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Critique de Enderlion


Je me serais volontiers lancé dans la rédaction d'une critique, mais pour raconter quoi ? Que puis-je dire de plus qui n'a pas déjà été dit ? Sinon me jeter corps et âme dans un billet dithyrambique, un de plus ! A quoi bon ?
Autant partager la récente expérience sur les différentes traductions à laquelle m'a conduit ma dernière lecture - la troisième - de ce petit livre fabuleux.

Découvert lors de la première crise existentielle qui frappe généralement l'adolescence, le Prophète de Khalil Gibran a été pour moi - comme pour un grand nombre de lecteurs - ni plus ni moins qu'une révélation.
J'ai pour ce livre une affection sans limite, un amour inconditionnel. Il m'a tant apporté et cela, sans que je m'en rende compte à la première lecture. Tout comme L'Alchimiste de Paulo Coelho, il a nourrit ma conscience avec de la matière neuve à penser, laquelle m'a rapidement permis d'établir les fondations saines d'une réflexion nouvelle dans mon jeune esprit d'alors déjà grand ouvert sur l'univers - c'était dans une autre vie.

Patu initialement en 1923, le Prophète de Khalil Gibran (1883-1931) a été traduit et publié à de nombreuses reprises, par plusieurs éditeurs, et dans différents formats.
Le texte original rédigé en anglais a été traduit en français un grand nombre de fois, et parmi les traductions, voici les plus reconnues :

Madeline Mason-Manheim (1908-1990)
Poétesse et traductrice américaine francophone,
Sa traduction a été publiée en 1926.

Anne Wade Minkowski (1924-2017)
Traductrice d'origine américaine francophone,
Sa traduction a été publiée en 1992 chez Gallimard.
(* note personnelle : vu l'âge de la traductrice, je m'étonne de cette date de traduction si tardive et soupçonne une date antérieure à 1992)

Camille Aboussouan (1919-2013)
Avocat, diplomate, écrivain, bibliophile et traducteur libanais francophone,
Sa traduction a été publiée en 1956 chez Casterman.

Marc de Smedt (1946-)
Éditeur, écrivain, journaliste français, spécialiste des techniques de méditation et des sagesses du monde,
Sa traduction a été publiée en 1990 chez Albin Michel.

Jean-Pierre Dahdah (1961-)
Écrivain, scénariste, traducteur et journaliste français, professeur d'arabe et documentaliste,
Sa traduction a été publiée en 1995 chez J'ai Lu.

Soit cinq traductions, officielles dirons-nous.
Personnellement, je n'en connais que trois. Celles de Camille Aboussouan, Marc de Smedt et Jean-Pierre Dahdah que j'ai découverte dernièrement.
C'est cette dernière version qui m'a donné l'idée de ce billet, idée que je trouvais sympa et instructive pour qui voudrait, en fan de Khalil Gibran, avoir une vue plus large sur son ouvrage de référence qu'est le Prophète.

Parmi la pléthore de traductions restantes, une seule a retenu mon attention, m'intriguant au point de motiver son acquisition future. Il s'agit de celle de :

Omayma Arnouk el-Ayoubi (1955-)
Traductrice d'origine syro-libanaise,
Sa traduction a été publiée en 2008 chez Editions Alphée puis en 2011 chez Encre d'Orient.

Et il en existe encore tant d'autres. C'est à se demander d'ailleurs comment un tel nombre de traductions a pu proliférer. À croire que n'importe quel éditeur peut se lancer dans la publication de ce texte avec sa propre traduction sous le prétexte fallacieux de "le remettre au goût du jour" ou de "le rendre plus accessible aux générations de l'époque en cours", ce qui, vous en conviendrez, signifie la même chose : le réactualiser au nom du profit. Bref, c'est une honte ! Une véritable insulte faite à cet auteur de génie et à son oeuvre, en particulier à ce livre intemporel.
A ce propos, Amin Maalouf, un écrivain libano-français, fait part d'un ressenti semblable dans la préface d'une de ces rééditions du livre en 1993 :
« Je ne connais pas d'autre exemple, dans l'histoire de la littérature, d'un livre qui ait acquis une telle notoriété, qui soit devenu une petite bible pour d'innombrables lecteurs, et qui continue cependant à circuler en marge, comme sous le manteau, sous des dizaines de millions de manteaux, comme si Gibran était toujours un écrivain secret, un écrivain honteux, un écrivain maudit. »
Ceci dit, je vous déconseille cette réédition pondue par le Livre de Poche et traduit avec les pieds par une dénommée Janine Levy.
Tout comme je vous déconseille la version de chez Pocket, traduite avec une truelle par un certain Didier Sénécal.
En fait, je vous déconseille les éditions actuellement dans le commerce. Je vous en conjure, ne donnez pas du grain à moudre à ces éditeurs corrompus par la course aux bénéfices. Orientez votre choix vers d'anciennes versions aisément trouvables en occasion. J'ose croire que le message est passé.

Ma découverte d'une troisième traduction a aussi motivé ce qui va suivre, une sorte de petit comparatif - rapide et concis - des trois traductions que j'ai lues, tout cela au travers du premier paragraphe du livre que vous allez (re)découvrir sous trois formes, trois visions, finalement pas si éloignées que cela, quoique l'une d'entre elles trouvera certainement votre préférence.
Vous allez voir, c'est assez édifiant.

***

Le Prophète édition Casterman
Traduit par Camille Aboussouan :

Almustapha, l'élu et le bien-aimé, qui était l'aurore de son propre jour, avait attendu durant douze années dans la cité d'Orphalese que revînt le vaisseau qui devait le ramener dans l'île de sa naissance.
Et la douzième année, au septième jour d'Ielool, mois de la récolte, il gravit la colline hors des murs de la ville et regarda la mer ; et il aperçut son vaisseau venant avec la brume.
Alors les portes de son coeur furent arrachées et sa joie vola loin sur la mer. Et il ferma les yeux et pria dans les silences de son âme.

***

Le Prophète édition France Loisirs
Traduit par Marc de Smedt :

Al Mustapha, l'élu et l'aimé, qui était l'ombre de son propre jour, avait attendu douze ans durant dans la ville d'Orphalese son bateau qui devait revenir et le ramener à l'île de sa naissance.
Et, dans la douzième année, le septième jour de Ielool, mois des moissons, il grimpa sur la colline située hors des murs de la cité et scruta la mer ; et, venant avec la brume, il aperçu son navire.
Alors les portes de son coeur s'ouvrirent en grand, et sa joie exulta loin au-dessus de la mer. Et, les yeux clos sur les silences de son âme, il pria.

***

Le prophète édition Librio
Traduit par Jean-Pierre Dahdah :

Al-Mustapha, l'élu et le bien-aimé, cette aube qui commençait à poindre à la rencontre de son propre jour, avait attendu, douze années durant dans la cité d'Orphalèse, le retour de son vaisseau, lequel devait le porter à nouveau vers son île natale.
Lors de la douzième année, au septième jour de Ayloul, le mois des moissons, il gravit la colline hors des murailles de la cité.
Scrutant l'horizon, il aperçut son vaisseau voguer avec la brume sur les eaux.
Les écluses de son coeur furent grande ouverte, et sa joie s'envola par-delà les flots. Puis, les yeux clos, il se recueillit dans les silences de son âme.

***

Et voilà !
A mes yeux, les visions de Camille Aboussouan et Marc de Smedt sont les plus "justes" à quelques détails près. Mais c'est justement ce qui fait la différence : une tournure, une répétition, parfois un simple mot, en moins ou en trop...
Et si je ne devais en choisir qu'une, ce serait probablement celle de Marc de Smedt, rien que pour la dernière phrase qu'il traduit à la perfection.

Et si vous voulez mon avis, c'est avec ce genre de petit comparatif qu'on se forge un avis solide et sûr. Allez jeter un coup d'oeil sur les versions que je vous ai déconseillées et vous verrez le carnage. Un premier paragraphe et la dernière phase sont les élément capitaux, surtout dans ce type de livre.

Vous voulez voir la dernière phrase ?
Sûr ?
Allez, c'est parti. Et je vous laisserai là-dessus.
Enjoy :

!!! SPOILERS !!!

***

Le Prophète édition Casterman
Traduit par Camille Aboussouan :

« Un instant, un moment de repos sur le vent, et une autre femme m'enfentera. »

***

Le Prophète édition France Loisirs
Traduit par Marc de Smedt :

« Un court instant, un moment de repos sur le vent, et une autre femme me portera. »

***

Le prophète édition Librio
Traduit par Jean-Pierre Dahdah :

« Un petit instant, un moment de repos sur le vent, et une autre femme me portera en son sein. »

***

Paix sur vous.
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