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Critique de Zephirine


Les yeux de Milos de Patrick Grainville est un roman foisonnant, nourri d'images et de sensations, un roman qui se donne des libertés pour raconter la vie des peintres prodigieux qu'ont été Nicolas de Staël et Pablo Picasso. C'est bien d'un roman qu'il s'agit, et non de biographies, même si le récit est parfaitement documenté, nous donnant à voir l'intimité de ces deux icônes de la peinture.

Le fil narrateur, c'est Milos, ce jeune homme dont les yeux sont du « bleu de la beauté absolue et de la folie » et qui attirent irrémédiablement l'attention et une certaine cruauté.
Tout d'abord attiré par Nicolas de Staël, peintre de génie trop tôt disparu et dont il admire l'oeuvre inachevée le « concert », Milos est vite subjugué par les photos de Picasso « ses yeux ronds, noirs, brillants, écarquillés, injectés d'une énergie frénétique, dionysiaque »
Il est beaucoup question de regards, de mythes anciens et de lieux emblématiques dans ce roman métaphorique où la peinture est très présente. Outre les deux peintres cités, Milos, qui va devenir paléontologue, se passionne pour l'abbé Breuil, découvreur de l'art pariétal. Milos s'éprend de la Vénus de Lespugue « Rien que le nom de Lespugue lui donnait le frisson », car la sensualité de la statuette est intacte. Picasso ne s'y était pas trompé, lui qui en possédait deux répliques parmi tous ses trésors amassés. D'autres « vénus impudiques » vont émouvoir le jeune homme qui les fait découvrir à son amante Marine avec qui il chemine sur les traces de Nicolas de Staël et de Picasso. Outre Marine, il y aura d'autres amantes, toutes entrainées par Milos sur les sentes de la vie amoureuse des deux peintres et la contemplation de leurs oeuvres ; L'abbé Breuil, lui, n'a pas eu de vie amoureuse, l'amour charnel s'entend, mais il aura vécu pour sa passion des peintures rupestres. Sur les traces de Breuil, Milos et son amante Vivie vont communier dans le secret des grottes avec ces représentations fantastiques « le grand tourbillon des bisons. Un tohu-bohu de masses ocrée. Cul par-dessus tête »
S'il est bien question de peinture, celle-ci est aussi la porte d'entrée de l'amour ou plus exactement des amours tant celles-ci prennent leurs aises de page en page. Il y a, bien sûr, les découvertes sexuelles de notre jeune héros, plus ou moins induites par ses passions picturales et paléontologiques, mais aussi les amours débridées, teintées de perversité de Picasso qui aura quatre enfants nés de trois femmes. Il s'en occupera peu, voué tout entier à son art et à ses désirs orgiastiques. le peintre est ce minotaure assoiffé de sexe, il peint ses amantes qui sont ses muses : Olga, Dora, l'athlétique et blonde, Marie-Thérèse, la très jeune Françoise Gilot et d'autres, de passage. Il les peint, les sculpte et les dévore. Et quand il s'agit de décrire les scènes de sexe, Patrick Grainville nous trousse des séquences à la sensualité débridée.
Si la vie de Nicolas de Staël est moins présente car il s'est suicidé à 41 ans, celle de Picasso, qui a vécu jusqu'à 91 ans et qui a laissé une oeuvre considérable, est omniprésente tout du long.

Enfin, il y a ce bleu, qui nous intrigue, celui, incroyable, des yeux de Milos qui nous emmène vers les bleus picturaux, ceux de Nicolas de Staël, mais aussi les cobalts de Turner l'impressionniste, ceux de Renoir, Dufy ou encore Van Gogh. le bleu du regard, c'est aussi l'oeil du peintre mais « l'oeil de la peinture est intérieur »
L'histoire se termine sur une vision surréaliste, le rêve que fait Milos ou se mêlent dans une succession de scènes débridées et baroques où s'entrechoquent les corps des amantes de Picasso, celles de Milos, où on croise peintres, matadors, et même Brigitte Bardot, bousculés par les bisons d'Altamira et c'est comme un feu d'artifice pour clore ce roman de la démesure, coloré, luxuriant où éclatent pulsions de vie et de mort.

L'écriture est puissante, métaphorique et débridée. Elle exige du lecteur beaucoup d'attention, elle se mérite mais quel plaisir au final, même si certains passages trainent en longueur.
Au vu de toutes les oeuvres citées, je conseille vivement d'aller consulter sur la toile pour admirer ces oeuvres et mieux appréhender le texte, le livre se contentant, sur sa couverture minimaliste, d'une reproduction d'un portrait de Marie-Thérèse Walter que Picasso a peint en 1937.
Je remercie Babelio et les éditions du Seuil pour cette découverte.

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