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Critique de 5Arabella


Le roman est annoncé dès 1836, mais il ne paraîtra en revue (Revue nationale et étrangère) qu'en 1861, et en volume en 1863. La fille de l'auteur raconte, que pour obliger son père à l'écrire, son éditeur, Charpentier, conditionnait le paiement au fait que Gautier produise régulièrement un manuscrit, dont chaque feuille était timbrée après son paiement par le caissier. Pourtant Gautier semble avoir tenu au livre, qu'il évoque et annonce régulièrement. Il connaît un grand succès publique : quatre réimpressions en 1864, suivie d'une édition illustrée par Doré en 1865. Ce succès ne s'est pas démenti depuis, et l'oeuvre reste sans doute la plus connue, éditée et lue de l'auteur ; elle a eu l'honneur de plusieurs adaptations, notamment cinématographiques.

Maxime du Camp témoigne des intentions de l'auteur « Gautier rêvait quelque chose comme le roman comique, avec l'éblouissement de son style et le richesse de son ornementation. » Et on retrouve beaucoup d'éléments du Roman Comique de Paul Scarron dans le capitaine Fracasse. Dans les deux textes, une troupe de comédiens de campagne est au centre du récit, et nous les suivons dans leurs pérégrinations, dans l'exercice de leur métier, dans les représentations, répétitions. Mais aussi dans leurs amours et histoires romanesques : le capitaine Fracasse et la belle Isabelle, amoureux parfaits, ont comme ancêtres et modèles le Destin et L'Etoile, Les deux couples sont allés chercher refuge dans une compagnie théâtrale, alors qu'ils sont de noble extraction, mais des malheurs et mystères planant sur leur naissance les ont obligé de prendre cet expédient. Les deux couples ont un persécuteur noble et perfide, Vallombreuse et Saldagne, qui poursuivent de leur assiduité la jeune première qui n'en veut pas, ayant donné son coeur à son compagnon d'infortune. Sans oublier qu'un baron de Sigognac était un personnage secondaire du Roman Comique...

Mais Gautier s'est inspiré d'autres sources, celles du XVIIe siècle, où est censé se passer le roman, comme Saint-Amant, Scudéry, Antoine de Sommaville etc. Parmi les auteurs plus récents, Gautier semble se souvenir de Goethe ( Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister ), le personnage de Chiquita évoque irrésistiblement Mignon. Gautier était un lecteur frénétique et boulimique, de toutes sortes d'ouvrages, doué d'une mémoire exceptionnelle, qui lui permettait de nourrir ses écrits de réminiscences diverses et variées.

Le roman commence dans le château délabré des Sigognac, sous le règne de Louis XIII. le dernier rejeton de la noble famille végète dans la misère. Une troupe de comédiens égarés arrivent dans son château, et par amour pour une jolie comédienne, Isabelle, il part tenter l'aventure avec eux. Il va revêtir le masque du Matamore, et jouer sous le nom de Capitaine Fracasse. Mais les charmes d'Isabelle provoquent une violente passion chez le jeune duc de Vallombreuse. Orgueilleux et sûr de son droit, il ne va reculer devant rien pour la séduire, usant de force s'il le faut, et tenter de se débarrasser de son rival, Sigognac-Fracasse, en recourant entre autres à des assassins.

D'après le témoignage de Maxime du Camp, Gautier aurait pendant longtemps caressé l'idée d'un roman burlesque, avec un personnage comique, hâbleur mais lâche. On en est loin : le baron de Sigognac est un véritable héros de chevalerie, courageux et invincible. Dans le Roman Comique, le comédien le Destin, était le même type de personnage positif, mais il avait en pendant inversé Ragotin, ridicule à souhait, provoquant des véritables catastrophes en cascades. Cet aspect n'est au final pas présent dans le capitaine Fracasse, même si certains personnages secondaires peuvent prêter, sans doute plus à sourire qu'à rire aux éclats. Nous sommes plus dans une sorte de second degré, dans un jeu subtile entre l'imitation et la récréation, entre le presque semblable et le différent, entre le référence et son détournement. Sans qu'il soit nécessaire de toutes les comprendre pour prendre plaisir à la lecture. La narration de Gautier est sacrément efficace, les moments de l'action sont presque cinématographiques, construits de façon endiablée, même si on se doute que les choses vont arriver, l'auteur arrive à embarquer son lecteur dans le suspens, en en rajoutant parfois. La comparaison entre l'enlèvement d'Isabelle et de l'Etoile est sur ce point très significative : la narration est infiniment plus trépidante et prenante dans le capitaine Fracasse.

Etrangement, à première vue, le roman de Gautier détaille bien plus les choses sur le théâtre au XVIIe siècle que ne le faisait le roman comique. Les différents emplois (types de personnages) sont par exemples très détaillés, la façon de transformer un jeu de paume en salle de représentation l'est aussi, les pièces jouées sont décrites, de très nombreux auteurs cités etc. Et pour autant que je puisse en juger, c'est très juste dans l'ensemble et montre à quel point Gautier connaissait tout cela, et visiblement l'aimait. Il familiarise ses lecteurs avec ce théâtre du XVIIe siècle qui pour eux (comme pour nous) appartenait à un passé révolu. Alors que Scarron, qui décrivait une pratique au présent, passait bien plus rapidement sur de nombreux aspects, qui devaient sembler évidents.

L'image du XVIIe siècle à l'heure actuelle est surtout celle du classicisme, des règles, des formes parfaites. On oublie souvent le baroque, le spectaculaire, le sensationnel, l'extrême, le grotesque, qui ont aussi caractérisé ce siècle, surtout dans sa première moitié. Gautier, à la fois associé au romantisme, défendant férocement le jeune mouvement contre les tenants du classicisme, mais en même temps si sensible à la forme, défenseur de la beauté avant tout, présenté souvent comme un précurseur des Parnassiens (donc des néo-classiques) ne pouvait que se retrouver dans ce siècle et ses deux pôles aussi opposés que nécessaires. Puisque son roman parle de théâtre, si on doit le ranger dans un genre, ce serait sans conteste une tragi-comédie, un genre bien oublié maintenant, mais caractéristique de la fin du XVIe et surtout du premier tiers du XVIIe siècle. Entre rires et larmes, entre malheur et bonheur, tout en action, en combats, enlèvements, mais aussi en amours, sentiments, avec une fin heureuse et des nobles personnages qui ont souffert, lutté, craint, avant d'arriver au bon port. Comme dans le capitaine Fracasse.
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