XI
CE soir, un chat a poussé la fenêtre tandis que j’écrivais, et tout à coup ses yeux ont été devant les miens. J’avais eu peur. Nous nous sommes regardés un moment, très silencieux, très fixes. Esprit bon ou esprit mauvais ?… J’hésitais entre l’envie de l’appeler sur moi et celle… Finalement, tandis que nous étions perdus dans une contemplation mutuelle, j’ai fait : Psshh !… Et il a détalé.
Je reste confondu par l’intensité du plaisir que j’ai trouvé, pendant quelques minutes, dans les yeux de ce chat. Je pense toutefois qu’on peut comprendre que les hommes trouvent plaisir à regarder les chats, mais quel plaisir les chats trouvent-ils à regarder les hommes ?… Plus j’y songe, moins je puis imaginer que celui-ci soit venu sans intention. À elle seule, la manière décidée dont il a poussé la croisée, dont il s’est introduit dans ma chambre, aurait dû m’avertir : il avait l’allure, la démarche des êtres qui accomplissent une mission. Ce regard, je l’ai déjà rencontré ailleurs, c’est la seconde fois qu’il m’atteint. Je revois maintenant cette grande salle d’auberge, toute vide, dont nous savourions la fraîcheur après des heures de marche sur la route ensoleillée, et où nous écoutions le bruit régulier de l’horloge au balancier de cuivre. Un chien, un grand berger allemand, poussa la porte, sans bruit, s’avança vers nous, avec cette absence d’hésitation si étonnante chez un animal et, s’asseyant devant elle, devant l’Amie, de l’autre côté de la table, à distance, se mit à la regarder patiemment, en plein visage, comme s’il la connaissait, ou comme s’il voulait l’avertir de quelque chose… Il n’avait eu ni un jappement, ni un aboiement ; pas un son ne sortait de sa gorge, et une telle gravité dans l’attitude nous en avait tout de suite imposé. Au bout d’un long moment, il partit comme il était venu… Nous dûmes attendre longtemps encore avant de pouvoir toucher nos verres. Je connais beaucoup d’imbéciles qui riraient s’ils lisaient ceci.
Je ne sais encore d’où viendra le salut, mais j’irai jusqu’au bout de mon effort, jusqu’aux limites de mon appel ; je ne renoncerai pas.
On finit par découvrir dans Paris tout ce que l’on veut, et de même qu’un mois plus tôt j’avais trouvé mon grenier à penser, ma cage à poésie, ma rue profonde, j’ai trouvé, cette fois encore, à peu près ce que je désirais.
Il faut une bonne santé pour écrire des vers. C’est pourquoi les poètes meurent jeunes.
Tous ces hommes se ressemblaient, mais chacun avait une vie à lui, des pensées, des souffrances à lui, que n’effaçait pas la similitude des gestes.
L’escargot, a au moins cet avantage sur l’habitant des villes, c’est qu’il ne sort pas de sa coquille…
Les poètes sont des gens qui sont, ou se croient chargés de nommer les choses, d’épeler l’univers.
Les poètes sont des gens qui essaient de rendre un peu de brillant à ces pièces si usées, qui essaient de leur restituer un peu de leur valeur originelle. De temps en temps, il leur arrive même de fabriquer des pièces neuves.
Mots ! Quoi de plus vain que cette matière sans cesse rebrassée, sur laquelle nous prétendons travailler sans péril et nous arroger tous les droits ?…
Tu es poète. N’aie donc pas peur de perdre du temps. Toutefois, flâne le long des quais plutôt que d’écrire des choses inutiles…