Ce serait trop simple si l’on pouvait ramasser dans un chapeau toute blancheur, la mettre dans une armoire. On pourrait dire la même chose du noir.
Une fois par semaine, le jour de visite trouble le calme où je vis derrière les barreaux de métal blanc. Alors viennent ceux qui veulent me sauver, ceux que ça amuse de m’aimer, qui ont besoin de moi pour s’estimer, s’honorer, se connaître eux-mêmes.
La tête et les doigts de la femme me touchaient de plus près, à une fibre plus humaine que la beauté de la centrale thermique Fortuna-Nord […]. Admettons que le 220 000 volts m’inspirait un sens goethéen de l’universel ; mais les doigts de la femme touchèrent mon cœur.
On me jetait des boulettes de papier, mais je ne me retournai même pas ; je trouvais les nuages en route plus esthétiques que le spectacle d’une horde grimaçante de merdeux totalement débondés.
Qui aujourd’hui me prend sous ses jupes ? Qui m’éteint la lumière du jour et la lumière des lampes ? Qui me prodigue l’odeur de ce beurre jaune amolli, légèrement rance, que ma grand-mère empilait, logeait, déposait sous ses jupes pour me nourrir et dont elle me donnait, jadis, pour exciter mon appétit et m’y faire prendre goût ?
Oscar, aujourd’hui encore, ne veut pas croire pleinement aux présages. Pourtant il y avait alors assez de présages d’un malheur qui chaussait des bottes toujours plus grandes, marchait à pas toujours plus grands avec ses bottes toujours plus grandes et songeait à porter partout le malheur.
On peut commencer une histoire par le milieu puis, d’une démarche hardie, embrouiller le début et la fin. On peut adopter le genre moderne, effacer les époques et les distances et proclamer ensuite, ou laisser proclamer qu’on a enfin résolu le problème espace-temps. On peut aussi déclarer d’emblée que de nos jours il est impossible d’écrire un roman puis, à son propre insu si j’ose dire, en pondre un bien épais afin de se donner l’air d’être le dernier des romanciers possibles. Je me suis laissé dire qu’il est bon et décent de postuler d’abord : il n’y a plus de héros de roman parce qu’il n’y a plus d’individualistes, parce que l’individualité se perd, parce que l’homme est seul, que tout homme est pareillement seul, privé de la solitude individuelle, et forme une masse solitaire anonyme et sans héros. Après tout, ce n’est pas impossible. Mais en ce qui nous concerne, moi Oscar et mon infirmier Bruno, je veux l’affirmer sans ambages : nous sommes tous deux des héros, des héros tout différents, lui derrière le judas, moi devant ; et quand il ouvre la porte, ça y est : malgré notre amitié et notre solitude, il ne reste plus de nous qu’une masse anonyme et sans héros.
Il n’y avait pas longtemps qu’elle gisait au fond ; elle était dans le noir depuis l’automne précédent et paraissait déjà avancée […]. L’évacuée voulait regagner la grande ville où il se passe toujours quelque chose, avec dix-neuf cinémas en même temps.
Moi j’étais tout près du nombril de Maria ; j’y enfonçai ma langue, cherchai des framboises et en trouvai de plus en plus ; je m’égarai dans ma cueillette, arrivai dans des régions où nul garde forestier ne demande si on a une autorisation de cueillette.
Les vrais partisans ne sont pas partisans à titre temporaire, mais à titre permanent et définitif ; ils remettent en selle les gouvernements tombés et par la suite, toujours avec l’aide d’autres partisans, ils font faire la culbute aux gouvernements qu’ils ont remis en selle. Les partisans incorrigibles, ceux qui prennent le maquis contre eux-mêmes, sont, d’après la thèse de M. Matzerath – c’est sur ce point qu’il pensait m’éclairer particulièrement - , parmi tous les forcenés de politique ceux qui sont le plus doués de facultés artistiques, parce qu’ils réprouvent aussitôt ce qu’ils ont créé.