Matilde a écrit à Otavia :
" Je dois te donner une de ces petites nouvelles bien mauvaises. Comme tu me l'as appris, pour le matérialiste tout est entendu. Ils viennent de me renvoyer de l'Usine, sans explication, sans raison. Parce que j'ai refusé d'aller dans le bureau du chef. Comme je ressens, mon amie, plus que jamais, la lutte des classes ! Comme je suis révoltée et heureuse d'être consciente ! Quand le gérant m'a mise à la rue j'ai senti toute la portée de ma définitive prolétarisation, si souvent remise à plus tard !
C'est fatal. C'est impossible que les prolétaires se révoltent pas. Maintenant, oui, je ressens toute l'injustice, toute l'iniquité, toute l'infamie du régime capitaliste. J'ai qu'une chose à faire, lutter bec et ongles contre ces canailles de la bourgeoisie. lutter à côté de mes camarades d'esclavage. (p. 95)
En ville, les théâtres sont pleins. Les palais dépensent en tables copieuses. Les ouvrières travaillent cinq ans pour gagner ce que coûte une robe bourgeoise. Elles doivent travailler toute leur vie pour acheter un berceau.
– Ils tirent tout ça de nous autres. Notre sueur est transformée tous les jours en champagne qu’ils jettent par les fenêtres !
-- Camarades !
L'impérialisme se défend ! Chaque impérialisme envoie son opium pour tromper notre jeunesse inconsciente. Ce qu'ils veulent c'est étouffer la révolte qui mène les exploités à la lutte.
Les Etats-Unis envoient le cinéma. L'Angleterre, le football. L'Italie, le curé. La France, la prostitution.
– On a pas le temps de connaître nos enfants !
Séance d’un syndicat régional. Des femmes, des hommes, des ouvriers de tous les âges. De toutes les couleurs. De toutes les mentalités. Conscients. Inconscients. Vendus.
Ceux qui recherchent dans l’union le seul moyen de satisfaire leurs revendications immédiates. Ceux qu’attire la bureaucratie syndicale. Les futurs hommes de la révolution. Révoltés. Anarchistes. Policiers.
Une table, une vieille nappe. Une cruche, des verres. Une cloche défectueuse. La direction.
Les policiers commencent le sabotage en interrompant les orateurs.
Dans le grand pénitencier social, les métiers à tisser se dressent et avancent en hurlant.
Bruna a sommeil. Elle est restée tard à un bal. Elle s’arrête et frotte avec colère ses yeux brûlants. Ouvre sa bouche cariée, baille. Ses cheveux frustes sont couverts de soie.
– Zut ! Comme ce dimanche est passé vite… Les riches peuvent dormir autant qu’ils veulent.
– Bruna ! Tu vas te faire mal. Regarde tes tresses !
C’est son compagnon à côté.
Le Chef de l’Atelier s’approche, lentement, mauvais.
– J’ai déjà dit que je ne veux pas de bavardage ici !
– Elle aurait pu se faire mal…
– Vauriens ! C’est pour ça que le travail ne rapporte pas ! Petite misérable !
Bruna se réveille. Le garçon baisse sa tête révoltée. Il faut la fermer !
Ainsi, dans tous les secteurs prolétaires, tous les jours, toutes les semaines, tous les ans !
Corina lit un bout de journal déchiré.Paupières tombantes, par manque de sommeil. Les poux et les puces se blottissent au sein du corps grêle. La paillasse jetée dans un coin de la cellule. La toile bleue de la jupe large. Les jambes bien faites, sans chaussures, brunes.
Elle les examine et les croise, frottant, sexualisée, les ongles qui lui ont poussé aux pieds sur la saillie du mur.
Elle palpe ses chairs dures
Si jolie, elle va vieillir toute seule en prison.