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Critique de Enroute


L'introduction est sobre et avance avec rigueur, doucement. J'apprécie les ouvrages qui posent leur sujet, qui ne s'enflamment pas vers la revendication, le militantisme, mais qui progressent pas à pas. Mais. Mais, mais, mais… ça ne dure malheureusement pas…

La méthode laisse à désirer, et le propos tourne en rond, s'embourbe et reste en surface, ne s'engage en rien et n'approfondit rien non plus, passant du consentement à la volonté, à la sociologie, à la relation sexuelle, au sado-masochisme, revenant au droit des contrats, citant la morale, étrangement omise quand il s'agit d'aborder le sado-masochisme, puis revient ici ou là sur le droit pénal (en général bien entendu), avant de citer tel auteur commenté depuis deux ou trois siècles un peu partout dans le monde et dont on s'avise à l'occasion que sa pensée rejoint opportunément la nôtre…

Pour finir, les chapitres sont nombreux à commencer par une reconnaissance d'incapacité à cerner la notion et la conclusion s'achève, en deux pages sur des avancées majeures (citées ci-dessous).

Avons-nous « consenti » à lire ce livre ? Difficile à dire. Disons que nous l'avons ouvert. Mais, au-delà de notre consentement, ce qu'a offert notre partenaire occasionnelle, malgré ses promesses, aura finalement été assez décevant.


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Elle part bille en tête sur le consentement et, en bonne enseignante aux États-Unis, commence par une définition stricte. Cette méthode anglophone (les contrats débutent toujours par des définitions, les philosophes analytiques revendiquent l'exposition en préambule de définitions) est déjà en soi contestable puisqu'elle relève d'une méthode singulière ; et puis n'était-ce pas le but de l'ouvrage que de parvenir à définir ce dont il est question ? Si la définition arrive en page 30, que va-t-on dire dans le reste de l'ouvrage et ne risque-t-on pas de se contredire ? Si, c'est bien ce qui arrive. Ainsi la définition proposée est à la fois très contestable quand elle surgit, mais en plus elle est systématiquement contournée, contredite, invalidée par la suite de l'ouvrage :

« Consentir, c'est donner à quelqu'un son accord sur quelque chose » (p.30) : pourquoi pas, ça reste assez général, si on pense que « quelque chose » est redondant : je peux consentir à reconnaître la validité de votre opinion, qui n'est pas quelque chose. Mais, même sans notre participation, la définition est contredite quelques pages plus loin : il est question du mariage et du droit des contrats. Les époux échangent leurs « consentements », les parties au contrat « consentent ». Ah, mais alors il y a une tierce partie dans cette histoire : quand je donne mon consentement pour me marier ou signer un contrat, suis-je certain.e de « donner à quelqu'un mon accord » seulement et pas en même temps à quelque autre ou quelque autre chose ? est-ce à mon conjoint que je donne mon accord pour l'épouser ? Dans ce cas, je l'ai déjà fait, sans quoi nous ne serions pas maintenant devant le curé ou le/la maire.sse : est-ce que ce ne serait pas à quelque chose, plutôt qu'à quelqu'un, que je donne mon accord, quelque chose comme l'Église ou la République au travers de son représentant légal et du système judiciaire ? Finalement, la définition : « Consentir, c'est donner son accord » serait suffisant.

Quelques lignes en-dessous, la définition, au contraire, est précisée : « Consentir est donc donner son accord à quelqu'un sur quelque chose, de sorte que l'on n'accorde par là un droit sur soi ou ses possessions ». Ah bon. « Consens-tu à me donner raison ? – J'y consens » ; « Consentez-vous à amener votre fils à l'anniversaire du mien samedi prochain ? – j'y consens » ; « Consentez-vous à ce que je le tue ? » demande l'amant à sa maîtresse, la lame de son épée sur la carotide de son rival « j'y consens » ; couic. Il n'est dans ces trois cas aucunement question « de droit sur soi ou ses possessions ». On en reste bien à ce que « consentir, c'est donner son accord ». On pourrait dire, outre donner son accord, que c'est, finalement, "engager sa (co)responsabilité".... ah, la situation change quelque peu...

Ce qui permet de se rendre compte tout de suite, sans attendre la page 227 (« L'homme propose, la femme dispose »), que pour consentir, ou « donner » son accord , il faut qu'on nous ait au préalable prié : « Voulez-vous… ? – j'y consens ». Ben oui, poser les relations sexuelles sous l'angle exclusif du consentement, c'est s'exonérer de poser qu'elles se déroulent sous l'effet de la volonté conjuguée des deux parties. Un corps peut-il exprimer sans entrave son envie d'un orgasme par un « je consens » ?... Il semble bien que la personne qui "consent" n'est par avance pas très intéressé.e… et répond surtout au désir insistant de l'autre : c'est dommage que ce ne soit non seulement pas du tout abordé dans cet ouvrage (la citation ci-dessus intervient 30 pages avant la fin…), mais surtout pas au début : la problématique est mal posée et révèle que l'autrice reste enfermée dans sa définition et dans ses idées (dénoncer le système patriarcal, alors qu'elle y est enfermée comme on va voir, et, quoi que son expression soit restée modérée dans l'introduction, transmettre son émotion, une indignation sans doute) sans chercher à résoudre un problème plus général qui s'aborde avec plus de distance : de quelle manière une relation sexuelle peut-elle être considérée comme ayant eu lieu sans avoir forcé les parties ? le consentement serait l'une des solutions dans le cas d'une sollicitation auquel il conviendrait de se limiter en indiquant expressément qu'on écarte toutes les autres solutions… parce que fondamentalement, je ne sais pas vous, mais moi, il n'est jamais arrivé qu'une relation sexuelle débute, d'un côté ou de l'autre (oui en se limitant à deux), par un très cordial « consentez-vous à… [ à quoi d'ailleurs ?... !!!] et que l'autre réponde, après mûre réflexion, bon allez « j'y consens »…

Ou passe alors le consentement, s'il est intérieur ; mais alors la définition selon laquelle c'est "donner son accord à quelqu'un" est totalement fausse, ce serait plutôt donner son accord à soi-même... Donc engager sa responsabilité... La sociologie aurait pu être davantage abordée...


Voilà, quand on a dit ça, on comprend que l'auteure reconnaisse être incapable de cerner son sujet : « Maintenant que nous avons établi l'ambiguïté de la notion de consentement » (début du chapitre 3, oui, oui « 3 » : il y en a bien eu deux avant sur le sujet…) ; « le concept de consentement est ambivalent » (début du chapitre 5, après 147 pages de réflexion) ; « L'impossible consentement sexuel » (dernier sous-titre du chapitre 5) ; « À l'issue de ce parcours sur les ambivalences du consentement » (début du chapitre 6, p.181) ; « le consentement ne remplit pas toutes ses promesses », phrase qui continue ainsi, enfonçant décidément le clou : « il ne nous permet pas d'effectuer clairement le départ entre sexe et viol » !!!!!!!! (début du chapitre 7, le dernier !!).

Ben zut alors ! à la fin du bouquin, non seulement on ne saura pas si consentement il y a eu, mais, si ça se trouve, il y a même eu viol sans qu'on le sache !!!!!!!!!!!!!!!!!!! on est déçu d'être moins savant à la fin qu'au début, mais on admire tout de même à quel point c'est beau la philosophie : on peut dire n'importe quoi.

Bon je passe sur les problèmes de méthode, ça ferait beaucoup, disons simplement que l'autrice (c'est pour lui faire plaisir, je pense qu'auteure doit lui déplaire) ne cite que des auteurs « libéraux » (Bentham et Stuart Mill), avec Kant, bien sûr, incontournable quand il est question de morale, ça tombe bien, c'est ainsi qu'on fait dans les pays anglophones (j'ai dit qu'ils étaient cités, je n'ai pas dit qu'ils étaient commentés), sans faire de différence entre le consentement en démocratie et le consentement sexuel, ni la place du libéralisme du XIXème siècle dans la société (mondialisée ? française ? américaine ?) contemporaine, ni expliquer pourquoi elle revient sur des questions de droit, déjà abordé en début d'ouvrage (sinon que, en effet, ce n'était pas réglé) ; qu'elle a bien eu l'intuition de se rapporter au droit et qu'elle note que le « contrat consensuel » demande le consentement des deux parties et que. Ah bah non, rien, fin du chapitre : elle n'a pas lu sa synthèse du droit des contrats jusqu'au contrat « d'adhésion », qui, pourtant, aurait bien pu nourrir cette idée que le consentement est inégalitaire et repose sur une partie plus forte que l'autre, à la façon des contrats des GAFAM (« votre vie privée est notre priorité, consentez-vous à nous transmettre vos données ? » - naturellement, j'y consens) ; et disons encore que j'ai éprouvé un fort étonnement que la question de la morale ait été abordée (en deux lignes) dans le cas d'une séduction un peu insistante qui mènerait un partenaire à « consentir » à une relation sexuelle, mais qu'il n'en ait absolument pas été question quand il s'est agi d'évoquer les pratiques sado-masochistes, dont la contractualisation des types de pratiques ne sert qu'à nourrir une réflexion mainstream sur des relations sexuelles en général, de manière très distante et très proprette, puisqu'il n'est d'ailleurs question ni de faire mal ni d'infliger intentionnellement la douleur mais d'évoquer un « mouvement de résistance à une sous-culture accessible à la culture populaire » : ah, alors, s'il s'agit de culture, bien sûr… Mais alors pourquoi était-il écrit en première partie que, justement, on ne pouvait se référer à ces pratiques où le consentement n'était pas reconnu par le droit pénal (qui ne reconnaît pas que vous ayez librement consenti à ce que l'on vous inflige la douleur) ? pas de réponse. Il s'agit de culture, on vous a dit, la morale et le droit n'ont rien à faire ici, n'oublions pas que nous parlons, sans trop savoir, de consentement, nous avançons dans l'ivresse de notre émotion.

Quant à la conclusion, après 230 pages, elle expose avec clarté la précision d'une pensée universitaire exclusive échappant à l'épaisseur cognitive des lecteurs à l'esprit confus qu'il s'agit par un ouvrage érudit d'éclairer : « Penser le consentement dans sa complexité permet d'aborder nos vies sexuelles dans toute leur épaisseur […] Cela permet de comprendre que la prostitution n'est ni du viol tarifé ni un travail comme n'importe quel autre [merci, je n'y avais pas pensé en effet] Que ce n'est pas la même chose de coucher avec quelqu'un lorsqu'on est ivre de quelques verres en fin de soirée que d'utiliser une personne qui a tellement bu qu'elle est à peine consciente pour avoir une interaction sexuelle [ah oui ? mince alors, si j'avais su, bon, je tâcherai de m'en souvenir la prochaine fois -] que […] ce n'est pas non plus la même chose d'avoir un mauvais rapport sexuel au sens où l'expérience a été décevante [comme de lire ce livre ?] que d'avoir un rapport sexuel mauvais au sens où notre autonomie et notre intégrité n'y ont pas été respectées » : c'est possible, mais, en y réfléchissant, je me demande si mon intégrité mentale et psychique a été respectée par cette autrice qui prétend avoir fait des études spécialisées et qui m'a pris de mon temps sans avoir pu réaliser sa promesse de m'instruire : suis-je en mesure de faire clairement la différence entre la déception liée à une expérience de lecture médiocre et l'agression exercée sur mon intégrité intellectuelle par quelqu'un qui a prétendu avec un beau CV et une belle couverture, mais sans méthode et sans pénétration, d'esprit, mais des aveux d'impuissance répétés, m'instruire ? Est-ce que, finalement, liée à la notion de consentement ne se trouverait pas celle de promesse et est-ce qu'au final, le sentiment de trahison ne serait pas à l'origine de la recherche de la notion de consentement, dans le but de mettre en évidence la supercherie de laquelle, malgré soi, et contre les éléments formels de la situation, on a fait l'objet par une personne qui serait alors assimilée à un.e escroc ? Une sorte de confiance trahie en quelque sorte ?… Voilà ce que, sans enfoncer des portes ouvertes, il serait intéressant d'approfondir.

Le dernier paragraphe s'achève sur une considération des plus sexistes, étonnamment pour un ouvrage dont l'un « des objectifs est d'étudier le patriarcat, entendu comme le système sociopolitique qui organise l'oppression sociale des femmes ».

En effet : « Cela nous montre enfin que les femmes sont particulièrement vulnérables dans la sexualité et que cette vulnérabilité donne aux hommes une responsabilité d'autant plus grande de s'assurer du consentement de leurs partenaires ».

Consternation.

Le féminisme et la lutte contre le système patriarcal passe donc par l'établissement définitif et principiel de la faiblesse de la femme devant l'homme qui en est responsable.

sic, sic, sic et resic.

La conclusion est donc bien que « L'homme propose, la femme dispose », prétendument dénoncée un peu plus tôt, et qui reste au contraire d'actualité ; madame est fragile, de corps et d'esprit, il faut en prendre soin ; en bon père de famille, sans doute. Non, avec de telles défenseur(e?euse?)s, le système patriarcal a encore de beaux jours devant lui.

Et puis, l'apothéose, pour qui a promis une expérience de lecture sur un sujet dont elle n'a décidément pas su trouver le point G, une ultime promesse : « le consentement sexuel apparaît comme un concept à manier avec précaution [avec galanterie, peut-être ?] mais qui porte en lui les PROMESSES d'une révolution sexuelle qui, CETTE FOIS-CI, serait une libération de toutes et de tous ».

La tête sur l'oreiller, l'acte accompli, il s'agit d'envisager (la cigarette au bec ?) la prochaine fois.

Après le marasme, une révolution.

Rien que ça.

Ca fait envie.

Des promesses, toujours des promesses.

Et bien, non, tant pis, pour la révolution, nous retirons notre consentement et ce sera sans nous.

Avant de claquer la porte, un dernier mot :

Merci pour ce moment.
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