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Critique de HordeDuContrevent


D'hier à aujourd'hui. D'un auteur russe condamné à l'exil à un autre. Ma lecture récente d'Evguéni Zamiatine qui a quitté la Russie en 1931 étant persécuté par la censure stalinienne, m'a conduite à m'intéresser à Dmitry Glukhovsky qui risque actuellement jusqu'à dix ans de prison depuis sa prise de position publique très critique vis-à-vis de Poutine dès le début des combats en Ukraine. Cet auteur a été contraint lui aussi de fuir la Russie et vit désormais en Europe. C'est l'auteur, entre autres, de Métro 2033, de Sumerki, de Nouvelles de la mère patrie et donc de FUTU.RE. J'ai choisi ce dernier roman pour découvrir cet auteur et bien m'en a pris. Il s'agit d'un très bon livre de science-fiction accessible à tous - même les non férus de SF l'ovationnent c'est dire (si si, allez voir les différentes critiques) -, un véritable « page-turner » qui propose une vision effrayante et glaçante de notre monde au 25ème siècle (en 2455 très exactement).


Un monde surpeuplé. Trois trillions d'humains (cent-vingt milliards rien qu'en Europe). Nous pouvons très bien imaginer ce que cela représente en terme de villes hérissées de tours gigantesques aux milliers d'étages (et plus on est riche, plus on vit proche du ciel), de promiscuité, de bruit, d'odeurs, de chaos…mais monde dans lequel l'homme a trouvé le moyen de ne plus vieillir et de vivre éternellement grâce à une avancée médicale. Les cancers sont de vieux souvenirs, les maladies inexistantes. Par ailleurs, il n'y a plus de moyens de transport personnels mais des transports en commun ultra-rapides, la viande est synthétique et les insectes sont la base de toute nourriture. le bonheur quoi, qui vaut bien la peine de s'entasser, de manger et de se déplacer différemment, de ne plus voir la terre recouverte de béton et de composite, non ?

Je vous vois froncer les sourcils : comment peut-on concilier surpopulation et immortalité ? Paradoxale le monde imaginée par Glukhovsky, invraisemblable, voire incohérent ? Non. Les différentes régions du globe qui ont en leur possession le remède ont trouvé comment y faire face.
La Panamérique en proposant l'immortalité uniquement à ceux qui peuvent se la payer, solution capitaliste ;
la Chine en castrant sa population voilà deux cent ans, solution radicale ;
la Russie en la réservant seulement à l‘élite politique à coup de corruption et de mensonge à sa propre population, solution immorale ;
l'Europe, elle, pour faire face à ce problème de surpopulation et de limitation des ressources, propose à tous ses habitants, quelles que soient ses ressources, de faire un choix. C'est la loi du Choix. Solution terrifiante sous couvert d'éthique.

Un choix obligatoire décidé par la loi, un choix cornélien, un choix diabolique, un choix inhumain. Un choix qui touche à notre part la plus intime. Et c'est pour cela que ce livre fascine tous lecteurs quelle que soit sa familiarité avec la science-fiction.

Toute personne a droit à l'immortalité si et seulement si elle accepte de ne pas avoir d'enfant. Sinon, si un couple décide de procréer, la grossesse doit être déclarée et un des parents doit se sacrifier : il se verra injecteur un sérum métabolique qui va accélérer son vieillissement. Il aura environ dix ans à vivre au cours desquels ses fonctions vitales vont très vite se dégrader, son corps va se flétrir, la sénilité et l'incontinence deviendront son quotidien. Dix ans à profiter de son enfant et d'une vie familiale…enfin vie familiale sous réserve que l'autre conjoint, resté jeune, accepte cette dégradation. Un mort pour une vie.
Le hic, c'est lorsque la grossesse n'est pas déclarée, qu'elle devient donc illégale. Les femmes enceintes sont en général repérées soit par le taux de gonadotrophine dans les eaux usées, les canalisations étant truffées de senseurs, soit dénoncées par des voisins. Une organisation armée paramilitaire, la Phalange, intervient dans ce cas. Une armée d'hommes insensibles et brutaux portant un masque d'Apollon, des Tasers et des seringues, viennent confirmer l'illégalité de la grossesse, injectent à un des deux parents le sérum et kidnappent l'enfant afin que celui-ci soit placé dans un terrible internat dont le but est précisément de former les membres de cette effroyable et glaçante Phalange, et de devenir ainsi ceux qu'on appelle « les Immortels ».

Des hommes et des femmes surentrainés, qui n'ont ensuite droit à aucune vie familiale, et dont l'objectif, ad vitam aeternam, est de remplir cette mission de briseur de famille. Perpétrer des pogroms inlassablement. le moindre manquement au règlement, le fameux Codex, les amène au broyeur afin de devenir du compost, poussière parmi la poussière. Il faut dire qu'ils ont été à bonne école. L'internat est pire que le pire de vos cauchemars. Ses méthodes sont d'ailleurs controversées et critiquées. C'est un centre de dressage d'enfants, sans fenêtre, tout le temps allumé et truffé de caméras et de micros, usant de torture, de bourrage de crâne, et d'entrainements intensifs, broyant toute âme et sentiments en eux. Un lieu où les règlements de compte et la loi du Talion sont légion. seule une heure de cinéma par jour constitue leur unique source de rêve, d'espoir et d'accalmie.

L'histoire est racontée par un des immortels, le Matricule 717 lorsqu'il était à l'internat, Jan désormais dans la vie civile. Sa vie dénuée de sens va basculer le jour où un sénateur lui propose d'éliminer en sous-main un activiste de l'opposition, le leader du Partie de la Vie. Ce faisant il va rencontrer Annelie…Et tout va basculer. Ses certitudes vont s'effondrer, sa part humaine va éclore telle une fleur sauvage. C'est haletant, captivant et touchant. Les imbroglios politiques et géopolitiques s'entremêlent à cette histoire d'amour qui éclaire d'une lumière magnifique ce roman terriblement trash par ailleurs, bousculent cette trajectoire personnelle aux innombrables fractures dont le destin était tout tracé. Destin qui va connaitre des rebondissements tout simplement captivants.

Bon il faut reconnaitre que, au départ, Jan est très dur à aimer, j'ai mis du temps à ne plus éprouver de malaise vis-à-vis de ce personnage principal du roman.
Raciste, misogyne, violent, son parcours explique son caractère mais il m'a fallu plusieurs dizaines de pages pour l'accepter et déceler en lui son côté émouvant, son véritable moi. Plusieurs dizaines de pages pour m'adapter au style du livre.
Et au fur et à mesure du récit, Jan l'est de plus en plus, émouvant. de plus en plus humain. Au fil des pages, il est de plus en plus passionnant, ce livre. Et entre des passages trashs, notamment quand ils ont trait à la vision des rares personnes âgées, la vieillesse étant vue comme une horreur absolue (et que dire de la vision d'un cadavre..), flottent de nombreux ilots de poésie d'une beauté renversante.

« Elle me dépose un baiser sur le front et, là où ses lèvres m'ont effleuré, s'allume un soleil ».

Il est passionnant de voir ce que cette immortalité engendre sur la spiritualité et la philosophie. L'homme étant devenu un dieu, il n'y a notamment plus aucune place pour la religion, les églises se transformant soit en musée, soit carrément en maison de passe de luxe. Sans la Mort, plus la peine de terrifier le peuple avec l'enfer et de lui faire espérer le Paradis. C'est glaçant, décadent, d'un cynisme et d'une provocation folle de la part de Glukhovski. Les européens sont désormais les maitres d'un nouvel Olympe, les hérauts d'une nouvelle Antiquité, dans lesquels ils se pensent être devenus des Dieux. Nous savons ce qu'il advient des humains lorsqu'ils se prennent pour des Dieux…
Passionnant d'imaginer ce que signifie la notion de beauté, lorsque tout le monde reste éternellement jeune.
Le livre aborde également brillamment les conséquences pour les peuples des pays qui n'ont pas accès à l'immortalité, conséquences en termes d'émigration et d'inégalité ressentie de façon terriblement injuste. Barcelone, dans ce livre, est une mégalopole bouillonnante où les réfugiés viennent en masse se réfugier à la porte de l'Europe unifiée.

« Nous ne faisons rien de notre éternité. Quel grand roman a-t-il été écrit au cours du dernier siècle ? Quel grand film tourné ? Quelle grande découverte réalisée ? Je n'ai rien qui me vienne à l'esprit. Nous n'avons rien fait de notre éternité. La mort nous fouettait, Jacob. Elle nous obligeait à nous hâter. Elle nous obligeait à faire usage de notre vie. Jadis, la mort était visible partout. Chacun l'avait présente à l'esprit. C'est une structure : voici le début, voici la fin ».

Un livre qu'on ne lâche pas facilement tant sa beauté vénéneuse est à la fois fascinante et troublante, tant son rythme est soutenu et haletant. La loi du Choix touche à l'intime, à ce qui constitue notre essence, loi qui se déploie dans un contexte d'un réalisme saisissant. La mort de la mort, narrée dans ce ton parfois trash peut déstabiliser. L'auteur russe est très loin du politiquement correct mais il insère entre deux passages violents ou glaçants des passages poétiques hallucinants. Un excellent livre de SF qui me donne envie de découvrir les autres livres de cet auteur russe courageux et actuellement loin de sa Terre natale. A noter que certains de ses livres s'accompagnent d'une bande-son ce qui a particulièrement le don de me plaire (et me rappelle bien sûr La horde du contrevent pour laquelle Alain Damasio a également composé une bande-son à écouter en lisant le livre) et que Metro 33 peut être lu gratuitement sur internet et commenté par les lecteurs eux-mêmes. Soulignons également, à l'heure des Utopiales (le salon international de la SF) ce week-end même dans ma région, que Dmitry Glukhovski a obtenu le prix européen des Utopiales pour son roman Sumerki en 2014.

Visionnaire, contemporain, créatif et talentueux, un auteur russe à suivre assurément !

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