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Critique de boudicca


Tout au long de cette année 2014 qui a marqué le début des commémorations consacrées à la Première Guerre mondiale, on a pu voir défiler sur nos écrans et sur les étalages de nos librairies pléthores de documentaires, reportages ou ouvrages spécialisés sur le sujet. Laurent Gaudé n'a pour sa part pas attendu le centenaire pour rendre hommage à ces combattants de 14-18 qui vécurent l'enfer dans les tranchées. le roman est court, à peine plus de cent pages, mais cela suffit pour pleinement se rendre compte de l'horreur de cette guerre et des dommages irréparables infligés aux survivants, tant sur le plan physique que psychologique. Parmi ces soldats, il y a Marius qui ne tient encore debout que grâce à l'amitié et la solidarité que l'unissent à ses compagnons. Il y a le lieutenant Rénier, formé à diriger mais qui se retrouve démuni face à un combat qu'il n'a pas été préparé à mener. Il y a Jules, si prêt de la rupture qu'un bref répit lui a été accordé loin du front, mais comment laisser derrière lui les voix de ses compagnons d'arme ? Et puis il y a celui que l'on surnomme « l''homme cochon », ce soldat abandonné entre les deux lignes du front et dont les cris ne cessent de hanter les survivants. « J'en suis certain maintenant : je l'ai entendu. Les mêmes cris, tantôt aigus, tantôt rocailleux. Les mêmes appels animaux, là-bas, en plein milieu de cette terre vierge et dangereuse, ce territoire ténu entre nos tranchées et les leurs. Il est là à nouveau. Il rampe, il marche, il hurle. Et je ne saurais dire s'il hurle pour pleurer ces morts, ces milliers de morts qui jonchent son royaume ou si c'est pour fêter son triomphe d'animal boucher et pour nous remercier de tout ce sang versé. »

Car s'il y a bien un sens constamment sollicité au fil des pages, c'est bien l'ouïe. le martellement de la pluie sur les casques des soldats, le tonnerre assourdissant des tirs d'obus qui font trembler la terre et déchirent les corps, le ronronnement du train qui entraîne Jules loin du front, et puis les cris : cris de douleur des mourants ou des blessés sur le champ de bataille, cris de désespoir des survivants qui assistent impuissants à la disparition des leurs, cris de colère et de peur des soldats lors de l'assaut, davantage pour se donner du courage que pour effrayer l'ennemi. Tous ces cris, le lecteur les entend avec une netteté effroyable, et ils continuent de résonner longtemps après la dernière page tournée. En très peu de mots, Laurent Gaudé nous brosse un portrait sans fard des conditions de vie dans les tranchées (le froid, l'humidité, la proximité, l'attente insoutenable...) et de l'état mental des soldats, prématurément vieillis par ce carnage dont ils sont à la fois les acteurs et les victimes. En filigrane, c'est également toute l'absurdité de cette guerre qui transparait. Que penser en effet de ces hauts-gradés qui, par indifférence ou inconscience, vont ordonner sans ciller des assauts suicidaires pour la conquête de quelques pauvres mètres d'une terre éventrée par les tirs d'obus et recouverte par les corps des soldats des deux camps ?

Avec « Cris », Laurent Gaudé prête sa voix aux milliers de soldats de la guerre 14-18 afin de nous rappeler toute l'atrocité de ce conflit meurtrier mené dans la boue, la terre et le sang par des hommes sans cesse prêts à sombrer mais qui, pourtant, auront tenu jusqu'au bout. Un récit poignant qui vaut incontestablement la peine d'être lu et des cris qui, cent ans plus tard, méritent encore d'être entendus.
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