C'est quand son père vient à mourir qu'un homme sait n'être qu'un enfant vieilli. Perdu, il regarde derrière lui, n'y trouve quiconque et cherche un cap que personne n'est plus là pour fixer. Puis il se tourne vers ses propres héritiers et lit avec effroi dans leurs yeux l'unique question d'importance : Papa, où allons-nous ? Il n'en sait rien, bien sûr, le papa ; il devient soudain adulte et fait connaissance avec la peur.
Heureusement pour lui, Barnabéüs n'avait aucune descendance et pouvait vivre seul ses premiers pas d'errance.
[Incipit]
Ils apercevaient au loin la plage où ils avaient été débarqués la veille, minuscule et dérisoire. Au dessus, une balafre claire striait la roche grise.
– Je ne vois effectivement pas d’issue. Comment aurions-nous pu quitter les lieux ?
– Il n’y en avait pas, Barnabéüs. On nous a laissés là pour que nous y mourions.
– Comment cela ?
– Et on a fait ébouler la falaise pour sceller notre tombeau ; les mages ne voulaient pas que nous survivions. À compter de ce jour, il ne faut plus se fier à personne.
Voyager, c’est comparer, c’est poser des questions gênantes et finir par demander des comptes.
— Quel est cet animal?
— Cela non plus, votre père ne vous l'a pas expliqué? (Elle arbora une mine désolée.) Il s'agit d'un dragon. Ce sont des reptiles volants, mais on les désaile à la naissance, et on procède aussi à l'ablation dans leur gorge d'un petit organe qui enflamme le gaz qui provient de leur estomac. Il n'en subsiste plus qu'en captivité; on s'en sert pour le trait et la boucherie. Ces animaux étant parfaitement stupides et ne montrant aucun état d'âme, nous faisons très attention de ne pas les laisser pondre hors de leur enclos.