Mon premier poème, je l'ai composé un après-midi ou la pluie tombait aussi doux que mes mauvaises pensées. Ces premiers vers étaient aussi ma première prophétie.
Je suis assis à regarder la mer.
À la maison, il est très tôt, tout le monde dort, alors
moi, je me suis levé, j’ai ouvert la porte et je suis sorti
sur le balcon. J’ai pris une chaise au salon pour être à
l’aise. J’ai dix ans et, comme c’est dimanche, je n’ai
pas école, je peux passer la matinée à regarder la mer,
un temps qui me semble infini, jusqu’à ce que j’entende
la voix de ma mère dans mon dos:
— Mais, Rauli, où tu t’étais fourré?
Je ne veux pas être ce Raúl-là, je le sens, je veux être
Cassandre, pas Raúl. Je ne veux pas qu’on m’appelle le
Sans-Os à l’école, je ne veux pas que ma mère m’appelle
Rauli, je veux passer beaucoup de temps à regarder la
mer jusqu’à ce qu’elle s’épuise dans mes yeux et ne soit
plus qu’une ligne blanche qui fait pleurer. J’habite à
Cienfuegos, une ville côtière au sud de l’île, je ne suis
pas encore ce guerrier de pacotille ici en Angola où il ne
pleut jamais, le capitaine ne m’a pas encore appelé dans
sa tente pour me dire:
— Déshabille-toi, on va jouer à quelque chose qui
va te plaire.
La terre rouge de l'Angola est pleine de fantômes.
- Les sorciers et les sorcières de l'Angola sont des dieux morts, dit le capitaine. Nous sommes venus ici pour implanter le marxisme-léninisme et mettre fin à l'exploitation coloniale.
Il dit cela en regardant une compagnie de jeunes soldats de la FAPLA qui viennent faire leurs classes chez nous. Ils comprennent à peine l'espagnol, mais ils hochent la tête, bien qu'ils sachent comme moi que les dieux sont vivants. Rien de ce qui a un jour vécu ne peut mourir, ils le savent.
(p.35)
J'aurais préféré que ce ne soit pas si violent, que mon âme s'envole plus haut, que nous puissions nous dire tout ce que nous ne nous sommes jamais dit quand tu me regardais avec ces yeux où brillait une secrète lumière que je parvenais à peine à déchiffrer.
'' Comme le cheval mort que la marée inflige à la plage.'' Jorge Luis Borges (en préface)