Le regard reconnaissant qu'elle me jette ne le dit rien de bon. Ou plutôt, c'est ma réaction qui me dérange. Cette fille me fait déjà de l'effet. Mais pas comme les autres. Celle-ci est clairement allumée. Sans doute un peu brisée.
Et j'aime ça.
Et merde ...
- Je voudrais me faire tatouer quelque chose, lancé-je sans y avoir pensé avant.
- Mauvaise idée, se marre le brun.
- Tu t'es regardé ?! me rebellé-je en criant par-dessus le vent.
Dante remonte nos vitres et actionne la clim pour que l'on puisse s'entendre dans le SUV. J'observe ses bras musclés noircis de dessins et me décide.
- Je voudrais un Phœnix.
- Les tatouages sont censés te ressembler, me rembarre sa voix grave. Dire quelque chose de ta vie, de ton histoire, de ta personnalité.
- Oui mais je ne peux pas me faire tatouer une barre chocolatée !
Alors le Phœnix se lève et me tend les bras.
- Encore cinq minutes, lui demandé-je. Mon genou n'est pas prêt...
Le ténébreux insiste, je me lève tant bien que mal. Soudain sa grande silhouette se positionne dos à moi, et Danteplie les genoux pour se rapprocher du sol. Je ne comprends pas immédiatement ce qu'il manigance.
- Un petit problème de transit ? demandé-je en riant bêtement.
- Tais-toi et grimpe, fait sa voix profonde.
- Quoi ?
- Monte sur mon dos, Sol. C'est la seule solution.
- Je suis trop lourde !
- Monte.
- Je mange deux petits-déjeuners par jour !
- C'est le meilleur repas de la journée.
- Dante, je vais te tordre la colonne...
- Elle est en titane ! Grimpe je te dis !
Il ne rigole plus. Du tout. Alors j'obéis, parce que mon genou ne me porte plus. Et parce que l'air de rien, faire du poney sur Dante Salinger, ça m'amuse un peu.
Beaucoup.
- Et ton casque ? demandé-je à Dante.
- Pas besoin. Je monte à cheval depuis que je sais marcher.
- Donc le programme, c'est que je suis la seule à ressembler à un champignon, c'est ça ?
- Exactement.
- Tu ne sens pas ? Elle pue la brandade de moru, ronchonné-je en respirant par la bouche.
- Hein ?
- Mai périmée depuis très longtemps !
- Je vais lui faire une attelle, décide Dante en m'ignorant totalement.
- Tu ne veux pas l'opérer à cœur ouvert sur le bord de la route, plutôt ? Histoire qu'on passe dans les journaux.
- Je vais enlever mon tee-shirt, mais ce n'est pas ce que tu crois, dit-il avec un sourire au fond de ses yeux.
- Fais donc ... soupiré-je, dépitée.
- J'en ai d'autres dans mon sac.
- Ça va, pas la peine d'en rajouter.
- Tu peux regarder ailleurs si tu préfères, me provoque-t-il encore un peu.
- Fais gaffe à toi, Salinger. Je peux encore changer d'avis, remonter dans ma bagnole chérie et vous laisser crever de faim tous les deux.
- Si tu veux. On se retrouvera à la prochaine station-service quand tu seras en panne, assoiffée et ruinée.
- Bon, ampute-la qu'on en finisse ! Elle sent vraiment, vraiment, la morue.
Notre amour secret, libre, intouchable.
Perdu ?
Et je me retrouve à nous toute seule, en pleine nuit.
Pas franchement bavard, certes. Ni souriant. Mais beau à en crever.
Deux âmes que tout oppose, 5000 KM à parcourir, une seule voiture.
Arrivée au bord de l'eau, je retire ce vêtement sombre qui me comme à la peau et me tourne, entièrement nue, vers l'homme-oiseau qui me mitraille.
- Personne ne peut nous voir ici ? demandé-je quand même.
- Personne.
- Alors tu penses à ce que je pense, Phœnix ? ajouté-je d'une voix faussement dramatique.
- On a une piscine, Tutu.
- Non, je veux me confronter à la nature !
- Il y a du courant, rétorque-t-il
- Lâche ton appareil photo et viens avec moi, Dante !
Son regard sombre plonge dans le mien... et s'éclaire. Son grand corps baraqué s'agite alors sous mes yeux, pour se déshabiller. Une fois en boxer gris, Dante hésite une seconde, puis le retire aussi. Mon bel insoumis me rejoint et saisit ma main.
- Ne me lâche pas. Pas une seule seconde, compris ?
Je lui souris, hoche la tête et nous sautons, mains et cœurs liés dans l'eau.... glaciale.