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Critique de michfred


Aharon va mal, Aharon ne grandit pas. Il ne veut pas grandir non plus.

Il se mure en lui-même pour ne pas voir les corps envahissants des autres: celui de son père, le géant sensuel, l'ogre Moishé que deux femmes convoitent et se disputent à coup de nourritures gargantuesques et de murs effondrés. le corps maternel, aussi, possessif, et protecteur- celui de Hinda, la mère, qui le couve d'un regard inquisiteur et inquiet. le corps épaissi de sa soeur, Yochi, boulimique, solitaire et révoltée, qui étouffe tellement dans la maison familiale qu'elle devance l'appel et part à l'armée tandis que gronde la menace de plus en plus précise de la guerre des Six Jours. le corps de Mamtchu, enfin, la grand'mère polonaise, à la natte coupée, à la langue interdite, à la tête troublée, corps en déroute- de plus en plus fragile- mais qui refuse de mourir.

Dans un dégoût profond de toute cette chair, avide de plaisir, de nourritures terrestres et de sensations, Aharon refuse.

De parler, de manger, de respirer, de laisser son sang couler, de laisser ses excréments sortir de lui. Il se mure, c'est même son jeu préféré: jouer à Houdini, s'enfermer, lui, si petit qu'on le prend pour un gosse de 10 ans quand il en a 14, dans un petit frigidaire en conservant un clou, une lime, une lame dissimulés dans ses ourlets, pour le sauver in extremis de la claustration volontaire...

Les troubles de la puberté, réactivés par sa première histoire amoureuse, et son amitié exclusive et tourmentée pour Gidéon, son seul ami- et son rival- transforment bientôt cette adolescence problématique en torture. Gehine-gehinem, en yddish: la géhenne, les enfers...

Grossmann s'était fait femme dans "Une Femme fuyant l'annonce". Dans "le Livre de la grammaire intérieure", il se fait adolescent tourmenté- halushes, bok, meshigener...Faible, stupide, fou, dingue - mais surtout : malheureux.

Moins magnétique que "Une femme fuyant l'annonce", difficile à supporter parfois tant on est conduit à vivre de l'intérieur et jusqu'à la nausée le malaise de Aharon "aharoning " jusqu'au désastre- c'est , malgré cette difficulté, et même plutôt à cause d'elle, un livre extraordinaire de finesse, de justesse, de sensibilité, d'empathie - et même d'humour aussi ,mais le malaise du héros est trop grand pour nous arracher un vrai sourire, et sa souffrance est trop poignante.

Cette "grammaire intérieure" trouve sa langue: la phrase est sinueuse, complexe, entortillée sur elle-même comme un tas de viscères, une vraie "période" dont on doit sortir parfois en respirant un grand coup, comme après un plongeon prolongé...

Un livre superbe, douloureux, intérieur... un cri sans cordes vocales qui résonne en nous longtemps, cruellement...
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