Il inspirait la méfiance qu'inspire toujours celui qui ne semble pas avoir de vices, donc pas de vertus non plus.
Il ne pouvait pas être avec elle, et il ne pouvait pas rester sans elle.
Alors qu'il marchait dans le soleil couchant, il pensait que l'amour est une racine empoisonnée qui cherche son chemin pour survivre : une maladie mortelle évoluant lentement à laquelle on peut s'adapter, et qui fait préférer la souffrance au bien-être, la douleur à la tranquillité, l'illusion à la certitude.
Des dizaines de bambins et de vieillards tombaient malades chaque jour par manque d'hygiène et mouraient chez eux
ou à l'hôpital, dans le silence de la presse et de la radio. ricciardi se demandait comment les journalistes pouvaient cacher cette situation catastrophique, et faire la une de leurs éditions avec les visites princières et les prouesses des aviateurs qui réussissaient leurs premiers vols transatlantiques.
La faim, l'amour ; le désir de possession, l'attrait du pouvoir, le mensonge, l'infidélité. Le délits dont Ricciardi était quotidiennement le témoin naissaient de tout cela.
C'était un fait de se trouver face à la Chose par hasard, tandis qu'on marchait dans la rue ou qu'on passait là où un accident s'était produit auparavant ; c'en était un autre d'aller au-devant d'elle. Le sacrifice de sa part consistait en ceci : accepter de prendre sur lui toute la douleur, laisser le dernier frémissement de la vie venir à sa rencontre et le traverser comme un brouillard ensanglanté.
Il aimait la manière dont Ricciardi faisait sienne la douleur des victimes et de leurs parents, et aussi sa capacité à comprendre, voire justifier, les motifs de certains crimes, en partageant avec les coupables le drame de leur vie gâchée.
Il lut la nouvelle date : dimanche 23 août 1931_IX. An neuf. De la nouvelle ère. L'ère des bottes, et des képis ornés de pompons, des photographies en pleine page d'hommes en bras de chemise poussant la charrue. de l'enthousiasme et de l'optimisme. De l'ordre et des villes propres, par décret.