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Critique de Kirzy


Kirzy
02 novembre 2022
°°° Rentrée littéraire 2022 # 42 °°°

22 juin 1999, c'est le jour qui coupe en deux la vie de Brigitte Giraud. Son mari Claude meurt brutalement, tué lors d'un accident de moto. Elle a 36 ans, un petit garçon, une maison fraichement achetée en couple mais qu'elle habitera seule avec son fils. Elle a déjà écrit sur son deuil dans A présent ( 2001 ), un court récit à chaud, bouleversant, sur les émotions urgentes qui l'ont assaillies immédiatement après la perte. Vivre vite est très différent, dans sa forme comme dans son fond. « ça fait vingt ans et ma mémoire est trouée. Il m'arrive de te perdre, je te laisse sortir de moi. »

La béance intime est toujours présente, mais ici, Brigitte Giraud a décidé de pétrir le réel, de le façonner en questionnant l'imperceptible enchaînement de circonstances qui font le chaos en devenir. Son écriture s'est patinée après deux décennies de deuil, calme, factuelle, toute en retenue. Aucun robinet à pathos, mais une politesse du désespoir jamais triste où pointe même un certain humour, sans pour autant empêcher une émotion vibrante de naître au détour d'une phrase.

La construction du récit est très importante : un prologue et surtout un épilogue admirables de précision et de sensibilité, et entre les deux, une litanie de « Si », comme une enquête refaisant le film, comme un compte à rebours dont on connait l'issue, comme un puzzle de scènes du quotidien qui ont précédé le drame. Ces 23 chapitres de « Si » retrouvent la limpidité des instants, ressuscitant Claude et le couple formé avec lui. Avec ses « Si », Brigitte Giraud semble vouloir empêcher l'accident, imaginant ce qui aurait pu l'empêcher si les « Si » s'étaient accomplis, interrogeant ainsi la notion de destin dont les forces extérieures nous amèneraient inexorablement à une catastrophe ou qu'on pourrait contrôler en être responsable de nos actes.
On entre aisément en empathie avec la chair sensible du récit qui transforme un drame intime et privé en une expérience universelle du deuil.

J'ai lu la première moitié du roman, charmée par l'écriture de Brigitte Giraud, avec la belle impression que l'écriture joue comme activateur de mémoire, l'écriture initiée enclenchant le processus mémoriel et faisant galoper le cerveau de mile questions entre obsession et culpabilité. J'ai lu gentiment sans pour autant être totalement embarquée.

Et puis, il y a quelque chose qui se passe au mitan, qui dépasse la simple autofiction retravaillée, lorsque Brigitte Giraud explore des pistes presque farfelues qui font basculer le récit dans une sorte d'uchronie folle tant les ruminations de l'auteure la conduisent à un délire toujours autant empli de l'urgence d'exorciser la peur de la perte de l'autre, même plus de vingt ans après. Ainsi elle s'imagine que Claude aurait pu être sauvé s'il avait écouté avant d'enfourcher sa moto Don't panic de Coldplay plutôt que Dirge de Death in Vegas, plus long. Et si Tadao Baba, l'ingénieur nippon de la surpuissante Honda, n'avait pas inventé la surpuissante moto ? C'est le « Si » numéro 18 qui m'a le plus emballée : « Si Stephen King était mort le samedi 19 juin 1999 » trois jours avant l'accident de Claude. Par son retentissement planétaire, cette mort aurait peut-être pu détourner le fatum, Claude aurait senti l'odeur du danger flotter, l'aurait dissuadé à se mettre en danger.

Bien plus prenante que le sujet en lui-même et le dispositif des « Si » ne le laissaient entrevoir, cette généalogie d'une catastrophe à venir se révèle étonnamment pleine de vitalité et de douceur. J'ai refermé le livre touchée par la sincérité de Brigitte Giraud, par sa simplicité à mettre des mots justes sur l'universalité de la perte et de la reconstruction.
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