Cycle d'Omale, tome 3 : La muraille sainte d'Omale

- Contrôler le savoir, c’est contrôler la populace, éluda Umdenker. Les Escopaliens le savent bien.
(Mais il n’avait manifestement aucune affinité envers cette « populace » qui pataugeait dans l’ignorance. Son mépris était si tangible que même un Chile pouvait le sentir. Umdenker était le rejeton d’un landlord, né puis élevé pour gouverner. Tout son parcours personnel n’avait tendu qu’à cela. Sa soif de connaissances et son goût des techniques n’étaient qu’une manière se s’approprier le monde, de le plier à sa volonté.)

- On n'en voit pas la fin, c'est incroyable... On dirait qu'elle rejoint le ciel ! Les Æzirs prétendent que la Muraille Sainte serait le seul ouvrage visible depuis l'espace.
- Dire que cette merveille a été édifiée sur les bases de l'intolérance...
- Ou de la peur de changer, tout simplement, intervint un biologiste du nom de Sémian.
[...]
- Qu'est-ce que tu entends par là ? demanda Forstine.
-Nos ancêtres ont été amenés sur Omale avec les Chiles et les Hodgqins. Auparavant, nous n'avions jamais été en contact avec eux, ni aucune autre espèce intelligente : nous en aurions trouvé trace dans nos archives. Nous nous croyions certainement seuls dans l'univers, puisque les Vangk sont toujours restés invisibles. Notre arrivée sur Omale a sûrement été un traumatisme, et les premiers colons ont été confrontés à une situation que l'humanité n'avait jamais connue jusqu'alors.
-Quelle situation ?
- La compétitions ! Sur Omale, nous sommes obligés d'affronter la compétition pour notre survie et notre expansion, à l'instar de n'importe quelle espèce naturel. Et comme n'importe quelle espèce, nous avons réagi à ce stress de diverses manières : en émigrant ou en tentant d'éradiquer les espèces concurrentes...

- Des légendes sur vous ?
- Dans le but d’effrayer les braves gens et de les dresser contre moi. Pour mes péchés, j’aurais été condamné à ne jamais pouvoir traverser les ponts, et donc obligé de passer à côté, en marchant dans le vide… C’est idiot, bien sûr. Mais est-ce que ce n’est pas poétique ? Comme je suis censé commercer avec le Démon, il m’est impossible de marcher pieds nus sur la terre sacrée : elle me brûlerait la plante des pieds jusqu’à l’os…

Un groupe de Chiles descendait la rue ; ils discutaient avec deux jeunes hommes portant des caisses de fruits - sans doute pour les leur acheter. Ils saluèrent les arrivants à leur passage.
- J'ai du mal à croire que nous sommes si loin des Bordures, fit Forstine. Tout a bien changé ici... C'est comme si nous étions partis depuis deux siècles.
- Parce que nous ne sommes pas opposés au changement, répondit Stépfanis en souriant. Ni à l'argent : nous acceptons la présence chile en échange de métal et de denrées.
Forstine opina pensivement.
C'est dans l'ordre des choses. Le premier point d'accord entre les rehs est toujours commercial. Un premier pas vers une compréhension mutuelle...
- Nous n'en sommes pas encore là, l'interrompit Stéfanis. Pour le moment, nous ne faisons que louer notre... comment disent-ils ? notre espace aérien.

Le centre de la place se gonflait d'un tumulus herbu. En donnant un coup de pied dedans, Valère mit au jour un monceau de livres à moitié brûlés, un ancien autodafé. Ce genre dé découverte était devenu si courant que ce n'était même pas la peine de le mentionner.

L’enfer chile est occupé par les Humains, les Hodgqins et les athées ; l’enfer humain, par les Chiles, les Hodgqins et les athées. Dans l’enfer hodgqins, il y a de mauvais Hodgqins, des Chiles, des Humains et des athées. Dans les trois enfers, les athées occupent les endroits les plus sombres, mais qui communiquent. C’est pourquoi, par-delà les rehs, l’ennemi sera toujours l’athée.

Précepte de la Vraie Foi.

Dans le discours qui suivit, Haka décela la rhétorique guerrière employée de toute éternité : ils menaient une guerre juste destinée à libérer le peuple de Mabal injustement opprimé par ses édiles. La probabilité qu’il leur faudrait éliminer une bonne partie du peuple en question, et peut-être même la majorité, pour sauver l’autre partie ne fut évidemment pas soulevée. En réalité, cela ne revêtait aucune importance. L’heure n’était pas aux questionnements.

Le terrain s’effondrait brutalement sur deux milles mètres. Un vaste plateau s’étendait jusqu’à l’horizon. C’était un spectacle tel qu’on n’en voyait guère qu’aux Confins.
- Magnifique, n’est-ce pas ? fit Umdenker en le rejoignant.
Haka ne l’avait pas entendu venir derrière lui.
- En effet, dit-il, bien qu’il fût peu sensible à la beauté de la nature. C’est comme si les « wohraïns »… les Vangk, comme vous les appelez, avaient oublié de modeler un relief sur cette portion de territoire. Ce qui se conçoit aisément vu les dimensions d’Omale.
- Ainsi, vous appelez les Vangk du nom de whohraïns… Il faudra que nous en discutions.
Il sourit.
- En tout cas, s’ils font réellement ce genre d’oubli, cela me les rend plutôt sympathiques.
- Sympathiques ?
- Cela prouve qu’ils ne sont pas parfaits. Et par conséquent, moins divins.

Se pourrait-il qu’il en soit des religions comme des espèces animales : que l’une chasse l’autre à l’exemple d’un animal mieux adapté à son milieu ?

Tu ferais un piètre joueur de fejij, se dit Haka. S’il y a une chose que le jeu nous enseigne, c’est qu’en certaines circonstances l’absence d’action est une forme d’action. Qu’elle est l’inverse de la passivité si on l’intègre à son mode d’action général.