Il en faut du souffle pour venir à bout de cette dernière oeuvre , publiée16 ans après la mort de l'auteur .
Surtout qu'il ne s'y passe rien , amateurs d'aventures passez votre chemin .
A moins que vous ne fassiez partis de ceux qui vivent et considèrent la vie , même de peu , même dans ce qu'elle a de plus ordinaire et trivial , comme une véritable aventure .
C'est de cela dont il s'agit .
Mais comme l'ordinaire n'est rien moins qu'ordinaire et que celui qui prend le temps et le recul nécessaire pour l'appréhender sous ses différentes strates sera récompensé ou puni de sa perspicacité ,
Paul Gadenne nous offre un roman foisonnant , riches en réflexions fondamentales , de ces réflexions qui affligent autant qu'elles peuvent nourrir la ferveur de l'homme en quête de sens .
Nous suivrons
Didier Aubert dans son parcours de vie bref , intense et douloureux qui se terminera comme la passion du Christ .Ou presque .
Didier Aubert , en quête lui aussi . la quête de l'effacement , de l'oubli et de la transcendance . Nourri par des lectures de
Maitre Eckhart , Kierkegaard, Peguy et j'en passe , il n'a d'autres but que d'écrire un traité sur la vie des Saints .
Difficile comme tâche lorsque on est désespérément homme et soumis à toutes les souffrances terrestres . Et il a son lot dans le domaine : tuberculeux , pauvre et exposé à l'opprobre qui sévit toujours plus dès lors qu'on a la malchance de vivre dans les "hauts-quartiers " .
De là
Paul Gadenne nous offre quelques portraits représentatifs de cette société post-guerre où la bourgeoisie n'en finit plus de s'embourgeoiser . Au détriment du menu peuple bien sûr , il ne saurait en être autrement .Sous la bénédiction de notre Sainte Eglise priez pour nous . Et comme les accointances du pouvoir politique et du pouvoir religieux ne se sont jamais si bien portées , en ces périodes post traumatisme , où les fondations du système social se trouvent fortement ébranlées par toute l'horreur des années de guerres et ses atrocités , la canaillerie (ou bourgeoisie , c'est bonnet blanc et blanc bonnet chez Gadenne ) s'encanaille à qui mieux à mieux ,
Paul Gadenne ne fait pas de quartiers : Les personnages sont scrupuleusement analysés pour en faire sortir toute la noirceur et la perversité . Tous les mêmes , dans
les hauts-quartiers au delà de leur apparence souvent trompeuses hélas pour notre Didier qui , quoique en quête d'effacement , nous offre le paradoxe de l'homme en proie à ses désirs de renoncement et/ou d'élevation et ceux plus primaires de l'homme en quête d'amour , d'affection et de tendresse .
Affection et tendresse qu'il croisera , sans pouvoir les saisir , la quête d'absolu ne peut pas s'embarrasser bien longtemps de tout ce que cela implique d',engagement et d'enracinement terrestre . L'occasion de rencontrer l'amour et ses méandres à travers des personnages excessivement complexes ou simples dont on ne parviendra jamais à saisir le fond malgré les interminables pages d'analyse psychologique !
Finalement notre homme de l'effacement a bien des difficultés à atteindre son but , tant ses sentiments exacerbés le ramène à la vie, enchaîné par ce corps souffreteux mais violemment vivant , révolté , plein de sève et d'exaltation . Il est bien loin le chemin de la sainteté et c'est tant mieux car sa révolte douloureuse , son regard sans indulgence sur l'humanité , son audace libertaire pied de nez à tout pouvoir coercitif constitue l'essence même de cette oeuvre : Finalement l'insolence et la liberté de penser dans un monde d'hypocrisie , n'est-ce pas le début de la sainteté ?
Alors ...
Déjà prometteur avec
le jour que voici , une oeuvre de jeunesse hélas quasiment introuvable aujourd'hui ( merci la BDP ! ).
Enchanteur avec La
baleine , court récit métaphorique offrant multiples interprétations ,
Ténébreux et exigeant , hanté déjà par la culpabilité et la noirceur de l'humanité dans
La Plage de ScheveningenPaul Gadenne nous offre une dernière oeuvre encore différente , plus dense , plus douloureuse encore , dans un style d'une élégance rare qui n'est pas s'en rappeler l'écriture Proustienne , toutes proportion gardées , Dostoïevskienne dans ses obsessions .
En ces temps de folie et de fuite avant , voilà une lecture qui nous force à nous poser et à regarder sans complaisance le triste état de notre humanité .
On peut se demander pourquoi un format si dense , alors que ,emputé de quelques centaines de pages ,il aurait probablement trouvé plus de lectorat . Je ne peux m'empêcher d'y voir une forme expiatoire , pour celui qui fustigeait l'église et ses travers et qui pourtant était fortement empreint de tradition judéo-chrétienne . Façon aussi de mettre à l'honneur la notion de mérite : abruptement je dirais ....qu'il faut quand même se les farcir ces 600 ou 700 pages !