’ultime vestige encore vivant de sa condition humaine. S’il le laissait partir à vau-l’eau… Il ne serait plus qu’un démon sans âme. Mort, au regard de ses buts et de ses intentions. Un damné de votre enfer, dépourvu de volonté propre.