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Critique de VincentGloeckler


La littérature, lors même qu'elle semble s'éloigner de tout réalisme, nous offre quelquefois paradoxalement la vision la plus lucide de la réalité, une leçon critique nous révélant ce que celle-ci voudrait nous voiler. le roman du cubain Marcial Gala, Appelez-moi Cassandre, illustre pleinement ce pouvoir de l'imagination, jusqu'à l'exposer dans une sorte de mise en abyme, en donnant à son personnage principal cette capacité de voir ce que les autres ignorent, la face cachée d'une guerre sale et violente derrière les discours d'honneur et de gloire militaires, la misère des comportements humains derrière l'exaltation des valeurs morales et patriotiques, la pauvreté et la tristesse du quotidien dissimulés sous les slogans pleins de ferveur du régime.
Rauli est depuis son enfance un être à part, sensible et rêveur, amoureux de la poésie, un garçon à la beauté féminine. Méprisé par son père, raillé sans ménagement par ses camarades de classe, il est régulièrement habillé en fille par sa mère, qui entend ainsi ressusciter sa propre soeur disparue, allant dans ce délire jusqu'à appeler son fils Nancy… A dix ans, il découvre l'Iliade, dévorant si bien ce texte qu'il en emprunte la chair… et devient un de ses personnages, cette Cassandre douée du don de voir ce qui est invisible aux mortels et, en particulier, l'avenir. Rauli, désormais, est habité par cette seconde personnalité, qui resurgit à tout moment, donnant à son existence une dimension fantastique. Envoyé comme soldat en Angola, il subit le harcèlement d'un sergent et d'un autre homme de troupe, une grande gueule de Carlos, qui l'appelle Marylin Monroe. Mais il est aussi obligé de satisfaire les désirs du capitaine, ses fantasmes sexuels, la cruauté de leurs mises en scène. Pourtant, il sait, lui, Rauli-Cassandre, quel destin sera réservé à chacun, à quelle heure précise et de quelle manière son père, son frère, le sergent et le capitaine… et lui-même mourront ! Pourtant, il sait aussi, lui, que seuls les dieux, ceux de l'Olympe comme ceux de la Santeria, à Cuba ou en terre africaine, détiennent les clés de l'existence…
le récit est ainsi structuré par cette alternance entre les deux temps, celui de l'enfance à Cienfuegos et celui du théâtre de la guerre en Angola. le passage régulier d'une époque à l'autre, tandis que l'être-Cassandre de Rauli demeure, lui, inchangé, suscite de curieux échos entre ces étapes de vie, provoquant l'impression d'un éternel retour du désespoir, d'une inévitable répétition des mauvais tours du destin, une étrange étrangeté qui nourrit pourtant l'intérêt et le plaisir du lecteur. Evoquant autant le réalisme magique d'un Garcia Marquez que l'imagination baroque et le lyrisme d'un Alejo Carpentier, rejouant avec brio des drames mythologiques sur le terrain des farces tragi-comiques de la politique et des guerres de la fin du XXe siècle, l'écriture de Marcial Gala convainc comme un beau discours divinatoire. Et si, à votre tour, vous écoutiez cette Cassandre ?
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