Lorsque j'eus 16 ans,
Lady Ludlow proposa à ma mère de me prendre chez elle. Quelle qu'ait été l'affabilité de sa proposition, ma mère ne s'y trompa pas et se résolut à se séparer de moi. Je rejoignis donc d'autres jeunes filles de condition mais pauvres dont milady s'entourait, elle qui avait perdu huit des neufs enfants qu'elle avait mis au monde.
Aujourd'hui que je suis vieille, je me remémore ces années passées auprès de cette dame d'une époque révolue, si consciente, tant de la place attribuée à chacun par Dieu, que de ses propres devoirs envers ses inférieurs. C'est pourquoi elle s'opposa à la volonté de Mr Gray, le nouveau pasteur, qui voulait ouvrir une école du dimanche. Milady y voyait le premier pas vers l'oubli des devoirs qui avait abouti à cette fâcheuse Révolution française. Elle refusa également que le fils d'un braconnier auquel M. Horner le régisseur avait appris à lire, écrire et compter, le seconde comme il le désirait et lui adjoignit à la place miss
Galindo. Cette miss
Galindo voulait, comme sa naissance l'exigeait, avoir toujours une servante, mais elle les choisissait parmi celles dont personne ne voulait, les boiteuses, les naines et même une aveugle. Si bien qu'il lui fallait tout à la fois prendre soin de son ménage et souvent de sa servante. Mais je m'égare.
Lady Ludlow, si elle était fidèle aux idées qui prévalaient dans sa jeunesse, cinquante ans plus tôt, craignait toujours d'être injuste et si elle rendait service s'arrangeait pour le présenter comme une faveur que vous lui faisiez. Elle me pria ainsi de l'aider à ranger le contenu de son bureau lorsque je devins infirme à la suite d'un saut que je fis par-dessus un échalier. Ceci afin de me distraire de ma douleur.
Je restais plusieurs années chez elle, et quand je revins dans ma famille, je ne pus jamais oublier ni milady, ni miss
Galindo, ni monsieur Gray,
J'ai passé plusieurs heures très agréables en compagnie de Margaret Dawson et de l'aristocratique et affable
Lady Ludlow.
Challenge 19ème siècle 2015