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EAN : 9782080242365
300 pages
Climats (06/10/2021)
4.17/5   20 notes
Résumé :
L'affaire Weinstein et le mouvement #MeToo ont mis la question des violences sexuelles au premier plan. Depuis, le consentement renvoie naturellement au consentement sexuel et amoureux, envisagé comme un sésame de l'égalité entre femmes et hommes. Pourtant, il est bien difficile à définir, et soulève trois problèmes. Le problème juridique, bien connu de celles et ceux qui suivent l'actualité, peut être résumé ainsi : que faire pour que les cas de viol, d'agression e... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
L'introduction est sobre et avance avec rigueur, doucement. J'apprécie les ouvrages qui posent leur sujet, qui ne s'enflamment pas vers la revendication, le militantisme, mais qui progressent pas à pas. Mais. Mais, mais, mais… ça ne dure malheureusement pas…

La méthode laisse à désirer, et le propos tourne en rond, s'embourbe et reste en surface, ne s'engage en rien et n'approfondit rien non plus, passant du consentement à la volonté, à la sociologie, à la relation sexuelle, au sado-masochisme, revenant au droit des contrats, citant la morale, étrangement omise quand il s'agit d'aborder le sado-masochisme, puis revient ici ou là sur le droit pénal (en général bien entendu), avant de citer tel auteur commenté depuis deux ou trois siècles un peu partout dans le monde et dont on s'avise à l'occasion que sa pensée rejoint opportunément la nôtre…

Pour finir, les chapitres sont nombreux à commencer par une reconnaissance d'incapacité à cerner la notion et la conclusion s'achève, en deux pages sur des avancées majeures (citées ci-dessous).

Avons-nous « consenti » à lire ce livre ? Difficile à dire. Disons que nous l'avons ouvert. Mais, au-delà de notre consentement, ce qu'a offert notre partenaire occasionnelle, malgré ses promesses, aura finalement été assez décevant.


**** ******* ***************************************

Elle part bille en tête sur le consentement et, en bonne enseignante aux États-Unis, commence par une définition stricte. Cette méthode anglophone (les contrats débutent toujours par des définitions, les philosophes analytiques revendiquent l'exposition en préambule de définitions) est déjà en soi contestable puisqu'elle relève d'une méthode singulière ; et puis n'était-ce pas le but de l'ouvrage que de parvenir à définir ce dont il est question ? Si la définition arrive en page 30, que va-t-on dire dans le reste de l'ouvrage et ne risque-t-on pas de se contredire ? Si, c'est bien ce qui arrive. Ainsi la définition proposée est à la fois très contestable quand elle surgit, mais en plus elle est systématiquement contournée, contredite, invalidée par la suite de l'ouvrage :

« Consentir, c'est donner à quelqu'un son accord sur quelque chose » (p.30) : pourquoi pas, ça reste assez général, si on pense que « quelque chose » est redondant : je peux consentir à reconnaître la validité de votre opinion, qui n'est pas quelque chose. Mais, même sans notre participation, la définition est contredite quelques pages plus loin : il est question du mariage et du droit des contrats. Les époux échangent leurs « consentements », les parties au contrat « consentent ». Ah, mais alors il y a une tierce partie dans cette histoire : quand je donne mon consentement pour me marier ou signer un contrat, suis-je certain.e de « donner à quelqu'un mon accord » seulement et pas en même temps à quelque autre ou quelque autre chose ? est-ce à mon conjoint que je donne mon accord pour l'épouser ? Dans ce cas, je l'ai déjà fait, sans quoi nous ne serions pas maintenant devant le curé ou le/la maire.sse : est-ce que ce ne serait pas à quelque chose, plutôt qu'à quelqu'un, que je donne mon accord, quelque chose comme l'Église ou la République au travers de son représentant légal et du système judiciaire ? Finalement, la définition : « Consentir, c'est donner son accord » serait suffisant.

Quelques lignes en-dessous, la définition, au contraire, est précisée : « Consentir est donc donner son accord à quelqu'un sur quelque chose, de sorte que l'on n'accorde par là un droit sur soi ou ses possessions ». Ah bon. « Consens-tu à me donner raison ? – J'y consens » ; « Consentez-vous à amener votre fils à l'anniversaire du mien samedi prochain ? – j'y consens » ; « Consentez-vous à ce que je le tue ? » demande l'amant à sa maîtresse, la lame de son épée sur la carotide de son rival « j'y consens » ; couic. Il n'est dans ces trois cas aucunement question « de droit sur soi ou ses possessions ». On en reste bien à ce que « consentir, c'est donner son accord ». On pourrait dire, outre donner son accord, que c'est, finalement, "engager sa (co)responsabilité".... ah, la situation change quelque peu...

Ce qui permet de se rendre compte tout de suite, sans attendre la page 227 (« L'homme propose, la femme dispose »), que pour consentir, ou « donner » son accord , il faut qu'on nous ait au préalable prié : « Voulez-vous… ? – j'y consens ». Ben oui, poser les relations sexuelles sous l'angle exclusif du consentement, c'est s'exonérer de poser qu'elles se déroulent sous l'effet de la volonté conjuguée des deux parties. Un corps peut-il exprimer sans entrave son envie d'un orgasme par un « je consens » ?... Il semble bien que la personne qui "consent" n'est par avance pas très intéressé.e… et répond surtout au désir insistant de l'autre : c'est dommage que ce ne soit non seulement pas du tout abordé dans cet ouvrage (la citation ci-dessus intervient 30 pages avant la fin…), mais surtout pas au début : la problématique est mal posée et révèle que l'autrice reste enfermée dans sa définition et dans ses idées (dénoncer le système patriarcal, alors qu'elle y est enfermée comme on va voir, et, quoi que son expression soit restée modérée dans l'introduction, transmettre son émotion, une indignation sans doute) sans chercher à résoudre un problème plus général qui s'aborde avec plus de distance : de quelle manière une relation sexuelle peut-elle être considérée comme ayant eu lieu sans avoir forcé les parties ? le consentement serait l'une des solutions dans le cas d'une sollicitation auquel il conviendrait de se limiter en indiquant expressément qu'on écarte toutes les autres solutions… parce que fondamentalement, je ne sais pas vous, mais moi, il n'est jamais arrivé qu'une relation sexuelle débute, d'un côté ou de l'autre (oui en se limitant à deux), par un très cordial « consentez-vous à… [ à quoi d'ailleurs ?... !!!] et que l'autre réponde, après mûre réflexion, bon allez « j'y consens »…

Ou passe alors le consentement, s'il est intérieur ; mais alors la définition selon laquelle c'est "donner son accord à quelqu'un" est totalement fausse, ce serait plutôt donner son accord à soi-même... Donc engager sa responsabilité... La sociologie aurait pu être davantage abordée...


Voilà, quand on a dit ça, on comprend que l'auteure reconnaisse être incapable de cerner son sujet : « Maintenant que nous avons établi l'ambiguïté de la notion de consentement » (début du chapitre 3, oui, oui « 3 » : il y en a bien eu deux avant sur le sujet…) ; « le concept de consentement est ambivalent » (début du chapitre 5, après 147 pages de réflexion) ; « L'impossible consentement sexuel » (dernier sous-titre du chapitre 5) ; « À l'issue de ce parcours sur les ambivalences du consentement » (début du chapitre 6, p.181) ; « le consentement ne remplit pas toutes ses promesses », phrase qui continue ainsi, enfonçant décidément le clou : « il ne nous permet pas d'effectuer clairement le départ entre sexe et viol » !!!!!!!! (début du chapitre 7, le dernier !!).

Ben zut alors ! à la fin du bouquin, non seulement on ne saura pas si consentement il y a eu, mais, si ça se trouve, il y a même eu viol sans qu'on le sache !!!!!!!!!!!!!!!!!!! on est déçu d'être moins savant à la fin qu'au début, mais on admire tout de même à quel point c'est beau la philosophie : on peut dire n'importe quoi.

Bon je passe sur les problèmes de méthode, ça ferait beaucoup, disons simplement que l'autrice (c'est pour lui faire plaisir, je pense qu'auteure doit lui déplaire) ne cite que des auteurs « libéraux » (Bentham et Stuart Mill), avec Kant, bien sûr, incontournable quand il est question de morale, ça tombe bien, c'est ainsi qu'on fait dans les pays anglophones (j'ai dit qu'ils étaient cités, je n'ai pas dit qu'ils étaient commentés), sans faire de différence entre le consentement en démocratie et le consentement sexuel, ni la place du libéralisme du XIXème siècle dans la société (mondialisée ? française ? américaine ?) contemporaine, ni expliquer pourquoi elle revient sur des questions de droit, déjà abordé en début d'ouvrage (sinon que, en effet, ce n'était pas réglé) ; qu'elle a bien eu l'intuition de se rapporter au droit et qu'elle note que le « contrat consensuel » demande le consentement des deux parties et que. Ah bah non, rien, fin du chapitre : elle n'a pas lu sa synthèse du droit des contrats jusqu'au contrat « d'adhésion », qui, pourtant, aurait bien pu nourrir cette idée que le consentement est inégalitaire et repose sur une partie plus forte que l'autre, à la façon des contrats des GAFAM (« votre vie privée est notre priorité, consentez-vous à nous transmettre vos données ? » - naturellement, j'y consens) ; et disons encore que j'ai éprouvé un fort étonnement que la question de la morale ait été abordée (en deux lignes) dans le cas d'une séduction un peu insistante qui mènerait un partenaire à « consentir » à une relation sexuelle, mais qu'il n'en ait absolument pas été question quand il s'est agi d'évoquer les pratiques sado-masochistes, dont la contractualisation des types de pratiques ne sert qu'à nourrir une réflexion mainstream sur des relations sexuelles en général, de manière très distante et très proprette, puisqu'il n'est d'ailleurs question ni de faire mal ni d'infliger intentionnellement la douleur mais d'évoquer un « mouvement de résistance à une sous-culture accessible à la culture populaire » : ah, alors, s'il s'agit de culture, bien sûr… Mais alors pourquoi était-il écrit en première partie que, justement, on ne pouvait se référer à ces pratiques où le consentement n'était pas reconnu par le droit pénal (qui ne reconnaît pas que vous ayez librement consenti à ce que l'on vous inflige la douleur) ? pas de réponse. Il s'agit de culture, on vous a dit, la morale et le droit n'ont rien à faire ici, n'oublions pas que nous parlons, sans trop savoir, de consentement, nous avançons dans l'ivresse de notre émotion.

Quant à la conclusion, après 230 pages, elle expose avec clarté la précision d'une pensée universitaire exclusive échappant à l'épaisseur cognitive des lecteurs à l'esprit confus qu'il s'agit par un ouvrage érudit d'éclairer : « Penser le consentement dans sa complexité permet d'aborder nos vies sexuelles dans toute leur épaisseur […] Cela permet de comprendre que la prostitution n'est ni du viol tarifé ni un travail comme n'importe quel autre [merci, je n'y avais pas pensé en effet] Que ce n'est pas la même chose de coucher avec quelqu'un lorsqu'on est ivre de quelques verres en fin de soirée que d'utiliser une personne qui a tellement bu qu'elle est à peine consciente pour avoir une interaction sexuelle [ah oui ? mince alors, si j'avais su, bon, je tâcherai de m'en souvenir la prochaine fois -] que […] ce n'est pas non plus la même chose d'avoir un mauvais rapport sexuel au sens où l'expérience a été décevante [comme de lire ce livre ?] que d'avoir un rapport sexuel mauvais au sens où notre autonomie et notre intégrité n'y ont pas été respectées » : c'est possible, mais, en y réfléchissant, je me demande si mon intégrité mentale et psychique a été respectée par cette autrice qui prétend avoir fait des études spécialisées et qui m'a pris de mon temps sans avoir pu réaliser sa promesse de m'instruire : suis-je en mesure de faire clairement la différence entre la déception liée à une expérience de lecture médiocre et l'agression exercée sur mon intégrité intellectuelle par quelqu'un qui a prétendu avec un beau CV et une belle couverture, mais sans méthode et sans pénétration, d'esprit, mais des aveux d'impuissance répétés, m'instruire ? Est-ce que, finalement, liée à la notion de consentement ne se trouverait pas celle de promesse et est-ce qu'au final, le sentiment de trahison ne serait pas à l'origine de la recherche de la notion de consentement, dans le but de mettre en évidence la supercherie de laquelle, malgré soi, et contre les éléments formels de la situation, on a fait l'objet par une personne qui serait alors assimilée à un.e escroc ? Une sorte de confiance trahie en quelque sorte ?… Voilà ce que, sans enfoncer des portes ouvertes, il serait intéressant d'approfondir.

Le dernier paragraphe s'achève sur une considération des plus sexistes, étonnamment pour un ouvrage dont l'un « des objectifs est d'étudier le patriarcat, entendu comme le système sociopolitique qui organise l'oppression sociale des femmes ».

En effet : « Cela nous montre enfin que les femmes sont particulièrement vulnérables dans la sexualité et que cette vulnérabilité donne aux hommes une responsabilité d'autant plus grande de s'assurer du consentement de leurs partenaires ».

Consternation.

Le féminisme et la lutte contre le système patriarcal passe donc par l'établissement définitif et principiel de la faiblesse de la femme devant l'homme qui en est responsable.

sic, sic, sic et resic.

La conclusion est donc bien que « L'homme propose, la femme dispose », prétendument dénoncée un peu plus tôt, et qui reste au contraire d'actualité ; madame est fragile, de corps et d'esprit, il faut en prendre soin ; en bon père de famille, sans doute. Non, avec de telles défenseur(e?euse?)s, le système patriarcal a encore de beaux jours devant lui.

Et puis, l'apothéose, pour qui a promis une expérience de lecture sur un sujet dont elle n'a décidément pas su trouver le point G, une ultime promesse : « le consentement sexuel apparaît comme un concept à manier avec précaution [avec galanterie, peut-être ?] mais qui porte en lui les PROMESSES d'une révolution sexuelle qui, CETTE FOIS-CI, serait une libération de toutes et de tous ».

La tête sur l'oreiller, l'acte accompli, il s'agit d'envisager (la cigarette au bec ?) la prochaine fois.

Après le marasme, une révolution.

Rien que ça.

Ca fait envie.

Des promesses, toujours des promesses.

Et bien, non, tant pis, pour la révolution, nous retirons notre consentement et ce sera sans nous.

Avant de claquer la porte, un dernier mot :

Merci pour ce moment.
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Il y a les livres intelligents, il y a les livres qui vous font vous sentir très intelligent, et puis il y a ceux qui vous rendent intelligents. La Conversation des sexes est, à n'en pas douter, un illustre représentant de cette dernière catégorie d'ouvrages.

Derrière le titre - volontairement - très large et nébuleux de l'ouvrage se dissimule un passionnant essai sur la question du consentement d'un point de vue philosophique, historique, politique, juridique et intime. Tout au long de ses 250 pages, denses et dépourvues de la la moindre fioriture, Manon Garcia articule avec une mécanique implacable tout le fil de sa pensée, nous cueillant dès les premières pages en démontrant en l'espace de quelques paragraphes à peine combien nous nous trompons collectivement lorsque nous parlons de consentement. Non pas que nous partagions tous une définition erronée (quoique cela se discute, elle y reviendra) : c'est surtout qu'il en existe en réalité de très nombreuses acceptions, parfois très différentes entre elles. Entre le consentement de deux parties signant un contrat juridique, et acceptant à ce titre les droits et obligations établis par ce contrat, et le consentement intime de deux partenaires à des actes sexuels, il y a un monde, non seulement en termes de nature desdits consentements, mais aussi de leurs implications, de leurs limites, de leurs origines, de leurs extensions respectives. Ainsi, comme Manon Garcia le montre d'office, les nombreuses interrogations et autres innombrables quiproquos qui nous divisent autour de la question du consentement sexuel viennent, pour beaucoup, d'une confusion entre ce consentement-là, intime et interpersonnel, d'une part, la définition juridique du consentement, en droit des contrats notamment, d'autre part, ou encore celle que l'on enseigne en théorie politique.

Le consentement sexuel n'est en effet pas un consentement juridique : le droit du viol ne fait pas partie du droit des contrats ; le droit pénal ne fait pas partie non plus du droit des contrats. le consentement sexuel n'est pas non plus le consentement version théorie politique. En effet, dès lors qu'on consent à vivre dans une société, à un contrat social, en gros, on se soumet à un régime d'obligations, de devoirs. le consentement sexuel, lui, crée une autorisation, et non une obligation.
Mais alors, qu'est-il ?

Cette imprécision, cette difficulté de définition pose tout un ensemble de questions cruciales : le consentement, est-ce renoncer à une prérogative, autoriser quelqu'un à nous prendre quelque chose auquel il n'aurait pas eu accès autrement, ou bien est-ce l'expression d'un désir positif ? Doit-il s'agir d'un renoncement ou d'une affirmation ? En d'autres termes, est-ce un accord ou un choix ? En droit, cela dépend de la nature du contrat. En politique, c'est clairement un renoncement, une forme d'abandon à certains droits collectifs en échange du fait de pouvoir vivre en société (on consent à la loi, qui nous limite, mais nous garantit aussi une protection). Mais dans le domaine sexuel, alors ? Cette ambiguïté laisse la porte ouverte à tout un tas de méprises dans le domaine intime. Si consentir, c'est céder temporairement quelque chose à quelqu'un, et si l'on applique cette définition au domaine sexuel, n'est-ce pas quelque part perpétuer l'idée selon laquelle l'homme propose et la femme dispose ?

Autre exemple de question source de quiproquos dans une société où l'on n'interroge pas vraiment ce qu'est le consentement : le consentement est-il irréversible ? Manon Garcia le montre, en droit, dès lors que le consentement a été donné dans des conditions formellement valides, on ne peut plus le retirer, du moins pas sans passer par certaines procédures, alors qu'il paraît essentiel de défendre une vision du consentement sexuel susceptible d'être réévalué, reconsidéré à tout instant. Or, étant donné qu'on a tendance à utiliser la conception juridique du consentement pour analyser les rapports sexuels, on a encore souvent du mal à accepter l'idée qu'un consentement sexuel puisse être retiré, et on ignore globalement tous quand le consentement sexuel doit être donné, à quelle fréquence il doit être renouvelé, bref, tout un tas d'enjeux à propos desquels on peut bien sûr se faire une opinion plutôt solide dès lors qu'on fait preuve d'un minimum de communication avec son partenaire, mais qui nous laissent bien démunis lorsqu'on essaye de légiférer autour des violences sexuelles.

Plus l'on creuse, plus on comprend combien les impensés autour de la question du consentement sont nombreux. Ainsi, le consentement rend-il l'acte auquel on consent moralement acceptable seulement, ou carrément moralement souhaitable ? A-t-il alors la même valeur selon l'une ou l'autre option ? le consentement est-il d'ailleurs forcément moral ? Peut-on consentir à des actes moralement condamnables ?

D'ailleurs, à partir de quand un consentement est-il valide ? Suffit-il qu'il soit formellement acceptable, bien formulé, pour qu'il soit reçu, ou bien doit-on considérer que l'expression d'un consentement simple ne suffit pas, et qu'il faut s'assurer que ce consentement soit l'expression pleine et entière de la volonté autonome de la personne qui le formule ?
Ah oui y a de l'enjeu hein, j'avais prévenu.

Le texte navigue avec aisance entre les époques, les auteurs et autrices, les concepts et les enjeux, parvenant à tisser des liens fluides et bienvenus entre ses différents chapitres. Il consacre tout un développement plus que pertinent à la question du BDSM, milieu où le consentement tient une place essentielle, fait l'objet de contrats, et détermine la validité ou non de chaque acte, selon des modalités et normes complètement à part de celles qui ont court dans nos vies quotidiennes. L'autrice s'interroge également longuement quant à l'avenir de nos relations intimes, de la façon dont on reçoit, étudie, sanctionne et prévient les violences sexuelles, sur la pertinence (ou non) du fait de faire dépendre la qualification d'un viol de l'idée de consentement, et de savoir si l'on doit faire peser le critère déterminant sur l'absence de consentement ou au contraire son affirmation. Elle imagine carrément une refondation de nos imaginaires érotiques, va jusqu'à rêver de disqualifier totalement la logique très binaire du consentement (veux/veux pas), dont on s'aperçoit de plus en plus de combien elle peine à expliquer les cas dits "appartenant à la zone grise", dont les protagonistes n'ont ni consenti, ni retiré leur consentement, et face auxquels la justice n'a pas les outils pour trancher.

Manon Garcia a surtout la grande, grande intelligence de démontrer historiquement, sociologiquement, politiquement, comment les femmes ont été privées de la possibilité de se forger une autonomie, ce qui rend dès lors toute conversation autour du consentement partielle, caduque. Dès lors qu'en tant que femme, on apprend à ne pas interroger son libre-arbitre, à se faire "passer après", comment peut-on imaginer se battre à armes égales, avoir le même usage du consentement, pouvoir l'exprimer de la même façon qu'un homme ? Comment peut-on imaginer apprendre à prévenir et punir les violences sexuelles autour d'un concept certes intéressant, mais vis-à-vis duquel nous ne jouissons pas de la même marge, de la même autonomie ? En prouvant brillamment que le consentement n'est pas simplement une donnée de base, un acquis dont on disposerait tous librement et complètement et qu'on serait libre de manier de son plein gré selon les situations, mais bien une compétence, un atout, une faculté dont on ne jouit pas tous au même titre et que l'on ne peut développer et affiner que grâce à des ressources et circonstances adéquates, Manon Garcia pose magistralement les vrais enjeux des débats qui doivent nous accompagner au cours des prochaines années. Il ne s'agit pas vraiment de savoir si elle voulait ou si elle voulait pas, mais si elle était en capacité de dire qu'elle ne voulait pas, voire, si elle était en capacité de savoir elle-même qu'elle ne voulait pas, voire, si elle était en capacité de vouloir tout court. Ah oui. Tout de suite, ça recadre les choses.

L'idée n'est pas de nous prendre la tête et de nous empêcher d'agir en nous assenant des questions paradoxales à tout bout de champ, mais précisément d'élargir nos possibles, de nous rendre tous enthousiastes à l'idée de construire plus d'égalité, d'érotiser l'égalité comme le disait Gloria Steinem, citée par Manon Garcia. C'est sacrément galvanisant, et surtout, ça rabat complètement le caquet à ceux qui affirment que parler de consentement, de #MeToo et de zone grise va nous conduire à une société puritaine et pudibonde. C'est tout le contraire que l'on cherche à construire dans cet ouvrage : plus d'émancipation, plus de liberté.

Un ouvrage riche à lire et surtout relire, à garder près de soi comme une boussole alors que dans les conversations sur le sujet, les opinions ont tendance à vite s'échauffer avant même que les différentes parties ne se soient assurées d'être en train de parler de la même chose. La conversation des sexes est pétri d'intelligence, de bienveillance, d'ouverture d'esprit, n'assène rien de façon péremptoire, et si certaines questions mériteraient d'être approfondies (par exemple la question de l'exceptionnalité du sexe, abordée mais pas résolue - je dis pas que c'est facile de trancher hein, juste que ça m'intéresse, t'inquiète Manon ton boulot il est impec - : pourquoi le consentement sexuel est-il si distinct des autres ? Qu'est-ce qui nous rend si vulnérables dans un contexte sexuel ? Qu'est-ce qui fait du sexe ce sujet à part, si épidermique ?), on ne peut que saluer le formidable travail de synthèse, de pédagogie et de clarté qu'a fourni l'autrice à ses lecteurs et lectrices. Ruez-vous sur ce bouquin, profitez de sa grande accessibilité et de sa volonté affirmée de s'adresser à tous les publics pour l'offrir au plus de monde possible autour de vous, y compris à des personnes pas forcément susceptibles de s'être intéressées à des questions féministes ou politiques par le passé. La lecture exige de l'attention et du temps, mais en rien un doctorat de philosophie : il s'agit de déclencher une réflexion collective, pas de piéger tout le monde avec d'obscures références théoriques. En un mot : foncez !
Lien : https://mademoisellebouquine..
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Comme tout doc que je lis, du moins la plupart, je vais formuler ma critique au fur et à mesure de ma lecture pour ne rien perdre de mes impressions et de mes envies d'annotation.

Dès le départ on sent que le propos est intelligent et pertinent, Manon Garcia met les pieds dans le plat en nous confrontant à notre propre définition de ce qu'est le consentement. Consentir oui, mais à qui, à quoi, dans quelle situation, contexte, sous quelle pression, dans quelles conditions ? Parle-t-on moralement ou juridiquement ? Elle donne des exemples pour bien illustrer tout l'intérêt de poser ces questions et je pense que sa façon de présenter les choses peut faire mouche, elle a le talent qu'il faut pour faire bouger les choses.

Elle rappelle que l'image d'Épinal qu'on a du viol et son caractère soi-disant "exceptionnel" est complètement démoli par les chiffres : 91% des cas de viols ou de tentatives de viol le sont par des agresseurs que l'on connait et dans 47% des cas il s'agit ni plus ni moins du conjoint ou de l'ex. (Etude "VIRAGE" de l'INED)

Avec de nombreux exemples de situations, elle développe toutes les nuances que peut revêtir le "consentement" (retrouver la page)

Autre rappel chiffré si nécessaire (et ça l'est toujours) :
* 10% des femmes victimes de viol portent plainte
* 3% des viols débouchent en cour d'assise
* 1% des viols commis sont punis comme tels

Manon Garcia évoque tout d'abord le consentement d'un point de vue juridique mais fait remarquer que même dans le Code Civil, il est utilisé sans être clairement défini car "consentir" a un caractère polysémique :
* Accord de volonté ou manifestation de volonté ?
* Choisir ou céder ?

Le consentement sexuel n'est pas du contractualisme. Voilà le point suivant. En théorie des contrats, le consentement créé une obligation et non une autorisation. En bioéthique, le consentement peut être retiré à tout moment (elle reviendra dessus à la fin en suggérant de construire le consentement sexuel sur cette même dynamique, un consentement qui peut être retiré à tout moment) "droit de retrait unilatéral et discrétionnaire" (Evan Raschel) ce qui s'oppose à l'existence d'une obligation.

En somme, elle distingue le consentement pénal du consentement civil pour illustrer la difficulté à définir une forme de consentement qui pourrait s'appliquer à toutes les situations d'actes sexuels.

Vient ensuite un point philosophique, le consentement face à la moralité. (Intervention de l'État des normes sociales) + Harm principle (J. Mill p.66) + Débat philosophique de Kant

Comparaison entre le sport et le BDSM, très pertinent ! La liberté individuelle doit-elle s'effacer devant le principe de dignité humaine ?
OUI selon le CE du 27/10/95 au sujet du lancer de nain
OUI selon la CEDH en décembre 95 concernant une grande réunion sadomasochiste filmée.
En 2002 revirement de la CEDH, l'autonomie personnelle reprend le dessus sur les valeurs morales. ->Muriel Fabre-Magnan s'y oppose. Quel consentement ? Oui, c'est suffisant ? Peut-on soustraire absolument un individu du cadre social et donc considérer que son attitude n'aura pas d'impact ?

-> Qu'est-ce qu'un consentement valide dans une structure sociale de domination masculine ?
-> L'ambivalence du BDSM
1. Renverser les codes
2. le sont-ils vraiment ? (NON)
Asymétrie des consciences du fait de la domination et de la peur de violence. le "consentement" d'une femme n'a pas la même valeur qu'un homme (limitation psychique) (P. 186-187)

Reprendre les définition suivantes à l'occasion : (p.190)
* injustice testimoniale
* injustice herméneutique
* injustice de contribution
= injustices épistémiques

- Pornographie, voir les travaux de Fiona Vera-gray et Claire McGlynn

-> La perception du mot "viol" & la difficulté à pouvoir l'appliquer à toute la palette de sexe non-consenti (pression sociale, négligence, contraint et menaces)
Elle finit par conclure que le droit a ses limites et que concernant la "zone grise" il ne peut pas faire grand chose. La prison ? Parfois pire que mieux ! Ce qu'il faut c'est un changement social profond.

(à suivre)
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Un petit pas de pages pour l'écriture, un grand pas pour la pensée. Ce livre permet de penser en profondeur la question du consentement et celle des zones grises. J'ai apprécier grandement ce cheminement à travers un questionnement pertinent et percutant. C'est bien ficelée, bien documenté.
Un livre utile pour construire et déconstruire à l'intérieur de soi et faire prendre plus d'épaisseur à nos intimités.
Vivifiant.
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La conversation des sexes est un livre complet, riche d'analyses et de références théoriques, qui permet d'explorer en profondeur la notion de consentement. Qu'est-ce que le consentement ? Qu'en est-il dans le cadre sexuel ? le sexe non-consenti est-il toujours un viol ? le sexe consenti est-il toujours du sexe moralement bon ?
Un sujet complexe très intéressant et offrant de nombreuses pistes de réflexions.
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Le changement modeste mais réel, introduit par le mouvement MeToo dans la prise en compte sociale des violences sexuelles, contre les femmes mais aussi contre d’autres hommes et contre les enfants, laisse en effet penser qu’à la question de savoir « comment faire pour que les hommes arrêtent de violer ? », la réponse par les tribunaux n’est qu’une réponse possible et peut-être pas la plus importante. Si le sexe et le viol sont, comme ce livre s’est efforcé de le montrer, un problème politique qui concerne tous les hommes, toutes les femmes et toutes les personnes non binaires, il est probable que ce problème trouve davantage de solutions dans le changement des normes sociales et donc de la société que par le droit seul. […]
Un des chantiers centraux est celui de l’éducation sexuelle : il faut non seulement éduquer les jeunes gens à l’égalité de genre, mais il faut spécifiquement les éduquer à la sexualité. […]
Plutôt qu’une pénalisation accrue du non-consentement, qui risquerait de se heurter à des problèmes probatoires considérables, on pourrait imaginer un engagement de grande ampleur de l’État dans la promotion d’une norme positive du consentement sexuel avec des campagnes d’éducation populaire et de prévention des violences sexuelles. […]
L’obstacle à une sexualité choisie, morale et joyeuse que constituent les normes sociales et le patriarcat en général indique que la véritable solution est à chercher dans un changement social de grande ampleur et dans la remise en cause de la domination sociale des hommes sur les femmes.
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Le sexe est donc à la fois un type de rapport qui est risqué moralement tant est grande la tentation d'utiliser l'autre, de le tromper et de jouer de la connaissance intime que l'on a de lui pour arriver à ses fins, et en même temps le sexe peut permettre un rapport véritablement moral entre personne car cette intimité permet une connaissance, un amour et un respect qui permettent de vouloir et de pouvoir traiter véritablement l'autre comme une personne.
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(...) si les femmes sont structurellement soumises, de sorte que consentir à cette soumission est l'attitude statistiquement normale, alors ni leur soumission ni leur consentement ne leur sont imputables. Le consentement n'a plus de portée morale, il est purement juridique et n'est rien d'autre que ce que le droit définit comme tel, dans un contexte ou le droit est un droit établi par les hommes et qui porte sur les vies des femmes. Les femmes consentent, mais ce consentement n'est pas tant l'expression de leur volonté que ce qui est construit comme ayant cette signification par un système juridique fait par les hommes pour servir les intérêts des hommes.
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Si l'on s'y engage comme individu, une des grandes joies du sexe est sans doute qu'une relation s'y tisse, même si elle ne dure pas, même si elle n'est pas une relation amoureuse au sens romantique du terme. Comprendre le sexe comme une relation érotique de partenaires qui doit fonctionner comme une véritable conversation correspond sans doute à ce qu'est le sexe lorsqu'il a lieu de manière respectueuse entre égaux.
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Premièrement, la définition juridique du consentement sexuel est structurée par les représentations stéréotypiques de la masculinité conquérante et de la féminité passive. Le consentement est conçu comme l’assentiment, passif, de la femme aux avances sexuelles de l’homme. Selon MacKinnon, la théorie juridique traditionnelle fait comme si cette définition du consentement était neutre, alors qu'elle repose sur la différence des sexes, elle-même structurée par la domination des hommes. La définition juridique du consentement est structurée par le schéma domination/soumission qui conduit à l'activité des hommes et à la passivité des femmes.
Deuxièmement, dans la relation décrite par le concept juridique du consentement, la dimension volontaire de l'assentiment disparaît. Le consentement est considéré comme un assentiment à ce qu'un autre ou les autres font, donc comme la réaction d'une personne à qui l'on fait quelque chose. Évidemment, le consentement reste considéré comme l'expression d'une volonté et, à ce titre, demeure volontaire. Cependant, comme le montre MacKinnon, le droit ne s'intéresse pas à ce qui motive l'assentiment, à ce qui fait que cet assentiment est volontaire. Or, dans un contexte où les hommes ont structurellement du pouvoir sur les femmes, le fait qu'une femme donne son assentiment à une action sur son corps qu'elle n'a pas initiée ne garantit pas que cet assentiment soit volontaire au sens d'un choix librement voulu de l'agent.
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Le Prix de l'essai Et maintenant ? France Culture / ARTE récompense un essai traitant d'un enjeu contemporain publié par un chercheur ou un penseur et appuyé sur une recherche. Paru dans l'année, il a vocation à s'adresser à tous les publics pour faire partager la connaissance au plus grand nombre.
Les essais présélectionnés : Apprendre à voir d'Estelle Zhong Mengual (Actes Sud) Avoir le temps de Pascal Chabot (Puf) L'animal et la mort de Charles Stépanoff (La Découverte) La conversation des sexes de Manon Garcia (Flammarion) Les filles du coin de Yaëlle Amsellem-Mainguy (Presses de Sciences Po) Réveiller les esprits de la terre de Barbara Glowczewsky (Ed. du Dehors)
Remise du prix par Sandrine Treiner, directrice de France Culture, et Boris Razon, directeur éditorial d'ARTE France
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