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Critique de 5Arabella


L'auteur met en garde ses lecteurs dans l'introduction : il aura plus qu'une synthèse cohérente, un recueil d'articles un tant soit peu disparate, « plutôt un atelier qu'un livre ». Il a une double ambition affichée, une interprétation historique de l'oeuvre, mais au-delà il espère que cette compréhension du contexte et des intentions de l'auteur pourront aussi nourrir le travail de comédiens et de metteurs en scène, et que cette interprétation historique pourrait aussi de cette façon permettre de faire revivre ces textes intensément pour les spectateurs d'aujourd'hui.

Les textes du livre dépassent en quelque sorte le cas de Corneille, même si ce dernier est un fil rouge, parfois un peu à l'arrière plan tout de même. Marc Fumaroli accorde une place centrale dans l'oeuvre du dramaturge à la formation reçue par ce dernier chez les Jésuites, leur vision du monde, l'idéologie, sont des éléments qu'il étudie parfois d'une façon très détaillée dans certains livres. La rhétorique latine selon les Jésuites, une éthique de la magnanimité, une théologie de la volonté libre, un rapport ambigu au théâtre, sont ainsi évoqués. Les liens avec les thématiques et pièces cornéliennes sont établis. Tout cela est parfois très complexe, terriblement subtile et demande sans doute plus d'une lecture pour en tirer toutes les richesse.

Je vais donc juste faire ressortir quelques idées qui ont ont tout particulièrement retenues mon attention, et qui ont suscité quelques réflexions personnelles, aussi hasardeuses soient-elles.

Le Dieu cornélien de Corneille est très différent des dieux grecs, ce qui change fondamentalement le rapport au tragique. Il s'agit d'un Dieux bon et juste, et non pas d'une force tyrannique qui pourrait condamner un innocent à un destin fatal. Il y a même l'idée d'une justice providentielle, qui permet au final au juste de triompher à partir de situations très compromises en apparence. Il y a beaucoup de dénouements heureux dans les pièces de Corneille, bien qu'elles soient nommées tragédies. On pourrait presque se demander comment le tragique est encore possible dans cette approche. Or il est réintroduit par la notion du libre arbitre. Dieu ne trame pas la perte de l'homme, c'est ce dernier, qui peut en quelque sorte choisir le mal, par faiblesse ou par orgueil. L'homme peut emprunter la voie de l'erreur religieuse, qui le pousse à la révolte, au désespoir et au désordre. La puissance politique est un autre danger, des hommes s'arrogeant les privilèges tyranniques des dieux anciens. le mal, et donc le tragique, gît dans l'homme, non pas dans le divin. L'homme a toujours la possibilité de l'abjurer, mais parfois il se laisse entraîner, il devient une force de destruction et d'auto-destruction, comme la Cléopâtre de Rodogune. le politique remplace chez Corneille le métaphysique comme moteur de la tragédie. Ce qui à mon sens lui donne une grande actualité.

Marc Fumoroli souligne aussi, à plusieurs reprises, le rôle du couple dans le théâtre cornélien. Corneille a la réputation d'avoir modifié les rapports amoureux dans la comédie en introduisant le modèle de la pastorale dans ses premières pièces. Mais ses couples de tragédie sont essentiels : Marc Fumaroli parle « d'une dramaturgie du couple ». L'amour est ce qui permet aux héros de se réaliser, de donner le meilleur d'eux-mêmes, dans un mouvement où les amants sont exemple et force d'entraînement pour leur partenaire. Même si au final, cela les mène à la mort. Mais la mort est parfois le seul possible si on ne veut pas se trahir. Marc Fumaroli dit « la quête de l'heureuse unité avec soi-même passe par la dualité du couple et aboutit en elle ». C'est le couple qui donne la force de résister au politique; à la violence, aux compromissions et à la perte de valeurs qui sont ses corollaires. Pour Marc Fumaroli « « les grandes âmes vont deux à deux à leur salut » . Il y a un aspect mystique dans l'amour chez Corneille, l'amour humain est une version sensible de l'amour divin.

Un livre très riche et complexe, à lire et à relire pour approcher le monde cornélien.
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