Citations sur La rue profonde (24)
Les journées sont toutes différentes, séparées. Mais les nuits sont unies, les nuits sont toujours la nuit, la même ; il n’y a qu’une seule nuit, au fond de laquelle nous retombons chaque soir comme des noyés.
Les mots, sont comparables aux pièces de monnaie, qui servent aux échanges. Il arrive un moment où, par suite des frottements, d’un emploi trop fréquent, ils s’usent, ils cessent d’être vivants…
— Vous parlez comme dans un roman, dit-elle.
— Ce serait un mauvais roman qui débuterait d’une façon aussi romanesque. Seule la vie a le droit d’être comme un roman, ne le saviez-vous pas ? Ignorez-vous les lois des compositions artistiques ? Que de choses j’entrevois à vous apprendre !
Ainsi la matière affinée, fatiguée par le travail de l’eau, par les frottements, a produit ce résultat incroyable, – la pureté même. Pureté qui fait de cet objet une pierre de touche, et rend grossier tout ce que l’on tenterait d’en approcher.
N’insistez pas, je vous en prie, mes soirées sont prises. J’ai rendez-vous avec quantité de façades déchues, de cafés déserts, de fenêtres closes, de canaux obscurs et de ruelles insipides où personne ne m’attend, mais où je suis pressé d’aller, pressé d’attendre, pressé d’écouter le temps qui passe.
Je pense toutefois qu’on peut comprendre que les hommes trouvent plaisir à regarder les chats, mais quel plaisir les chats trouvent-ils à regarder les hommes ?…
Hélas, je ne commande pas aux images. Elles rôdent, elles viennent sans être appelées. Et il y en a dont j’ai peur ; il y en a qui s’emparent de moi avec un excès d’intensité qui ne me laisse pas libre.
À deux, on n’est jamais perdu. Même au plus fort de la discorde, l’un est à l’autre cette rive aimée ou détestée dont on se rapproche ou dont on s’éloigne, mais qui crée une valeur positive de bonheur.
Vous avez beau déplier votre journal, vous informer de la chute des gouvernements, lire le nom des ministres qui succèdent aux ministres, prendre connaissance du verdict qui absout l’empoisonneuse, ou du procès que la célèbre Mira Miranda intente à un brutal qui lui écrasa la phalange, – l’ombre monte, et rien n’arrêtera le mouvement des astres.
Personne, dans le petit nombre de ceux qui me lisent, ne soupçonne ce que me coûtent de travail ces minces écrits qui paraissent, de loin en loin, sous un nom encore sans éclat.