J'ai beaucoup travaillé la sonate de Kodaly. je commence à la sentir au bout de mes doigts. Je sais l'interpréter. J'ai déjoué tous les pièges. Maintenant, il faut que je la fasse vibrer de son souffle à elle. Trouver l'esprit qui la hante. Pour le docteur et le parfum de sa femme. C'est cela qu'il veut entendre. L'âme parfumée de la sonate.
Qui me commande ainsi de m'abaisser à le subir pour ne pas le trahir?
Je hurlais des saletés. Tu étais une ordure, un salaud, une merde. J'éructais des mots obscènes parce que je les pensais, parce qu'ils te correspondaient, parce que mon ventre les vomissait naturellement. Mon visage devait être maquillé de ta laideur. Je me suis épuisée en vain. Je me suis trouvée laide et sale, après. Je n'ai plus eu envie d'être sale ainsi, après. J'ai renoncé. J'ignore pourquoi je m'habitue à l'infortune.
J'ai accepté les premiers coups. Quelle est cette force qui m'a manqué? Quelle est cette force qui m'a soumise?
- C'était un des morceaux préférés de ma femme. Elle est morte. Comme vous, elle était musicienne et jouait du violoncelle... dans un orchestre symphonique. D'elle il ne me reste que des souvenirs, des parfums de musique, comme ceux qui embaument votre chambre quand vous jouez.
(Référence à la Sonate pour violoncelle seul, op. 8 de Zoltán Kodály)
Souvent, on aime les musiques qui ressemblent à notre âme. Même si on ne le sait pas.
Carvalec est bouleversé par la beauté féroce de ces confidences.
Un corps respire avec la musique, un corps respire la musique, s'en gave et la crache, se vide avec elle de toute la beauté qu'elle contient, un corps exulte et meurt, dans une fusion gourmande avec la voix du violoncelle.
J'entendais ceux des autres mais mes mots n'avaient rien à dire.
C'est un dialogue à trois, une partie de billard où les boules peuvent tourner sans fin, se cogner obstinément et ne jamais trouver l'apaisement du trou.