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Critique de Denis3


Denis3
01 décembre 2022
Un petit garçon et sa vieillle ... tante
OU
Reflets dans un mirroir.

Ce roman nous convie à voir le monde au travers des yeux d'un petit garçon, Momo. Sa maman a un métier qui rend la maternité bien difficile, et son papa étant tout bonnement inconnu, il est placé en pension chez Mme. Rosa. Mme. Rosa connait bien le problème, pour avoir jadis fait le même métier, et elle s'occupe des enfants dans le cas de Momo, en échange de quelque argent. Momo, qui ne se souvient pas de sa maman, et qui ne semble même pas avoir la notion de "père", croit que Mme.Rosa est sa bienfaitrice, qui sait, peut-être même sa mère après tout ?

Une des premières choses que Momo apprend, est que Mme.Rosa est payée pour s'occuper de lui. Il en a pleuré toute la journée ! L'amour n'existe pas ? C'est ainsi qu'il commence à découvrir le quartier de Belleville, tel que vu par Romain Gary. Beaucoup d'immigration, de la prostitution, de la drogue, de la délinquence, de la violence....Mais aussi la solidarité des sans-le-sou, des rejetés, des sans-papiers. Les mille et un trucs pour survivre. Et comme Momo est un enfant, il voit tout ceci avec humour, un peu comme si la vie, le monde, étaient des plaisanteries, noires, bien sûr, mais des blagues quand même. Tout ceci est bien rendu par l'écriture pseudo-infantile qu'adopte Romain : un français très correct mais où les figures de style se téléscopent dans un joyeux carambolage qui reflète l'esprit et le monde chaotiques de son personnage .

Un roman tendre, humoristique, original donc ? Oui, mais il y a plus. Car Momo, c'est aussi un Romain Gary qui a toujours cherché l'Amour Absolu dans un monde marqué par la promesse de l'aube, sans le trouver. Comme Momo, il est sans cesse en recherche d'attention, même prêt aux exhibitions les plus étranges pour s'en approprier quelques précieux instants. Songeons à l'occasion où, étudiant en droit, il avait photocopié et distribué à ses camarades le portrait - abominable ! - qu'une psychanalyste avait tracé de lui sur base d'un de ses premiers romans - d'ailleurs refusé par l'éditeur, qui le renvoya avec l'analyse en annexe. Complexe de castration, nécrophilie - tout ca ne lui fait pas peur, qu'on se le dise ! Au moins, ils parleront de moi.

Madame Rosa, quant à elle, se fait l'interprète des angoisses d'un Romain Gary vieillissant : il se suicidera cinq années après avoir publié " La vie devant soi". Madame Rosa devient sénile - à une vitesse record - et Romain insiste lourdement sur l'incontinence, la quasi paralysie, la démence, le délabrement physique de Mme.Rosa devenue moche, abominablement. Elle semble cumuler à elle toute seule tout ce qui peut possiblement arriver à une personne dont le système nerveux se déteriore. Romain Gary nous montre ici un crystallisé de ses angoisses. En dissimulant la pire ; celle de ne plus pouvoir être aimé, parce que moche, incapacité.

Pourtant, Mme.Rosa est aimée jusqu'à la fin, puisque Momo ne la quitte pas et la soigne. Il fait même plus que ca : mourante, il la cache dans une cave qu'elle avait aménagée en abri pour les coups durs : fauteuil, lit, des centaines de boîtes de sardines, des bidons d'eau. C'est là qu'on le trouve, finalement, aspergeant un cadavre de parfum et essayant de maquiller les tissus en décomposition.

Dans ma chronique concernant "La Promesse de l'Aube", j'avais avancé qu'un amour fusionnel unissait Romain et sa mère. le propre d'une telle relation, est qu'elle crée un être hybride, une composition des deux, un peu comme si l'on avait des jumeaux siamois. L'un vit pour l'autre et par l'autre, et réciproquement. Quand l'un des deux meurt, l'hybride meurt, lui aussi. Reste alors à savoir si ce qui a fait partie de cette union peut devenir une personne, un être autonome. Dans le cas de Romain, la réponse ne saurait être positive. Il a continué à assumer la "mission" qu'il avait recu de sa mère, maintenant défunte : devenir un guerrier victorieux, un diplomate et un artiste à succes. Il a continué à asperger le cadavre de parfums...Jusqu'à épuisement. La perspective de la vieillesse à venir lui semble avoir été trop répugnante. Ou alors il n'avait plus rien à donner: le flacon était vide. Et il est allé rejoindre celle qui l'avait enfanté. Espérant trouver la paix dans l'hybride reconstitué. Et, qui sait, l'Amour, le vrai ?
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