« Ce livre pose la question de la désobéissance à partir de celle de l'obéissance ».
Désobéir c'est obéir à soi même. C'est face au désordre extérieur imposer un ordre intérieur , le sien .
C'est agir et non se soumettre.
Désobéir serait donc ... obéir , rien d'étonnant donc à ce que soit étudié dans cet essai de
Frédéric Gros les arcanes de nos obéissances afin que nous puissions examiner d'un peu plus près leurs différentes origines.
Car lorsqu'on parle d'une chose faut-il pour, justement en discuter, tout d'
abord la penser, mais également penser à son contraire, pour tenter de la mieux comprendre.
Howard Zinn nous le rappelait : le problème ce n'est pas la désobéissance, le problème c'est l'obéissance... »
Pourquoi cet essai en 2017 ? le traité sur la servitude volontaire de la Boétie ne pourrait-il pas suffire ? N'avons pas depuis le 16e siècle appris suffisamment pour détruire en nous les germes de toute passivité qui face à un ordre établi par une société, risque à tout moment de nous aliéner, voir , de nous anéantir ? N'avons pas été assez alertés ? Éclairés ? N'avons rien appris des drames de l'Histoire ? N'avons nous pas inscrit sur nos frontons : Liberté...Qu'avons nous appris des Lumières, que nous ont appris
Platon, Socrate ? Et bien simplement ce que nous en avons volontairement appris, le reste, tout le reste, gît au fond de cet espace dans lequel où l'on ne veut surtout pas se poser certaines questions.
Obéir..Peut être mais jusqu'où ? À quel prix ? Au prix de nos libertés ? Au prix de l'essence même de notre humanité ? Obéir mais à qui mais également pour qui, au nom de quoi et de qui ?
C'est « le creusement des injustices sociales, les inégalités de fortune », générés par « un capitalisme effréné », c'est l'émergence d'un monde des 1 % contre les 99 % restant, c'est la disparition annoncée d'une classe moyenne qui jusqu'alors « régulait » les frottements raisonnables entre les plus riches et les plus pauvres qui ont amené l'auteur à rédiger cet essai.
« les spirales strictement complémentaires d'appauvrissement des classes moyennes et d'enrichissement exponentiel d'une minorité sont en place, démultipliées par les nouvelles technologies qui annulent les effets de retardement, de « frottement » qui maintenaient jusque là les équilibres raisonnables. ».
C'est en fait la synchronicité de la paupérisation exponentielle du plus grand nombre face à l'enrichissement éhonté d'une minorité, c'est la passivité massive et généralisée du plus grand nombre face au cynisme décomplexé d'une minorité qui pousse l'auteur à s'interroger sur ces deux concepts : obéissance/désobéissance.
Car il lui semble le moment venu, le temps venu, parce qu'il ressent l'instant de l'avant fracture.
Sommes nous en capacité de réagir ? Quels sont nos verrous, quels en sont leur mécanismes ?
Y a t il une bonne obéissance ou n'existe t il qu'une obéissance raisonnable ?
Quel est le visage que dessinent les frontières de notre bonne conscience et donc quelles en sont ses limites ? Quelle est cette servitude admise face à une réalité soumise ?
Quelles sont les valeurs de nos obéissances ? civiles , morales, culturelles, spirituelles ? A quoi répondent -elles ? Sur quelles bases reposent nos interdits, nos lois ? Qui fixent leurs règles ?
Où commence l'allégeance, où commence l'esclavage ? Contrat social ? Pacte républicain ?
Quel risque courons nous à obéir aveuglement, quelle chance risquons nous de perdre à ne point
désobéir lorsqu'il est encore temps ? La paix civile n'est pas synonyme de calme social. Un mutisme cordial a-t-il valeur de blanc seing ?
Le désordre extérieur généralisé que l'on veut imposer comme modèle incontournable, voir idéal, risque de faire imploser l'ordre intérieur de la majorité.
« parce que les conditions des plus aisés suscite surtout la passion amère de leur ressembler, parce que la fierté d'être pauvre, alimentée par l'espérance de revanches futures, a laissé place à une honte agressive, parce que le message véhiculé partout est qu'il n'y a de sens à vivre que dans la consommation à outrance, en se laissant aspirer par le présent dans une jouissance facile.Pour ces raisons, et d'autres encore, la colère juste d'une majorité exploitée contre la minorité est court-circuitée, redistribuée en haine des petits profiteurs et peur des petits délinquants ».
Voilà , selon l'auteur, le risque majeur d'une obéissance passive, voilà ce que pourrait éviter une désobéissance active.
Quels sont alors les voies ? Résistance, objection de conscience, rébellion ? Révolution ?
Mouvement collectif d'un ensemble de soi politique entrant en dissidence civique.
Un soi politique qui contient un principe de justice universelle, un soi politique s'inscrivant dans une prise de conscience publique correspondant à notre intimité politique. Réapparition donc du terme « public ». Un soi politique en accord avec son appartenance publique. Ce que je fais doit correspondre à ce que je pense intimement, et « ce que je pense » fait ce que je vis. Et j'en prends la responsabilité.
Pourquoi est-il si difficile de
désobéir à l'ordre actuel du monde ? Nous ne sommes ni sourds, ni aveugles, chacun peut identifier ce qui grippe, ce qui coince, ce qui irrite, ce qui blesse, et maltraite. Alors ? Pourquoi est il difficile de stopper la machine, de dire tout simplement non, ou même, tout simplement , comme le Bartleby d'
Herman Melville le répétait : I prefer not to.
Se retirer pour ne pas se commettre. le refus par le retrait.
Parce que si la désobéissance est une « déclaration d'humanité », l'acte d'obéissance est inscrit en nous depuis des millénaires. L'humain est un animal social, vivre seul le condamne, vivre en société voilà sa sécurité et le gage de sa survie et de la survie de sa descendance. Alors où se trouve la frontière ? Ente l'allégeance et l' indépendance ? Quel espace donnons nous à notre liberté de conscience ? « l'obéissance fait communauté », « la désobéissance divise ».
On fait du désobéissant un incorrigible, un empêcheur de vivre en paix…C'est « le voleur d'orange », l'emmerdeur, le fou , ou bien l'anarchiste, c'est le gréviste, le saboteur, l'activiste, déjà le sauvage...
Bref,
désobéir...attention danger !. Asile, matraque, fumigène ou bien prison, il faut que l'ordre social règne.
« Pendant des siècles , les hommes ont été punis pour avoir désobéi. A Nuremberg , pour la premier fois, des hommes ont été puni pour avoir obéi. Les répercussions de ce précédent commencent tout juste à se faire sentir ».
Peter Ustinov.
Activation de notre conscience….Interrogation : qui est la bête, qui est le monstre ?
Qui crée le troupeau de l'obéissance, qui dresse ses autels, qui imposent ses lois ? Si ce n'est nous même….
Faisons de l'élève un citoyen docile, mettons le dans le rang, dictons lui nos valeurs et notre hiérarchie, assis, muet, passif, dirigeons l'étude, omettons de dire ce qui ne nous convient pas, et glorifions l'ordre auquel nous le destinons. « L'homme , cet animal qui a besoin d'un maître » écrivait
Kant..C'est le début du dressage, l'hymne de l'esclavagisme.
Alors très tôt il faudra consentir à obéir. Par le consentement voilà obéissance volontaire qui s'affirme. Et de là, du berceau au pupitre, du pupitre à l'entreprise , du canapé à l'isoloir, l'obéissance aveugle. , de là, « la résignation politique ».
Obéir, puisqu'il faut bien des règles pour régir les peuples, obéir mais pour faire quoi ?
Des Eichmann, des Dutch...des monstres d'obéissance ? La liste est atrocement longue...et constamment mise à jour.
Obéir, puisque la paix doit régner entre les peuples pour espérer leur survivance, obéir mais pour faire quoi ?
Des citoyens, des hommes libres et autonomes ?
L'obéissance serait elle un fait politique ?
La désobéissance serait elle un fait éthique ?
La charnière se situe-t elle au niveau du choix ?
Le choix entre, par exemple, comme l'indiquait H.Arendt, entre le travail et l'action ?
Entre l'outil et la main ? Mais à qui concède-t-on la tête ?
Comment s'articule la résignation, le conditionnement, le consentement ?..où commence et pourquoi advient la stade ultime de la sur-obéissance, ce concept augmenté, qui fait plus que tout autre tenir le pouvoir politique ? d'où vient « ce narcissisme social » , ce « rapport imaginaire au pouvoir » , pourquoi « se sentir quelqu'un à travers et depuis l'adoration de ce qui me surplombe » ? D'où vient cette appétence des peuples pour la tyrannie ? Pour le chef, pour une adhésion collective à l'icône qui se veut incarner ... « le tyrannie c'est la construction d'une soumission pyramidale »….J'accepte que tu me tyrannise parce que je jouis de la possibilité de tyranniser un plus « petit » que moi.
« J'en vois partout qui combattent pour leur servitude comme il s'agissait de leur salut ». écrira
Spinoza.
Alors quand cela cesse-t -il ? Quand les peuples n'ont plus rien à perdre ? Quand on décide de les éduquer et non de les élever en batterie ou de les dresser ? Conscience collective ou individuelle ?
Désobéissance active ou résistance civile ? Comment s'éveille- t-on ? Quand ?
Quel jeu joue dans tout cela le fait du nombre, le fait d'être nombreux, comment trouver l'harmonie de la désobéissance ? Comment ne plus faire qu'un sans étouffer l'individualité de tous ?
Suivre un non, suivre un oui, tout cela est obéir.
« « tous unis ». de quoi se payent ces moments de communion ? de la perte de tout pouvoir critique. » ?
Face à cela , l'auteur répond : l'amitié.
L'amitié exclut la dissolution dans « un » peuple, ( notion qui je le rappelle le n'existe pas, car il ne peut y avoir que des peuples) , « un » Prince, « une » Nation.
« La politique , celle qui repose sur l'obéissance de tous, invente l'unité fanatique ».
Obéissance...attention danger.
Mais qu'à fait Adam ? A t il refusé l'obéissance ? Et laquelle ? L'obéissance de gratitude ? A t-il répondu à un ordre naturel intérieur ? A t-il fait preuve d'un péché d'orgueil ? Voici le premier homme devenu criminel, voici sa descendance portant à jamais le sceau de son infidélité.
En répondant à son ordre intérieur, il a mise en cause l'autorité. du Dieu, du père, de l'autre, il s'est émancipé. Voilà la leçon de l'histoire qu'il fallait se tenir, , la rançon de la gloire. Voilà petit ce qui risque d'arriver si tu n'écoutes pas le maître.. Seul, abandonné, condamné. Voilà qu'en toi je fais naître la peur, la peur du jugement, du premier au dernier.
Ce n'est pas un hasard si Antigone est le personnage centrale d'une tragédie.
Ce n'est pas un un hasard si l'obéissance mystique irrite le plus souvent le clergé.
Subordination, conformisme, paresse, habitude, soumission, consentement ...de quoi relève la passivité de nos obéissances ? D'où vient la solidité de cet axe du mal ?
« Non la société, ce n'est pas seulement une grande famille, une communauté naturelle, le résultat d'agrégats progressifs et spontanés d'entraide!!!!!!!;;;Ce n'est pas non plus le produit d'un acte fondateur entre les sujets politiques responsables. Ce n'est pas seulement encore un rassemblement calculé d'intérêts compris, la cohésion rationnelle des utilités. La société, le « social » ce sont surtout, d'
abord et avant tout, des désirs standardisés, des comportements uniformes, des destins figés, des représentations communes, des trajets calculables, des identités assignables, compressées, normalisées.Des normes pour rendre chacun calculable, conforme et donc prévisible. Sujet socialisé, individu intégré, personne « normale », homo socius...Il faut passer gagnant le contrôle des identités calibrées, parvenir à être celui qui est comme les autres : gris clair. »
Alors quoi… ? jouer « l'ironie sceptique, la provocation cynique » ? « s'indigner de lois injustes ou de coutumes intolérables, tout en continuant à jouer, à peu de frais, le révolté du discours intérieur »… ?
Se conformer aux us, aux règles, intégrer le conformisme de masse, se rassurer, s'en assurer continuellement ? La vérité ? Avons nous peur ? devenons nous sable comme le craignait
Nietzsche ? Où se situe notre désir ? Désir d'être libre ? Besoin de sécurité ? Où est le désir individuel, cette nécessité intérieure ? Que de vient-il lorsque la possession et l'exhibition de ce qui est commercialement constitué comme un objet de désir de tous devient l'unique ciment de notre
épanouissement démocratique ? Craignons la bêtise, la nôtre, ce prêt à penser si confortable si douillet. « Cette capacité à se rendre soi-même aveugle et bête, cet entêtement à ne pas vouloir savoir, c'est cela la banalité du mal ».
Faire société, participer au corps politique d'une nation, faire politique ensemble ? Qu'est ce que cela veut dire ? Et si nous devons nous insurger, notre premier ennemi ne doit il pas être nous même ? Ne doit-on pas, chacun en lui même, inventorier, décrypter, nos styles internes d'obéissance avant de pouvoir espérer
désobéir en réponse aux impératifs de notre conscience individuelle ? Comment pourrions nous tendre à une noblesse du sens politique sans que ne s'épanouisse une démocratie critique?
« Il est vain de s'asseoir pour écrire quand on ne s'est jamais levé pour vivre » écrivait Thoreau.
« L'obligation de
désobéir est liée aux exigences de la vraie vie ». Parce qu'elle touche à la matière fondamentale de l'humain. Parce qu'elle est l'alliance entre le corps l'esprit.
« Quand l'État prend des décisions iniques, qu'il engage des politiques injustes, l'individu n'est pas simplement « autorisé » à
désobéir comme s'il s'agissait d'un droit dont il pourrait s saisir ou pas au nom de sa conscience. Non, il a le devoir de
désobéir, pour demeurer fidèle à lui-même, pour ne pas instaurer entre lui et lui-même un malheureux divorce. ».
la désobéissance, est « une conversion spirituelle », avant que d'être un soulèvement générale, elle est un question interne à soi même. On ne désobéit pas pour faire comme tout le monde, pour entrer dans le courant, on ne désobéit pas en réponse à un ordre général proclamé, mais parce qu'intérieurement on se détermine comme un agissant indélégable, l'auteur de ses actes avant l'acteur d'un mouvement général .
Indélégable et irremplaçable. Si ce n'est pas moi qui me dresse et dis non , qui le fera, si ce n'est pas moi qui arrête le bras de celui qui frappe l'homme à terre, qui le fera, si ce n'est pas moi qui me dresse devant un char, devant un bulldozer, alors qui le fera ?
« Si je ne suis pas moi, qui le sera ? Si je ne suis que pour moi, que suis-je ? Et si pas maintenant, quand ? »,
l'éthique des Pères ; livre I.
Voilà la matière première du courage. de là vient le courage de la résistance, et sa force.
« Il faut refuser le partage des tâches que, très souvent, on nous propose aux individus de s'indigner et de parler aux gouvernements de réfléchir et d'agir. C'est vrai : les bons gouvernements aiment la sainte indignation des gouvernés, pourvu qu'elle reste lyrique. Je crois qu'il faut s rendre compte que très souvent ce sont les gouvernants qui parlent, ne peuvent et ne veulent que parler. L'expérience montre qu'on peut et qu'on doit refuser le rôle th »théâtral de la pure et simple indignation qu'on nous propose ».
Michel Foucault, « face aux gouvernements les droits de l'homme », extrait.
Faire preuve de désobéissance c'est tout d'
abord obéir à soi même et refuser d'obéir à l'autre. C'est n'accepter que sa propre obéissance active à son soi indélégable,
désobéir « c'est se découvrir irremplaçable dans sa mise au service de l'humanité toute entière, quand chacun fait l'expérience de l'impossibilité de déléguer à d'autres le souci du monde »,
c'est donner un sens à sa responsabilité dans ce qui adviendra. C'est faire acte de sa propre présence.
C'est répondre présent. C'est répondre présent à l'amitié que l'on se doit. C'est ne pas se perdre soi même de vue, ne pas perdre son compagnon le plus intime : c'est à dire soi même.
Un essai très intéressant, intelligible, où nous redécouvrons la complexité de nos soumissions, et des termes que nous employons en ces temps politiques troublés , un essai où notre responsabilité est convoquée, questionnée.
Effectivement : « un appel à la démocratie critique et à la résistance éthique ».
Opération masse critique juillet 2017. Babelio en partenariat avec les Éditions Albin Michel.
Astrid Shriqui Garain