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Critique de Jean-Daniel


« Ce livre pose la question de la désobéissance à partir de celle de l'obéissance, parce que la désobéissance, face à l'absurdité, à l'irrationalité du monde comme il va, c'est l'évidence. »

Dès les premières pages, Frédéric Gros s'interroge sur les raisons qui nous font accepter l'inacceptable dans un monde qui va mal. Il décrit les motifs qui auraient dû et devraient encore susciter notre désobéissance. Pourquoi avons-nous laissé faire ? Pourquoi cette passivité collective ? Pourquoi chacun d'entre nous obéit ?

«Affirmer qu'une fois les lois votées par la majorité, elles ne peuvent être contestées sous peine de trahir la volonté populaire est une mystification», prévient Frédéric Gros. «Etre un sujet politique, assure-t-il, c'est d'abord se poser la question de la désobéissance».

Frédéric Gros reprend la provocation de Howard Zinn qui affirmait : le problème ce n'est pas l'obéissance, le problème c'est l'obéissance…

Toutefois, au lieu de se demander pourquoi on désobéit, Frédéric Gros analyse les mécanismes de l'obéissance. Il questionne non seulement notre volonté de désobéir mais également notre malaise à le faire. «Les raisons de ne plus accepter l'état actuel du monde sont presque trop nombreuses. Et pourtant rien n'arrive, personne ou presque ne se lève. » Son propos, tout au long de l'essai, est de démontrer que la désobéissance est justifiée, ainsi ce qui le choque c'est l'absence de réaction et la passivité qui sont les conséquences de l'obéissance. Désobéir est un acte par lequel l'individu exprime sa dignité en affirmant sa liberté par son refus d'obéir.

Le premier chapitre s'intitule : « Nous avons accepté l'inacceptable ». Pourquoi et comment obéissons-nous ? Pourquoi sommes-nous si soumis, alors que les motifs de rébellion sont de plus en plus nombreux ? Désobéir prend plusieurs formes et Frédéric Gros explore quatre styles d'obéissance : la soumission, la subordination, le conformisme et le consentement.

La soumission est un rapport de force contrainte car elle repose sur le sentiment d'une impossibilité de désobéir. Nous devons pourtant apprendre à ne plus accepter l'inacceptable car les circonstances devraient nous amener à réagir : injustice sociale, accroissement des inégalités, privilèges injustifiés d'une minorité, dégradation de notre environnement. L'essai défend l'idée d'une démocratie critique, la désobéissance civile ne doit être ni délinquance, ni anarchie.

Le conformisme est la principale cause de la servitude volontaire, c'est la coutume qui entraine l'inertie passive, la peur de sortir du rang et de se singulariser. Chacun aligne son comportement sur celui des autres, on obéit par conformisme. La soumission à l'autorité s'est longtemps imposée par la force de la tradition. La désobéissance civile est pour Frédéric Gros un des moyens d'action les plus pertinents dans notre démocratie, aussi, tout au long de son essai le philosophe nous incite à abandonner les conduites conformistes qui sont si confortables et sécurisantes.

« Désobéir » nous entraine ensuite du conformisme au consentement qui est une obéissance libre, une aliénation volontaire, une contrainte pleinement acceptée.

Frédéric Gros ne défend pas la désobéissance à tout prix, ce serait aussi dangereux que de faire de l'obéissance une vertu inconditionnelle. Il s'agit pour lui de toujours savoir à quoi l'on obéit ou désobéit.

L'obéissance est confortable car on laisse les autres décider et penser à sa place, la responsabilité est un fardeau et l'obéissance permet de se décharger auprès d'un autre du poids de sa liberté.

Frédéric Gros interroge ce que signifient la démocratie et la désobéissance pour le sujet politique. Pour illustrer ses propos, il cite de nombreux auteurs et philosophes, de l'antiquité à nos jours, en s'appuyant sur des exemples concrets et réels afin de dégager une ligne de conduite à tenir.

Le philosophe américain Thoreau refuse de payer ses impôts au nom d'une certaine conception de la justice, il ne veut rient verser au fisc d'un état qui admet l'esclavage. La désobéissance civile, dont il va rédiger le manifeste, est l'acte réfléchi d'un homme chez qui l'éthique et le sens de l'avenir entrainent l'insoumission.

Il convient de s'interroger sur la nature de l'obéissance et de son illégitimité. C'est ce qu'expose Hannah Arendt dans son ouvrage, « Eichmnan à Jérusalem », où ce dernier apparait plus comme un exécutant contraint que comme un décideur antisémite. D'un point de vue philosophique Eichmann obéit illégitimement à une morale détestable. le danger est que chacun peut en rajouter dans son obéissance, ce qu'on appelle la surobéissance qui fait tenir le pouvoir politique mais les expériences totalitaires ont fait apparaitre des monstres d'obéissance. L'histoire nous apprend ainsi que la démocratie est plus souvent menacée par l'obéissance aveugle des citoyens que par leur désobéissance. Avec leurs procès, leur obéissance apparait inhumaine et la désobéissance comme une démarche d'humanité.

Frédéric Gros est souvent provocateur dans le but de réveiller les consciences et d'attiser la réflexion du lecteur pour le confronter à sa propre expérience. Finalement, dans cet essai qui est toujours clair, abordable, passionnant et qui comporte de nombreux textes et références historiques, le philosophe souligne combien le choix entre obéissance et désobéissance tient principalement à une affaire de responsabilité éthique. Il explique avec habileté les mécanismes de la soumission et de la résignation. La désobéissance civile, loin d'être une posture commode ou immature, est un moyen de questionner et de faire évoluer les lois sous une forme d'action politique acceptable ; elle n'affaiblit pas la démocratie mais au contraire la protège et la renforce. « Désobéir » n'est pas un essai faisant appel à la désobéissance mais il interroge sur ce que signifient la désobéissance et l'obéissance pour le sujet politique, comment s'opposer à ce qu'on estime être de mauvaises décisions. On peut donc accorder une valeur morale à l'acte de désobéissance. Cette responsabilité éthique doit conduire le citoyen à choisir ce qui offre le plus de possibilités de favoriser la justice et la liberté dans le monde. Cet essai a pour objectif de nous faire réfléchir et de nous inciter à garder une certaine distance critique par rapport à sa propre docilité et à rester attentif.
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