- Ça commence comme ça, l'écriture, la peinture, la musique. Toujours. Par un manque intolérable.
Ce matin, assise sous la table aux couleurs, j'écoute la rumeur du monde, j'entends respirer les enfants porteurs de briques au Bangladesh, j'entends souffler les phoques barbus dans leur trou de glace quelque part en Antarctique, j'entends les klaxons du trafic à Jakarta, je sens trembler la Terre dans les montagnes d'Asie, j'entends le tic-tac de la ceinture du kamikaze, j'entends le feulement des chats dans le terrain vague, le craquement de la banquise qui se détache du glacier, le raclement des coquillages au fond des mers, celui de mon stylo sur la page, j'entends l'eau qui goutte dans l'évier de l'atelier, ce matin, je suis le monde à moi toute seule
Extrait de la rencontre entre un auteur et des jeunes :
"Et là, au milieu de ce vide, un gars trop gros, un nouveau, a levé la main.
- Moi, l'été passé, je me suis écrit des cartes postales quand je suis allé en vacances au bord de la mer.
Le troupeau s'est esclaffé. Étranglés de rire, ils étaient. Lui, il a rougi violemment. Il ne pouvait pas disparaître. Son corps prenait trop de place.
- Moi aussi, as-tu répondu, le regardant comme si vous étiez les deux seules personnes sur la planète Terre. Moi aussi je me suis déjà envoyé des cartes postales. Quand j'étais revenue à la maison, j'avais eu l'impression que quelqu'un avait pensé à moi.
La classe de débiles s'était figée. Moi, en arrière, je hurlais dans ma tête: Allez! Continue! Aide-le si tu en es capables. Es-tu capable, l'écrivaine?"
Dernier jour. Moi et lui, face à face, pendant que nos coeurs brûlaient, on a gardé les yeux ouverts, tout le temps, jusqu'au bout, au coeur de la tempête qui nous secouait. Et j'ai accepté de me perdre, de me liquéfier, de disparaître dans le bleu océan des yeux d'Ulysse. Alors j'ai su que j'étais guérie de mes peurs.