Éloge du courage

Quand on est captif, on peut avoir du courage. Dans ses preuves de vie – ces vidéos que les preneurs d’otages concèdent parfois à donner pendant la captivité –, Denis reste digne jusqu’à sa mort. Il sait que sa femme, ses parents et ses enfants, ses camarades aussi, vont regarder ces images. Il reste droit. Petite victoire sur ses geôliers que de faire croire à sa famille qu’il tient debout.

Ceux qui ne pleurent jamais mais qui tombent et qui dénoncent. Qui vendent leur âme. J’ai imaginé tout ça car mon père ne m’a jamais dit ce qu’il avait ressenti lorsque son dernier ami ne s’est pas relevé, lorsqu’il a vu les rats guetter ce malade à qui il avait promis, les yeux dans les yeux, de le ramener à sa fiancée.

Churchill a du courage. Mais son peuple, plus encore. Car il y a les bombardements, la peur, les jeunes hommes qui se préparent à partir au combat. Les élites critiquent souvent les (mauvais) réflexes du « peuple » qui n’a effectivement pas toujours raison. Mais, tout de même, les peuples trouvent parfois la force de dire : « We shall never surrender. »

Le courage, celui de la vie, c’est d’abord une impulsion qui balaye et emporte tout le reste.

On peut être courageux une seule fois dans sa vie, à 20 ans ou à 60 ans, sans avoir « fait son marché ». On peut être un salaud au quotidien pendant quinze ans. Mais avoir une fois, une seule fois, la force de risquer sa vie pour sauver celle d’un autre à qui l’on ne doit rien. Il n’y a qu’Ulysse, le temps de l’Odyssée, le temps d’une vie, qui se bat tous les jours pour retrouver Pénélope. Mais Ulysse, c’est l’épopée du vétéran, celui qui aspire à retrouver une vie normale.

La vie des gens n’est jamais linéaire. Rien dans son parcours ne poussait ce professeur d’économie très à gauche à défendre Maurice Genevoix, son beau-père. À mieux le faire comprendre. À ne pas le laisser enfermé dans sa case « écrivain des anciens combattants ». Maris se prend de passion pour Genevoix, jeune lieutenant d’infanterie, aux Éparges, dans la neige, le froid, la boue de la Meuse.

Tout cela n’a aucun charme. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je n’ai plus d’émotions. J’ai perdu ma capacité à m’émerveiller. Sur les terrasses de l’Est parisien, en Afghanistan, au Proche-Orient, quelque chose s’est cassé. J’y ai laissé un peu de moi-même.

Quelle est la force secrète qui pousse ce soir-là un policier sans gilet pare-balles, muni d’une simple arme de poing, à défier des fous ? Ce n’est pas seulement le sens du devoir. Mais l’humanité encore.

Je devine des fantômes qui se tiennent par l’épaule. Toujours ces regards de mères que je connais si bien. Ce père qui continue à chercher sa fille dans le métro et dans les hôpitaux un mois après le drame. Comment fait-on pour rester debout quand on vous demande de soulever un drap dans une morgue et de reconnaître un visage de 20 ans ? La jeune fille sur les terrasses est souvent là. Parfois, elle aussi me cherche.

Surtout pas d’empathie, d’autres ont besoin de moi. Rester efficace. Je suis officier des sapeurs-pompiers de Paris, je ne suis pas une victime, je dois intervenir. Je retrouve les procédures : je file alerter les secours avant de redescendre avec des civils. Ce sont eux les courageux. Ils ne sont pas formés, tout est chaos, odeur de sang et de chair brûlée.