Instauré par l'URSS, le blocus de Berlin avait comme objectif d'user les Alliés occidentaux, afin de les inciter à quitter l'ancienne capitale du Reich. Mais ceux-ci ne cédèrent pas et décidèrent d'emprunter la voie des airs pour approvisionner leurs secteurs.
Il ralentit l’allure avant de se figer. D’instinct, il sentit que l’affaire était grave. Il arrêta d’un geste son copain Schorsch, qui s’apprêtait à surgir du bois pour chasser l’intruse.
— Attends.
Étonné, son camarade fronça les sourcils.
— Essayons d’abord de comprendre ce qui se passe, ajouta Sven en pinçant les lèvres comme le faisaient ses héros préférés de westerns.
Il prit la tête du petit groupe et s’avança avec prudence vers la rive. Le visage rougi, la fillette suçait nerveusement son pouce. Elle paraissait à la fois effrayée et fascinée par ce qu’elle contemplait en contrebas du talus.
Sven suivit son regard. Les épaisses frondaisons de la futaie bruissaient et noyaient la berge dans un demi-jour crépusculaire. Il dut s’approcher tout près de l’inconnue pour découvrir ce qu’elle observait.
Quelque chose d’indistinct miroitait d’un éclat bleuté dans la bourbe. Plissant les yeux, Sven fit encore un pas avant de pouvoir identifier le mystérieux objet.
Un morceau de viande. Au milieu de la partie tranchée, rouge sombre, jaillissait un os d’un blanc étincelant. Sven avait déjà vu ce genre de pièce chez le boucher. Derrière lui, ses amis échangèrent des murmures. Eux aussi avaient reconnu de quoi il s’agissait.
Dans le limon fangeux gisait un jarret, prolongé par un pied. Toutefois, il ne provenait pas d’un bœuf ou d’un porc, mais bel et bien d’un homme.
L’inquiétude qu’il parvenait à refouler depuis plusieurs mois se réveilla brusquement. À Berlin-Ouest, le taux de suicide — en moyenne 7 par jour — avait quadruplé en quelques semaines. Beaucoup de Berlinois perdaient espoir, et la mort représentait alors l’unique issue à leur situation.
(Calmann Levy, p.274)
Sur le chemin du retour, Oppenheimer se sentait un peu nerveux. Ce n’était pas dû à leur nouvelle affaire, mais à la réforme monétaire qui se profilait. Cela faisait deux semaines que des rumeurs couraient sur la disparition prochaine du reichsmark. Les bruits s’étaient même intensifiés lors des derniers jours. Personne ne savait toutefois ce qui suivrait cette probable abolition. Afin de ne pas perdre de l’argent, il semblait judicieux de vider son porte-monnaie en achetant des produits qu’on revendrait ensuite, une fois la réforme passée.
Les mains plongées dans les poches de son imperméable, Oppenheimer se dirigeait sans se presser vers la baie de Rummelsburg, nichée entre la presqu’île de Stralau et le district de Lichtenberg. C’était sur la rive nord qu’avait été retrouvé un membre amputé. Les habitants avaient surnommé le lieu « berge de Bolle »
Un morceau de viande. Au milieu de la partie tranchée, rouge sombre, jaillissait un os d’un blanc étincelant. Sven avait déjà vu ce genre de pièce chez le boucher. Derrière lui, ses amis échangèrent des murmures. Eux aussi avaient reconnu de quoi il s’agissait.
Dans le limon fangeux gisait un jarret, prolongé par un pied. Toutefois, il ne provenait pas d’un bœuf ou d’un porc, mais bel et bien d’un homme.
Sven suivit son regard. Les épaisses frondaisons de la futaie bruissaient et noyaient la berge dans un demi-jour crépusculaire. Il dut s’approcher tout près de l’inconnue pour découvrir ce qu’elle observait.
Quelque chose d’indistinct miroitait d’un éclat bleuté dans la bourbe. Plissant les yeux, Sven fit encore un pas avant de pouvoir identifier le mystérieux objet.
— Attends.
Étonné, son camarade fronça les sourcils.
— Essayons d’abord de comprendre ce qui se passe, ajouta Sven en pinçant les lèvres comme le faisaient ses héros préférés de westerns.
Il prit la tête du petit groupe et s’avança avec prudence vers la rive. Le visage rougi, la fillette suçait nerveusement son pouce. Elle paraissait à la fois effrayée et fascinée par ce qu’elle contemplait en contrebas du talus.
Il ralentit l’allure avant de se figer. D’instinct, il sentit que l’affaire était grave. Il arrêta d’un geste son copain Schorsch, qui s’apprêtait à surgir du bois pour chasser l’intruse.
— Attends.
D’ordinaire, les changements irréversibles ne s’annoncent pas à l’avance. Ils surgissent du néant sans prévenir. C’est justement ce qui arriva à Sven ce jour-là. Le garçon turbulent et ses trois amis attendaient impatiemment la fin de leur dernière heure de cours. Aucun d’eux ne se doutait qu’ils feraient connaissance avec la mort après l’école.