Qu'est-ce qui peut pousser un jeune homme à tirer sur un président des Etats-Unis ?
Clovis Goux se charge de nous éclairer à travers cette fiction, bien documentée, dont le héros n'est autre que John Hinckley, auteur de l'attentat perpétré sur
Ronald Reagan en mars 1981.
L'auteur nous introduit dans le quotidien d'un jeune homme de bonne famille, délaissé par son père, sans succès aucun, amoureux fou d'une toute jeune star de cinéma, Jodie Foster. Sans attache, motivé par aucune perspective sociale, le protagoniste, comme d'autres criminels, erre d'un bout à l'autre du pays, tentant régulièrement de s'approcher au plus près de l'actrice adulée.
Si John s'identifie à Travis Bikle, c'est que le personnage central de « Taxi Driver », film culte américain de Scorsese, sorti en 1976, trouve du sens à sa vie en s'inventant justicier. Il sauve l'enfant-pute, Iris, joué par Jodie Foster. C'est un héros, il sort de l'ombre et de la solitude. Il devient célèbre.
John vise la célébrité qui lui permettra d'attirer l'attention de Jodie Foster pour vivre avec elle l'amour fou qui lui permettra ainsi d'échapper à un quotidien sans intérêt.
Lire «
Chère Jodie », c'est plonger dans l'Amérique des années 70, où la puissance militaire et économique des USA restent acquises mais où le modèle de société ne séduit plus. Après la guerre terrible du Vietnam, la population se divise, le fossé se creuse entre la jeunesse et ses ainés. Les désillusions et le manque de sens engendrent une société en perte de repères où la violence apparaît comme un exutoire, rendue accessible par la vente libre des armes à feu.
L'auteur nous offre également une balade culturelle dans le cinéma et la musique des seventies, ce qui donne à cette fiction des allures de documentaire. On a du coup envie de revoir ou de relire ses références pour approcher de plus près une réalité américaine à laquelle John Hinckley, comme d'autres, ne s'accrocheront plus.
Si on assiste (et on pressent) la descente aux enfers du protagoniste, c'est aussi parce qu'entre les pages où l'on suit John, l'auteur a introduit, comme des coups de serpe, des chapitres, ultra-courts, relatant avec une précision chirurgicale, les faits divers meurtriers ultra-violents qui ont défrayé la chronique à cette époque-là. L'auteur a également imaginé une correspondance entre John et Ted Bundy. Glaçant. On replonge plus tristement encore dans l'univers perdu de John Hinckley par la suite.
Si je devais rapprocher ce roman d'une oeuvre cinématographique, je choisirais le film fabuleux de Lars von Trier, « The House That Jack Built », sorti en 2018. L'action se déroule aux USA dans les années 70 et nous plonge dans la tête de Jack, un tueur en série qu'on aurait bien imaginé entretenir une correspondance terrifiante avec John Hinckley, dans l'une de ces unités psychiatriques.