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Critique de 5Arabella


Ce court roman de Gide paraît en 1902 lorsque son auteur a 33 ans, et il est une étape dans la reconnaissance littéraire de Gide, malgré son contenu sulfureux.

Le récit est emboîté dans un récit cadre, la lettre d'un ami de Michel, le personnage principal. L'ami en question s'adresse à quelqu'un qu'il appelle son cher frère, et à qui il demande de trouver un emploi pour Michel, à la mesure de ses capacités. Il se trouve auprès de Michel, avec deux autres amis, Denis et Daniel, car Michel les a appelé pour faire une sorte de confession, le récit du tour qu'a pris son existence les trois dernières années. Et c'est ce récit que l'auteur de la lettre joint à cette dernière, et qui constitue la plus grande partie du livre. le récit est à la première personne, c'est Michel qui parle. Un Michel qui par de nombreux aspects ressemble à l'auteur.

Le livre débute à la mort du père de Michel, qui pour respecter une promesse faite à ce dernier, se marie, sans amour, plutôt par devoir. Il part en voyage de noces avec sa femme, Marceline. Arrivés en Afrique du Nord, il se découvre malade, presque condamné par les médecins. Mais sa femme va le soigner avec dévouement, et malgré les sombres prédictions, le guérir. Ils reviendront en France, Michel reprendra une brillante carrière d'universitaire. Mais quelque chose s'est transformé en lui pendant le voyage, pendant sa remontée de la mort à la vie. Il ne trouve plus dans sa vie d'avant le même intérêt que précédemment, malgré ses succès, et la grossesse de sa femme. La rencontre avec un certain Ménalque va encore plus détacher, faire douter Michel de l'intérêt d'une vie conventionnelle. Sa femme fait une fausse couche, et elle est très affaiblie. Un nouveau voyage, dans le but revendiqué d'aider à la guérison de sa femme, se transforme en fuite infernale, de plus en plus difficile à suivre pour Marceline. Les époux reviennent en Afrique du Nord, où le drame va se dénouer.

Gide met d'emblée en exergue le fait qu'un écrivain n'a pas à juger ses personnages, à prendre parti, à décider le bien ou le mal de ce qu'il décrit. Ce qui veut dire qu'il laisse d'une certaine manière cette responsabilité à ses lecteurs. le récit est très neutre, Michel décrit, suggère, ne semble pas prendre parti, n'exprime pas beaucoup d'émotions, semble vouloir rendre compte d'une manière objective. Mais sa narration est glaçante. Il abandonne sa femme enceinte souffrante, la fausse couche de cette dernière pendant son absence semble visiblement l'arranger. Il traîne la malheureuse dans des voyages qui vont l'épuiser, et sans doute précipiter sa mort. Et par ailleurs, il laisse entendre, sans l'expliciter complètement, son goût pour la pédophilie, apparu pendant le premier séjour en Afrique du Nord. Aucun regret, doute, sentiment de culpabilité, questionnement.

Et d'une certaine manière, tout le monde est coupable, et le narrateur pas plus, voire moins que les autres. C'est Marceline qui pendant la maladie de Michel s'est intéressée aux enfants, et qui les a amené à son mari. Dans une scène de perversité trouble, Michel surprend dans une glace, un de ces enfants en train de voler une paire de ciseaux. Il s'en réjouit, laisse entendre l'emprise, le pouvoir, que cela lui donne. Pour découvrir, et faire découvrir au lecteur-auditeur, que le petit garçon s'est rendu compte de ce que Michel le regardait, et en fait plus qu'une victime constante, un complice volontaire. Ménalque, qui lui révèle le fait lui dit « ...vous jouiez au plus fin ; à ce jeu, ces enfants nous rouleront toujours. Vous pensiez le tenir et c'était lui qui vous tenait »Tout le monde est au même plan, il n'y a pas de confession au sens d'aveux, de culpabilité, parce qu'il n'y a pas de raison de se sentir coupable, tout le monde est d'une certaine manière impliqué. le dernier niveau étant l'implication des personnes à qui Michel fait sa « confession » les amis du roman et au final le lecteur lui-même. S'il l'a suivi jusque là, il est incontestablement impliqué.

C'est une lecture authentiquement dérangeante. C'est terriblement brillant, d'une redoutable intelligence, mais très questionnant. Michel rejette le carcan d'une société conventionnelle et mutilante, suite à ce qu'il éprouve comme le goût de la mort, mais ce qu'il décide de vivre à la place n'est guère réjouissant, une forme de prédation dont il rend tout le monde complice. En particulier par le talent avec lequel l'auteur, alter-ego du personnage, tisse son récit, sa toile aurai-je envie de dire. J'avoue en être sortie ébranlée.
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