Citations sur Sur l'autre rive (15)
Elle le revoit petit, sa tête ratiboisée, toujours en train de faire l'andouille, un sourire désarmant constamment pendu aux lèvres. Puis elle l'imagine en haut du pont, perdu, désespéré. Et elle s'en veut. Pourquoi leurs destins ont- ils tant divergé à ce point? Qu'est qui lui a pris? Quelle folie s'est emparée de lui? Julia ferme les yeux et des frissons lui remontent le dos. Elle sent le froid et le vent. Elle devine le vide sous ses pieds et à soixante mètres en contrebas, la surface ridée de l'océan.
Telle une sentinelle dans les ténèbres, sa ville ne dormait jamais que d'un oeil, toujours vigilante dans sa lutte contre l'océan, toujours alerte dans ce combat au corps à corps qui l'a recouvrait en permanence d'une mince pellicule de bave grasse et salée, un combat qui semblait encore plus terrible de nuit quand les lumières de la ville étaient prises dans les mâchoires sombres de l'immensité.
Ce que Franck ne voyait pas, c'est que Sandra avait des rêves. Le salon de beauté en était un, le grand amour en était un autre et la belle famille unie qui fait de beaux sourires sur la photo encadrée au-dessus de la cheminée en était un troisiéme. Elle voulait des enfants qu'elle pourrait confier à des grands-parents gâteaux qui viendraient les chercher à sortie de l'école. Elle imaginait des diners de famille pleins de rires et de regards sucrés, et dans le combat sans merci qui avait explosé sous ses yeux, une partie de ce rêve c'était brisé.
De l'autre côté de l'estuaire, c'était Saint-Nazaire, un cordon de lumières posées sur l'eau, puis les grues des chantiers qu’on devinait dans la nuit et sur l’extrême droite, si l’on s’avançait plus loin, on apercevait les lampadaires du pont qui formaient un arc de cercle parfait, une guirlande de fête posée entre les deux rives de la Loire. Comme beaucoup de gamins, Franck avait passé des heures le soir à contempler le pont, à s’imaginer prendre le large, voler au-dessus de l’eau, partir pour ne jamais plus revenir. Le seul relief, le seul ouvrage d’art de la région portait avec les chantiers toute la charge de l’invitation au voyage.
Le bord de Loire aux premières heures du jour est un spectacle unique, quand le soleil arasant effleure la ligne d'horizon et allume comme un tapis de braises le fleuve endormi.
À ce niveau, la Loire mesure trois kilomètres de large et lorsqu'un nuage obscurcit le ciel et que l'eau vire au gris terreux, on dirait une vaste étendue de bitume comme un gigantesque aéroport désaffecté. La flotte à perte de vue, et au loin, la rive nord, minuscule, les usines, les rues, des points blancs épars. Cinq minutes plus tard, c'est Paimbœuf, une commune déshéritée dont on dirait qu'elle a poussé au mauvaise endroit. L'industrie, c'est en face. Le tourisme, c'est dix kilomètre plus loin. Au début du XXe, c'était l'avant-ports de Nantes, à présent, c'est une bourgade sans âme, échoué en bord de Loire comme un rocher au détour d'une rivière.
Marc est soufflé. Ce que les gens font avec leur pognon, ça le rend dingue. Ce qui le tue, c'est que ces objets d'un luxe obscène, ces télés, ces bagnoles, ces fringues, font rêver des gamins qui sont prêts à faire les pires conneries pour se les payer. Cet argent tue aussi proprement et définitivement que les cargaisons de dope.
De l'autre côté de l'estuaire, c'était Saint-Nazaire, un cordon de lumières posées sur l'eau, puis les grues des chantiers qu'on devinait dans la nuit et sur l'extrême droite, si l'on s'avançait plus loin, on apercevait les lampadaires du pont qui formaient un arc de cercle parfait,une guirlande de fête posée entre les deux rives de la Loire. Comme beaucoup de gamins, Franck avait passé des heures le soir à contempler le pont, à s'imaginer prendre le large, voler au-dessus de l'eau, partir pour ne jamais plus revenir. Le seul relief, le seul ouvrage d'art de la région portait avec les chantiers toute la charge d'invitation au voyage.
Assurément, si la tour Eiffel est un symbole phallique, le pont de Saint-Nazaire est féminin.
On partageait ses larmes, on étreignait ses souvenirs, car ce qui était exposé devant eux, magnifique et dérisoire, n'était pas seulement une maquette parfaitement réussie du fabuleux paquebot de la Royal Carribean , mais une portion de leur vie, la plus belle sans doute, en modèle réduit.