AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de TerrainsVagues


De sang et de lumière ou entre fatalisme et espoir, révolte et utopie, nausée et fraternité.
Il y a les philosophes qui philosophent, les éditorialistes qui analysent, les politiques qui justifient l'injustifiable, il y a les financiers qui profitent, les graphiques et autres courbes qui chiffrent l'horreur, les gros titres racoleurs qui banalisent, l'égoïsme qui légalise et tout ce petit monde qui explique, le pourquoi et le comment, qu'on y peut rien, rien contre la désertification du coeur de l'Homme qui gagne un peu plus de terrain chaque jour, c'est comme ça, la désertion à son paroxysme.
Il y a les journalistes, les voyageurs, les « humanitaires », et quelques autres qui témoignent de ce qu'ils ont vu, vécu, des lanceurs d'alerte comme on dit aujourd'hui, nécessaires.
Alerte au feu alors que tout le monde voit que ça crame déjà depuis longtemps à sa porte et continue de jouer avec les allumettes, d'attiser les flammes.
Au milieu de tout ça il y a vous, il y a moi, perdus, impuissants, culpabilisant ou pas ce n'est même plus la question. Ballotés dans ce monde qui se replie sur lui-même, ce monde qui s'atrophie.
Combien de fois a-t-on entendu dire « plus jamais ça ». Résultat, chaque jour l'homme invente une nouvelle façon de dominer l'autre, de l'asservir, de l'humilier, de le nier. Plus jamais ça, non, plus jamais dire ces mots qui ont perdu tout sens.

« Si un jour tu nais,
Ne crois pas que le monde se serrera autour de toi,
Pressé de voir ton visage,
Dans une agitation de grands festins.
N'imagine pas qu'on se bousculera,
Que chacun voudra te regarder, te prendre dans ses bras, te recommander aux dieux.
On t'a parlé des cris de joie qu'on pousse à la naissance d'un enfant,
On t'a dit la liesse,
Les coups de feu tirés en l'air,
Les tambours,
La clameur des hommes qui fêtent la vie,
Oublie tout cela.
Si jamais un jour tu nais,
De joie, il n'y en aura pas.
Mais l'inquiétude sur le visage de tous,
Comme toujours, l'inquiétude
Ta venue au monde ne fera naître que cela. »

Laurent Gaudé nous emmène à travers les âges, les continents et ses voyages pour dresser un état des lieux. Les locataires de la planète bleue n'ont aucune chance de récupérer la caution.
D'un continent Afrique dévasté, dépouillé, souillé, affamé, terrorisé, asservi, humilié, colonisé (la liste serait si longue…) par d'incontinents à fric, jusqu'à Paris, Londres, Bruxelles, Nice (la liste serait si… longue) en passant par le moyen orient, par (oui, la liste serait…), l'auteur réussit à faire passer sa rage, sa révolte, son dégout, en déposant ses mots, presque délicatement, comme pour apaiser la douleur de tous ces passagers clandestins de la vie en donnant voix à la misère.
Ses mots doux giflent comme pour nous sortir de la torpeur, du confort aveugle qui endort.
Ces maux d'où qu'ils soient, eux sont égaux contrairement aux Hommes. Pas de hiérarchie dans le désespoir.
C'est musclé, et si la gorge se serre ce n'est dû qu'à la violence de la réalité, du quotidien des ces gens à travers les siècles car les textes de Laurent Gaudé n'ont rien de larmoyant, pas de pathos, pas de bons sentiments, juste des faits bruts.
« de sang et de lumière » risque de surprendre les fans de l'auteur car ce recueil est à ranger au rayon poésie. Oui, oui poésie. Ce genre que tant de monde fait rimer avec niaiserie.
Une dernière petite « niaiserie » dans ce monde en état d'urgence, un petit mot aux dieux qui sont si souvent source d'odieux:

« Maudits soient les hommes qui prient Dieu avant de tuer.
Ils ne nous feront pas flancher.
Leur haine, nous la connaissons bien.
Elle nous suit depuis toujours,
Nous escorte depuis des siècles,
Avec ces mots qui sont pour eux des insultes,
Et pour nous une fierté :
Mécréants,
Infidèles,
Je les prends, ces noms.
Juifs, dépravés, pédérastes,
Je les chéris,
Cosmopolites, libres penseurs, sodomites,
Cela fait longtemps que je les aime, ces noms, parce qu'ils les détestent.
Nous serons toujours du coté de la fesse joyeuse
Et du rire profanateur,
Nous serons toujours des femmes libres et des esprits athées,
Communistes, francs-maçons,
Je les prends,
Tous.
Nous sommes fils et filles de Rabelais et de mai 68,
Paillards joyeux,
Insolents à l'ordre.
Diderot nous a appris à marcher,
Et avant lui, Villon.
Nous serons toujours du coté du baiser et de la dive bouteille.
Ils ont toujours craché sur ce que nous aimions
Et nos bibliothèques ne leur ont jamais rien inspiré d'autre qu'une vieille envie de tout brûler.
Ce que leurs dieux aiment plus que tout, c'est que les hommes aillent tête basse.
La menace pour seul bréviaire.
Ce que leurs dieux aiment plus que tout, c'est la triste soumission. »

Commenter  J’apprécie          7119



Ont apprécié cette critique (55)voir plus




{* *}