Chevreuil

- Connor !
- What ?
- C’est chiant, tes Jane Birkin, là !
- What Jane Birkin ?
- Un chaise, la mur. Fais un effort.
- Ok ! Je fais une effort.

Serait-ce la recrudescence de l’alcoolisme dans les campagnes qui explique la montée des partis fascistes ?

Elle se dit que les éléments se provoquent les uns les autres et que parfois, ça nous tombe sur le coin de la gueule, comme ces ballons échappés des parties de foot de rue qui viennent briser une vitre.

Au moment où M. Angot ressort de la boulangerie, sa demi-baguette sous le bras, le camion à plateau est parti. L’Eldorado a disparu derrière les bambous du square Slocombe. Angot s’en retourne chez lui, un petit deux-pièces cuisine au premier étage de l’immeuble voisin, juste en face des fenêtres de Minterne Magna, qu’il partage avec son épouse morte depuis dix ans.

À l’heure où tout ceci commence, une poignée d’entre eux ont été jetés sur le trottoir de la boulangerie Cador, située en face de Minterne Magna, pour montrer l’animation qui tient ce matin cette zone notoire de Saint-Piéjac. J’en fais d’ailleurs partie, moi, Kim Bayer, puisque, lorsque tout ceci se met en place, je suis en train de cramer les mauvaises herbes qui hantent nos trottoirs à l’aide de mon principal outil de travail, un désherbeur thermique à dos Manuflam.

— Maman, regarde le lion qui arrive !
En suivant l’index que la fillette vient de dresser, Driss panote vers un mâle adulte qui arrive d’un pas rapide depuis le milieu de son aire. Puis s’arrête, s’assoit, se couche, à distance de l’enfant.
Driss est soufflé. Solène aussi.
Elle était moyennement convaincue quand le directeur technique, Sporto Klempf, leur a expliqué qu’un bon zoo c’est un zoo où on voit les animaux. Que pour voir les animaux, il faut qu’ils soient là, derrière leur enclos et pas planqués on ne sait où. Que pour être là, derrière leur enclos, il faut qu’ils aient faim. Et que pour avoir faim, il suffit de ne pas les nourrir trop.

C’est la fin de l’été 2022 ou 2023, je ne sais plus. En tout cas, l’une des dernières années avant la fin de notre ère. Saint-Piéjac est l’un de ces villages si typiquement français qu’il évolue comme bon nombre de ses semblables : aux dernières élections, une grande majorité de ses deux mille âmes en âge de voter a donné ses voix au représentant de l’extrême droite, qui a pourtant fait son plus mauvais score.

Connor range l’Eldorado en marche arrière. Il rabat la capote. Il claque la portière et ça fait le bruit d’un couvercle en fer-blanc. Il ferme le battant droit de la grange. En traversant le seuil pour attraper le gauche, il la regarde encore une fois, et encore une fois, il se dit qu’elle est moche. Même là, avec les tubes de lumière poussiéreuse qui lui tombent dessus depuis la verrière, sa peinture impeccable, ses chromes impeccables, les flancs blancs des pneus impeccables, son pare-brise sans même une mouche décalquée dessus, elle est moche.

Jean-Pierre Tomassino est un type simple, moyennement dangereux.
Juste un peu con et, partiellement, il le sait. Mais tant que ça ne remet pas en question sa place dans la hiérarchie du vivant, il accepte son sort. De toute façon, parti comme c’est parti, on ne pourra pas se passer de lui ni de ses collègues. Lundi matin, il sera au port du Havre pour charger une remorque de 13,60 m avec à son bord une demi-douzaine de colis Amazon pour un chargement total de 94,42 kilos, s’il en croit le bordereau. Direction Málaga. Ses femmes, ses corridas, sa sangria.
Eh ouais, y en a qui bossent, mesdames !

Ma maison fait beaucoup de le bruit. La nuit encore plus, avec l’humidité et puis le chaleur. C’est une lady of a certain âge. Elle a l’arthrose.