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Critique de Nastasia-B


C'est une théorie dont j'ai l'intuition depuis longtemps et Ivan Gontcharov m'en donne encore une preuve avec Nymphodora Ivanovna. L'idée en est que, si l'on compare une littérature de type XIXème siècle avec des productions contemporaines de type polar, il existe une différence de nature alors même que les sujets traités sont rigoureusement identiques.

Je m'explique. Cette nouvelle de Gontcharov aurait tout, à l'heure actuelle, pour être traitée, pour être mise en forme, pour être exécutée sous forme d'un bon petit polar psychologique. On roulerait le lecteur dans la farine du doute et de l'angoisse créés par les situations d'incertitude, on s'amuserait avec lui comme le chat avec la souris, on l'amènerait à croire A pour mieux ensuite lui laisser entrevoir B et quand enfin il se persuaderait de C, on lui dévoilerait le fin mot de l'histoire D, comme dans CQFD, avec un petit coup de coude dans les côtes au passage du genre : " T'as vu, Bonhomme, je t'ai eu, t'avais rien senti v'nir ! "

Bref, ça devient une sorte de jeu. le livre perçu comme un jeu et dont le but aussi bien que la fonction est le divertissement. Au XIXème siècle, la philosophie de l'écrivain est tout autre. Au XIXème siècle, on ne se soucie pas des détails pratiques de l'intrigue. On ne travaille pas le jeu de pistes, les culs-de sac et les chausses-trappes. Au XIXème, on se soucie d'Art. On veut du beau, du bien écrit et le scénario n'est qu'un prétexte à raconter une belle histoire, ou, plus exactement, à raconter joliment, artistement une histoire pas forcément belle.

Et Ivan Gontcharov nous le dit, nous le stipule, nous le scande. Il interpelle fréquemment le lecteur un peu à la façon de Diderot dans Jacques le Fataliste, mais en plus marrant, en mieux senti, comme pour nous prouver que ce que nous lisons n'est bel et bien qu'une création d'artiste, elle n'a nulle exigence de véracité ou de divertissement. Son but est l'art et sa fonction est d'émouvoir.

Pour moi, voici la différence essentielle entre le polar actuel, dédié au divertissement et le roman du XIXème qui est orienté vers l'art et le type d'émotions qu'une oeuvre d'art suscite.

Je conseille donc tout particulièrement aux amateurs de polars cette nouvelle artistique pour en mieux sentir le contraste. Leur oeil expert percevra tout de suite la manoeuvre du scénario et il se diront : " Là, Coco, je te vois venir. " et à peine une demi-page plus loin, Gontcharov leur fera un clin d'oeil pour leur murmurer : " J'aurais pu te rouler, comme je voulais, où je voulais, mais ce n'était pas mon but. Écoute, ressens, laisse palpiter tes émotions d'être doué de sensibilité et oublie, pour une fois, le scénario, goûte juste les sensations, l'humain contenu là-dedans, c'est ça qui est bon. "

Tenez-vous à tout prix à ce que je vous parle du scénario ? Il le faut bien, c'est réglementaire… tant pis pour vous… ce n'est vraiment pas là l'essentiel. Alors vous allez rencontrer Nymphodora, une jeune femme de dix-huit ans, née dans un milieu modeste mais non pauvre, bien élevée, dans les principes et dans la morale. Un jeune homme d'allure brave l'a remarquée, a pris le temps nécessaire pour l'approcher dans les règles, l'a demandée en mariage comme il le fallait et les deux se sont mariés en bonne et due forme.

Nymphodora l'a aimé sans arrière pensée, lui a donné un joli petit garçon. Ils formaient un brave joli petit couple sans histoire. Cela faisait deux ans que ça durait, mais voilà qu'un jour, son mari a disparu. Trois jours plus tard, la démarche d'aller déclarer la disparition à la police met Nymphodora au supplice, mais il le faut. Elle décrit son homme, comment il était vêtu, où il se rendait…

Quelques jours encore se passent et l'agent convoque Nymphodora dans les bureaux de la police. On lui demande d'identifier un macchabée déjà bien faisandé. Les vêtements, le porte-feuille, l'alliance, tout concorde mais le visage est sauvagement mutilé, les mains méconnaissables. Cette image de son mari traumatise la jeune femme. Les malfaiteurs avaient sûrement leurs raisons…

La brave petite Nymphodora a du mal à encaisser le choc du veuvage. Elle est si jeune, elle l'aimait si fort, et de voir son bébé qui se trémousse dans son berceau, non, vraiment, c'est un crève-coeur et la vie est bien cruelle parfois. Elle est alors sujette de temps à autres aux hallucinations, la brave petite Nymphodora. Un jour même, il lui semble voir son mari dans un carrosse, revenu du royaume des morts, croirait-on… Que lui réserve encore le destin ?

Écriture, rythme, format, tout va bien, tout sonne clair dans cette nouvelle oubliée pendant un siècle et redécouverte assez récemment. Vous auriez tort de vous en priver mais ce n'est que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.

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