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EAN : 9782757830413
783 pages
Points (04/10/2012)
3.92/5   617 notes
Résumé :
Ora, une femme séparée depuis peu d’Ilan, son mari, quitte son foyer de Jérusalem et fuit la nouvelle inéluctable que lui dicte son instinct maternel : la mort de son second fils, Ofer, qui, sur le point de terminer son service militaire, s’est porté volontaire pour "une opération d'envergure" de 28 jours dans une ville palestinienne, nouvelle que lui apporteraient l’officier et les soldats affectés à cette terrible tâche. Mais s’il faut une personne pour délivrer u... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (130) Voir plus Ajouter une critique
3,92

sur 617 notes
Attention chef d'oeuvre. Et ce n'est pas galvauder le mot que le dire.
David Grossman dont je découvre l'univers signe un époustouflant et intime portrait de femme, la bien nommée : Ora.
Ora traverse une période difficile, alors que son mari l'a quitté avec leur fils ainé Adam, Ofer le cadet termine trois longues et angoissantes années de service militaire. Mais alors qu'Ora et Ofer ont décidé de se retrouver un peu, celui-ci accepte une dernière mission. Décision insupportable qui force Ora à fuir le présent. Elle embarque Avram, l'autre homme qu'elle aurait pu épouser pour une randonnée à travers la Galilée. Ce long périple sera pour Ora et Avram celui des confidences et des révélations.
La construction du récit renforce cette fuite en avant, ou passé et présent s'entremêlent comme pour semer le destin.
Richement dialogué, l'émotion palpite, vous cueille avec une force bouleversante. Grossman met à nu le désarroi de cette femme qui a tout fait pour protéger sa maison, sa famille et qui la voit perdre tout contrôle.
La fuite est la seule solution pour ne pas être anéantie.
Le livre montre aussi la stupidité d'un conflit enlisé et interminable, le quotidien des juifs et des palestiniens, vivant dans la terreur d'un attentat.
Mais c'est aussi un livre humaniste, fait d'espoir et de tolérance (alors que Grossman est lui même meurtrie dans sa chair). Ora et Avram sont des personnages que je ne suis pas prêt d'oublier. Un livre magnifique et intense.
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Je voudrais commencer cette chronique en effleurant l'élément biographique qui a tant été évoqué dans les médias, à savoir la mort en opération au Liban du fils de l'auteur pendant que celui-ci rédigeait son livre. Je vous suggère de visionner l'extrait vidéo de "La Grande Librairie" dans lequel l'écrivain dit ce qu'il a à dire - et ce qu'il peut dire, à ce sujet. Cela relève de sa vie privée.
Tout juste me permettrai-je de mentionner comme en écho l'histoire de Gustav Mahler composant les "Kindertotenlieder" (Chant des enfants morts) quelques mois avant la mort de sa fille ainée, et les interrogations de sa femme Alma : créer, est-ce provoquer le destin ? de la prescience ?

En cela, nous sommes déjà dans le thème central d''Une femme fuyant l'annonce", qui, au-delà d'un merveilleux roman, un extraordinaire portrait de femme (un mystère pour moi qu'un homme ait pu à ce point se glisser dans la psychologie féminine...), a une portée davantage philosophique, et, comme toute grande oeuvre, nous élève au-delà de l'anecdote, des personnages, pour nous interroger sur ce que nous sommes, par quoi nous nous définissons : pour moi, "Une femme fuyant l'annonce" pose la question centrale de la langue, celle que nous parlons, celle que nous écrivons, celle que nous inventons (à l'image des deux amis et des deux fils du roman). En effet, j'ai toujours pensé - songeant à la question tant à la mode il y a quelques temps de l'identité "nationale", que nous nous définissons par les mots que nous choisissons, que nous habitons une langue plutôt qu'un pays. "Je suis d'où je parle et d'où j'écris", pourrait être le sous-titre du roman.

Pour en revenir au commencement, Bereshit, ma lecture de ce livre, comme l'écriture de cette chronique, ne peut être abordée pour moi que dans le contexte du long chemin entrepris avec l'auteur - à l'image du périple d'Ora, depuis 1994, date de sortie de "Le livre de la grammaire intérieure", acheté par le désir de savoir ce que recelait ce titre qui résonnait dans ma plus grande intimité. Ce fut un éblouissement, non démenti par la suite de mes lectures des oeuvres produites par l'auteur, dont, chaque fois, les titres semblaient m'hypnotiser et me tenir captive. Pour n'en citer que quelques-uns, "Tu seras mon couteau", "Quelqu'un avec qui courir", "J'écoute avec mon corps".

Dernier opus, "Une femme fuyant l'annonce" n'est qu'un tome supplémentaire de ce qui pourrait être un seul volume, une variation sur le thème évoqué du rapport intellectuel, charnel, voire hystérique que nous entretenons avec le langage, les mots que nous employons pour exprimer nos actes, nos pensées, nos sentiments, nos émotions, nos désirs... que ce soit dans notre langue maternelle, ou la langue de nos grands-parents immigrés, d'une langue étrangère que nous avons appris à l'école et dans laquelle nous aimons chanter, d'une langue amoureuse que nous pouvons inventer avec l'être aimé, du vocabulaire que nous adoptons quand nous aimons écrire, etc...

Que fait Ora , à travers son voyage initiatique en Galilée, sinon chercher la langue qui pourrait protéger son fils, les mots qui pourraient le maintenir en vie, comme ramener son ancien amant à la vie, comme identifier ceux qui l'ont éloignée de son mari ? Elle parle, parle, déroule le fil d'une bobine de chair et de sang, d'une mère reliée par un cordon ombilical lexical à ses enfants, aux êtres aimés, à travers une langue à l'image de la nature qui l'entoure et qu'elle découvre au cours de sa longue randonnée, foisonnante, envahissante, chatoyante, palpitante, angoissante aussi par ses pièges et ses détours, y compris dans le silence, qui n'est autre qu'un autre langage. David Grossman décrit minutieusement, avec force détails et vocabulaire précis le décor dans lequel évoluent Ora et Avram, de l'infiniment grand à l'infiniment petit. de l'immensité de la voie lactée au plus minuscule des insectes, toute manifestation vivante s'inscrit dans le déroulement du récit, dans un style semblable à une ode panthéiste. La nature, tantôt aimante, tantôt hostile, n'est plus que l'ordre d'un monde dans lequel les êtres humains doivent trouver leur place, et contribuer à son bon déroulement. Et pourtant, que cherche Ora, obstinément, si ce n'est bouleverser cet ordre naturel qu'elle pressent annonciateur de son futur malheur ? Cette femme est une héroïne presque mythologique, se dressant seule contre la volonté des Dieux, avec pour arme, le petit cahier qu'elle s'entête à noircir, et les paroles qu'elle lance comme autant de mantras aux oreilles d'Avram et à l'humanité toute entière à travers lui.Quand les mots ne suffisent plus, le corps prend le relais, soulignant une intention par une posture, un regard, un mouvement incontrôlé. Même le sommeil est vocabulaire, le corps endormi livre encore des secrets. Chaque être, chaque plante, chaque pierre est une énigme à déchiffrer, un message codé à traduire. Il faut d'ailleurs souligner l'extraordinaire travail de Sylvie Cohen, traductrice attitrée, qui sait, quand il le faut, conserver le mot hébreu - langue morte ressuscitée à la naissance d'un état, nous fait entendre sa résonance, sait que tel mot doit être conservé "en l'état" parce que, même si sa traduction est possible, le lecteur doit en entendre la musique, l'écho. S'il ne comprend pas le sens, au moins en aura-t-il eu la prescience (parfois le mot cité en hébreu -ou en arabe, langue fraternelle- est suivi de sa traduction).

Je dois avouer qu'il m'est arrivé une chose un peu étrange en lisant ce livre. Arrivée aux deux tiers du roman, j'ai dû interrompre ma lecture, pendant plusieurs semaines. J'avais plongé dans le roman en apnée, et j'ai été prise de l'ivresse des profondeurs. Les interrogations d'Ora sont devenues les miennes (hors de tout contexte factuel) et ont commencé à interférer dans ma vie privée, jusqu'au vertige. A mon tour, j'étais une femme fuyant l'annonce, quelle qu'elle ait pu être. Je n'ai rien lu ou presque pendant quelques temps, puis, lorsque je me suis sentie suffisamment armée, ai repris la randonnée en Galilée avec les protagonistes du récit, et fini le roman cette fois dans l'urgence.

Sans dévoiler la fin de l'histoire, je ne peux pas omettre de signaler que les pages consacrées à la description d'un "fait" de guerre sont d'une crudité et d'une horreur presque insoutenables. Après avoir utilisé les circonvolutions d'une langue poétique et manié la digression, l'auteur décrit chirurgicalement les événements dont l'évocation brute suffit à nous les rendre irréels, parce qu'inconcevables. Ici, nous sommes en présence d'un écrivain majeur, qui, à travers la fiction, pose sans les nommer toutes les questions politiques, philosophiques, éthiques, que se posent les familles israéliennes élevant des enfants sachant qu'ils accompliront au moins trois années dans l'armée, trois années qui, s'ils en reviennent vivants, les transformeront en étrangers, confrontés de l'intérieur au conflit israélo-arabe, dans toute sa violence et son absurdité, comme toute guerre est absurde. "Elevons-nous nos enfants pour en faire des meurtriers ?" s'interroge Ora, et sa question se perd dans l'immensité qui l'entoure. Au-delà du contexte Israélien, David Grossman interroge la conscience de chaque être humain, sans manichéisme, sans donner de leçon, mais l'on sent bien que avec toute la force qu'il imprime au récit, poser cette question est déjà le début d'une réponse.

A ce stade de ma chronique, j'imagine que certaines personnes la lisant me traiteront, comme est traitée Ora dans certaines chroniques Babélio, d'hystérique, mais je ne suis pas plus rationnelle qu'Ora et souhaite que ce compte-rendu de ma lecture soit à l'image du climat dans lequel j'ai baigné au fil des mots qui me retenaient prisonnière et me fascinaient doucement...( un auteur comme Paul Auster indique dans la quatrième de couverture qu'il a "dévoré" le roman "dans une transe fiévreuse"...).

En conclusion, je dirai que David Grossman, à l'image des écrivains qui dépassent leur nationalité et leur époque, à travers "Une femme fuyant l'annonce", ne fait qu'écrire encore et toujours le même livre, initié avec "Voir ci-dessous : Amour", et que cette oeuvre qu'il construit avec un acharnement vital restera bien au-delà de sa propre existence. Il bâtit un monde avec un talent immense et singulier, et j'aime à penser que l'un des non moindres mérites de ce roman est de lui avoir donné un rayonnement de plus en plus grandissant, car plus un auteur est singulier, plus il nous ouvre les portes de l'universel. En inventant au fil de ses écrits un langage unique et intime, il nous incite à nous exprimer du plus profond de nos êtres, à créer à notre tour notre "grammaire intérieure", nous éloigner des lieux communs qui nous affaiblissent et affectent notre relation au monde, pour nous rendre meilleurs et authentiques.

Lien : http://parures-de-petitebijo..
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Incontestablement « Une femme fuyant l'annonce » est un livre admirable.
Paradoxalement sa lecture a suscité en moi un ennui profond...

Irrésistiblement poussée par une superstitieuse tentation de conjurer le sort, Ora déserte son foyer, espérant ainsi échapper à une hypothétique visite qui annoncerait la mort de son fils au combat. Résumée dans le titre, cette fuite en avant en compagnie d'Avram, l'un des hommes de sa vie, va impitoyablement immerger Ora dans les sinueuses réminiscences de son passé.

Amours, famille, enfants… conflit israélo-arabe en toile de fond, ce récit va rapidement devenir un systématique et interminable va-et-vient dans le temps et dans la mémoire tourmentée de ce personnage complexe. Car Ora est une Amoureuse, fantasque, tendre, sensuelle, fougueuse, à laquelle j'avoue m'être attachée et sans doute identifiée ; mais Ora est aussi – et d'abord ? – une Mère, si exclusive, si excessive, si exaltée… si éloignée de mes propres repères qu'elle m'a très vite lassée. Même complexité touchante mais parfois irritante ou improbable chez les autres protagonistes de ce roman.

Mais au-delà d'une structure narrative parfois confuse, le plus désolant pour moi restera les longues, si longues pages de détails et de descriptions, superbement évoqués mais… désespérément interminables. Non, vraiment, le récit s'anime sensiblement sur les cent-cinquante dernières pages mais – j'ose à peine le confesser – quel ennui sur les cinq-cents premières !

Je n'irai pas jusqu'à conseiller de fuir… ce pavé mais pour ma part j'ai dû sacrément m'accrocher pour en venir à bout (pour un peu, j'en serais presque fière même !!)


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Ils sont trois. Deux hommes, Ilan et Avram, une femme, Ora. D'un simple trio amoureux (une histoire à la Jules et Jim) né en pleine guerre des Six jours, David Grossman raconte le quotidien de trente ans d'Israël avec cette force inouïe de l'homme qui a perdu un de ses fils alors qu'il écrivait le roman. C'est d'une brutalité incroyable et c'est magnifique. Un témoignage bouleversant sur la bêtise de la guerre.

Est-ce l'histoire d'une femme qui aime deux hommes ou celle de deux hommes qui aiment la même femme ? Quand ils sont dans le même hôpital, durant la guerre des Six Jours, Ilan, Avram et Ora, alors agés de 16 ans, ne sont que ces soldats meurtris qui cherchent à échapper à cette guerre. D'Ilan et Ora naîtra Adam, car il était si simple d'aimer Ilan. D'Avram et Ora naîtra Ofer, car c'est bien Avram qui a toujours aimé Ora. Et c'est cette vie qu'Ora nous fait partager, nous donne à lire dans son petit carnet bleu foncé, quand elle décide d'entraîner Avram, sur les chemins d'Israël. Ofer vient de terminer ses trois ans de service militaire, mais il accepte de partir pour une dernière mission dans les territoires occupés. Ora, persuadée que son fils va mourir, va être celle qui "fuit l'annonce", ne sera pas chez elle quand les militaires viendront lui annoncer la mort de son fils. Et c'est ainsi qu'elle entraîne son ex-amant, le père biologique d'Ofer, l'homme qui n'a jamais voulu assumer sa paternité, dans cette randonnée qu'elle comptait faire avec son fils pour fêter sa démobilisation.

C'est cette excursion sans but, uniquement destinée à conjurer le sort, cette troublante errance qui constitue le gros de ce long roman de 670 pages, une promenade interminable dans la nature, sur les monts et dans les vallées de Galilée.

David Grossman décrit un paysage grandiose, désertique ou verdoyant, riche en sons, en couleurs, et en odeurs que traverse Ora et Avram, nous plongeant tour à tour dans le présent infiniment concret de l'espace, puis dans le passé confus et dense de la vie des deux marcheurs. de l'un à l'autre, au fur et à mesure des révélations et des découvertes, la toile du roman se tisse, avec en son centre, comme point focal, l'angoisse de la mort, de la disparition et de l'oubli.

C'est à la fois une plongée totale dans la personnalité de cette femme puissante qu'est Ora, une mise à nu de sa psyché, de ses sentiments comme de son intelligence, et en même temps l'histoire plus large d'Israël, de ce pays fragile et troublé qui ne connaît pas la paix. Les deux figures se répondent, se déchirent et se confondent, nous immergeant dans les angoisses, les contradictions et les disparités insolubles qui plombent cette région et ceux qui la peuplent. On découvre peu à peu les troubles de cette société israélienne toujours perturbée par un sentiment de méfiance, d'inquiétude qui pousse à des réactions immédiates et non réfléchies. le départ d'Ora en Galilée est une expression de ces décisions instantanées, qui la pousse pourtant vers une bénéfique mise à plat de son existence. Elle tempère ses angoisses, renforce son amour immense pour les siens, retrouve les liens intimes qui l'unissent à Avram. C'est également un combat contre l'oubli, la disparition de ses souvenirs, la mémoire de sa vie, de celle de sa famille et surtout celle de son fils qui est probablement mort. " Tu te souviendras d'Ofer ; tu te rappelleras sa vie, toute sa vie n'est-ce-pas ? ". Tels sont les derniers mots d'Ora : belle leçon de courage et d'humanité.

Une femme fuyant l'annonce est un roman dense, d'une grande justesse porté par une héroïne tour à tour poignante et rugissante , au-milieu de la beauté naturelle de cette terre de Galilée si disputée. Une oeuvre forte et intense qu'on ne peut lâcher une fois commencée, qui prend "aux tripes" et qu'on ne risque pas d'oublier !
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Ouf ! Oui, je le redis : après la lecture de ce pavé de 780 pages, ouf !
Et pourtant ! Que j'ai aimé accompagner Ora dans son cheminement à travers ce beau pays d'Israël et jusqu'aux tréfonds d'elle-même !

Au départ, elle agit sur un coup de tête : son fils Ofer s'est engagé dans l'armée pour mener une opération d'envergure alors qu'il venait à peine de terminer son service militaire. Elle est hors d'elle-même et se dit incapable de rester chez elle, d'attendre LA nouvelle insoutenable de sa mort.
Et elle se jette sur les sentiers de Galilée, mais pas seule ! Elle va déloger Avram, son grand amour de jadis, son grand ami, de son taudis et de son mutisme pour le forcer à l'accompagner et à l'écouter.

C'est alors que commence sa longue pérégrination, c'est alors que tout doucement, Ora va prendre vie en moi…
Et je vais apprendre, je vais reconstruire au fil des pages, au fil des kilomètres, la vie de cette famille ô combien ordinaire et extraordinaire. Reconstruire, car les souvenirs, les anecdotes sont jetés en vrac, sans lien chronologique. Depuis la jeunesse d'Ora et sa rencontre dans un hôpital avec les 2 amis Avram et Ilan, superbement racontée dans le prologue intensément poétique, en passant par son hésitation continuelle entre eux deux, l'engagement après « tirage au sort » d'Avram dans l'armée et dans la guerre, la naissance d'Adam, le fils d'Ora et d'Ilan, le terrible retour d'Avram, torturé par les Egyptiens, la naissance d'Ofer, le fils d'Ora et d'Avram…jusqu'à sa séparation d'avec Ilan…

Je me rends bien compte que je ne donne ici que des faits, alors que le roman entier déborde de sensations, de sentiments, de pleurs et de rires, de révolte et de soumission au destin.
Ora est une femme, et je suis persuadée que, comme moi, toutes les femmes se retrouveront en elle : elle vit pour ses enfants, et à travers une multitude de tendres anecdotes, elle passe en revue leur enfance, leur complicité de frères, leurs difficultés aussi. Elle souffre pour eux car la guerre est là, omniprésente. Elle a peur, elle a encore peur au moment où elle raconte tout cela à Avram.
Ora est une femme, et vit avec un homme… difficile à vivre, torturé par la culpabilité de voir Avram, son meilleur ami, supplicié.
Ora est une femme et relève Avram, pour en révéler un être infiniment touchant. Ecouter les confidences d'Ora va le transformer et il devient par là-même celui qui l'accompagne, qui la soutient. de l'adolescent enchanteur devenu l'adulte muet nait Le Sage dépositaire de ses souffrances et de ses peurs.

Ora est une femme, et par le fait qu'elle donne la vie, rejette de toutes ses forces la mort, la guerre, la haine.
Moi qui vis dans une partie du monde épargnée, je ne peux que penser, après la lecture de ce roman, à toutes les mères angoissées par la guerre, cherchant à protéger leur enfant par-dessus tout.
En cette fin d'année, je formule un voeu sincère : que toutes ces mères puisent en elles le courage de continuer, qu'elles trouvent, comme Ora, un soutien indéfectible pour marcher dans la vie avec cette horreur au coeur : leur enfant en danger à cause de la guerre.


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critiques presse (5)
LesEchos
15 novembre 2011
Avec « Une femme fuyant l'annonce », qui vient de recevoir à l'unanimité le prix Médicis étranger, David Grossman réussit à la fois un portrait sensible de femme, pivot d'une tribu, mais aussi celui d'une terre qui ne parvient pas à trouver la paix.
Lire la critique sur le site : LesEchos
LaPresse
03 octobre 2011
Une femme fuyant l'annonce est la très longue chronique d'une fuite. Mais au Moyen-Orient, il n'y a pas de fuite possible, même pour une minute.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LeSoir
12 septembre 2011
David Grossman nous offre un roman magnifique. Inoubliable, « Une femme fuyant l'annonce » dit l'amour et la guerre à travers cinq individus.
Lire la critique sur le site : LeSoir
LeFigaro
26 août 2011
Dans Une femme fuyant l'annonce de David Grossman, une femme dont le fils se bat en Territoire occupé s'enfuit de Jérusalem vers la Galilée avec son amour de jeunesse. Le grand roman de l'écrivain israélien.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Lexpress
22 août 2011
David Grossman a écrit un livre magistral sur le quotidien des Israéliens et la mort annoncée de son fils. Du roman comme exorcisme.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (143) Voir plus Ajouter une citation
Ada a eu un accident la nuit précédente à Ramat Gan, annonça-t-il. Elle traversait la rue au moment où passait un bus…
Alors c’est en classe que tu as appris la nouvelle ?
Oui.
Ce n’est pas possible.
Si.
(…)
Chaque élève a rédigé quelques lignes à la mémoire d’Ada. Moi aussi. Le prof de littérature les a ramassées, elle les a reliées et les a envoyées à ses parents.
(…)
Ora dodelina de la tête, le corps secoué de spasmes.
Je n’avais jamais parlé d’elle à personne avant, et elle…On n’y a plus jamais ait allusion en classe, pas une seule fois en deux ans…
Elle renversa soudain la tête en arrière et se mit à la cogner en cadence contre le mur : Comme-bang-si-bang-elle-bang-n’a-bang-vait-bang-ja-bang-mais-bang-exis-bang-té.

Elle avait trompé son monde et dormi tout éveillée, une vraie somnambule. Quel exploit ! La reine de la triche ! Championne du monde du somnambulisme !
(…)
Ses mains, ses pieds, ses lèvres remuaient constamment, une vraie pipelette, bref, elle faisait beaucoup de bruit, s’agitait en tous sens, mais son esprit ressemblait à une coquille vide, et son corps à un désert aride.
La vie continuait. Incroyable, mais c’était ainsi. Son corps se mouvait mécaniquement – elle mangeait, buvait, marchait, s’asseyait, se levait, dormait, déféquait, riait…Seulement, un an après la mort d’Ada, ses orteils étaient devenus insensibles. Parfois, le phénomène se prolongeait pendant des heures et gagnait sa main gauche. Et les cuisses et le dos. Elle avait beau se gratter, elle ne sentait rien du tout. Elle ne s’en était ouverte à personne. Comment l’aurait-elle pu ?
Il y avait un trou, pensa-t-elle, frissonnante et glacée. Et ce n’était pas nouveau. Comment avait-elle pu ne rien remarquer ? Depuis la disparition d’Ada, il y avait un trou en forme d’Ora à sa place habituelle.

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Quand on est petit, vous savez, et qu'un adulte accepte de jouer avec vous, on a toujours peur qu'il se lasse, consulte sa montre ou ait autre chose de plus urgent à faire, non?
Mais pas ma mère. Elle ne se fatiguait jamais avant moi et, quoi qu'il arrive, je savais qu'elle ne s'interromprait jamais la première.
C'est quelque chose qui vous insuffle de la force pour toute la vie, quelque chose qui vous rend heureux, hein?
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Quand les enfants étaient petits, ils adoraient étendre le linge ensemble à la nuit tombée - la dernière tâche domestique après une dure journée.
Ils transportaient la grande bassine dans le jardin, face aux champs obscurs.
Le grand figuier et les grévilléas bruissaient doucement d'une vie riche et mystérieuse, tandis que les cordes ployaient sous de minuscules vêtements, pareils à des hiéroglyphes en miniature : chaussettes microscopiques, bodys, chaussons, pantalons à bretelles, salopettes aux couleurs vives.
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Et le jour où tu m'as demandé de poser nue devant toi pour me croquer avec des mots. Je me suis installée sous la véranda face à l'oued - je n'arrive pas à croire que je l'ai fait -, dehors, tu avais insisté, tu te rappelles ? Tu affirmais que la lumière était meilleure. Et j'ai accepté, bien sûr, je faisais tes quatre volontés, à l'époque, à condition qu'Ilan n'en sache rien, à aucun prix ! Nous jouions à ce petit jeu, en ce temps là, ou plutôt c'était le jeu que tu jouais avec moi, et Ilan, dans tes dimensions parallèles. J'étais dans le plus simple appareil, au beau milieu de la terrasse face à l'oued, d'où les bergers de Hussan et de Wadi Fukin auraient pu surgir d'un moment à l'autre, tu t'en fichais, tu te moquais de tout quand le besoin d'écrire te démangeait, dans le feu de l'action.

Tais-toi, pense-t-elle. Pourquoi l'agresser ? Que lui arrive-t-il ? Il y a prescription là-dessus, non ?

- Moi, je t'assure, j'avais la chair de poule quand tu me disséquais en mots. J'en avais tellement envie - tu avais dû le deviner -, en même temps, je me sentais exploitée ! Comme si tu pillais mon sanctuaire intime, ma peau, ma chair, je n'ai jamais osé te l'avouer. Impossible de te parler dans cet état là. J'avais même un peu peur de toi, ajoute-t-elle, effarée. Tu ressemblais à un cannibale, mais j'aimais quand tu étais incapable de te contrôler, quand tu n'avais pas le choix. J'adorais ça chez toi !

- Je voulais te croquer de cette façon chaque année, croasse Avram.

Ora cesse de respirer.

- J'étais certain de continuer à le faire encore des années, poursuit-il d'une voix lasse, distante. Cinquante ans au moins, voilà ce que je voulais. Je pensais...j'envisageais, une fois par an, de décrire ton corps, ton visage, chaque centimètre, le plus petit changement, mot à mot, durant toute notre vie commune, même si nous n'étions pas ensemble, même si tu continuais à être à lui. Tu serais mon modèle, avec des mots.

Elle replie ses jambes sous elle, bouleversée, abasourdie par ce grand déballage.

- Mais je n'en ai eu l'occasion que deux fois : Ora à vingt ans et Ora à vingt et un ans.

Elle ne se rappelle pas un tel projet. Peut-être n'en a t-elle rien su. Il n'est pas toujours capable d'exprimer ses idées. Et il arrivait qu'il ne le veuille pas non plus...


- Y aurait-il des toilettes pour dames, dans le coin ?

Il désigne l'obscurité d'un signe de tête. Munie d'un rouleau de papier, elle s'éloigne. Elle urine, accroupie derrière un buisson. Des gouttes giclent sur son pantalon et ses chaussures. Demain matin, il me faut d'urgence prendre une douche et faire un peu de lessive, se dit-elle. Elle regarde les choses en face : elle ne pourra plus poser nue pour lui vingt-huit autre fois ni surprendre dans son regard comment il la considérait. Ni voir comment les mots qui la décrivaient changeaient d'une année à l'autre, telles des ombres se découpant sur un paysage familier. Vieillir dans ses mots aurait-il été moins douloureux ? Non, aucun doute, c'eût été pire.

Cela fait, adossée à un petit tronc, dans le noir, elle serre ses bras autour de sa poitrine, soudain très seule. Des images accumulées au fil des ans resurgissent du passé : Ora adolescente, Ora soldate, Ora enceinte, Ora et Ilan, Ora avec Ilan, Adam et Ofer, Ora avec Ofer, Ora seule. Ora seule avec toutes les années à venir. Comment la voit-il aujourd'hui ? Des mots cruels se profilent devant ses yeux : sèche, flétrie, les veines apparentes, les verrues, l'embonpoint, ses lèvres, ses seins, la peau flasque, les tâches, les rides, la chair, la chair...

Au sein de l'obscurité, elle le distingue à la lueur des braises. Il se lève, tire de son sac à dos deux gobelets qu'il essuie avec un pan de sa chemise. Il remplit d'eau le finjan noirci. Il lui prépare du café. Il écarte le carnet pour ne pas le mouiller. Sa main s'attarde sur la reliure bleue qu'il effleure du bout des doigts. Elle croit le voir en évaluer furtivement l'épaisseur avec le pouce...
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Les familles...Tant de variables, de parenthèses, de multiplications par des puissances, toutes ces complications, ce besoin constant d'être "en relation" avec tous les autres membres de cette famille, à n'importe quel moment, de jour comme de nuit, même en rêve.
C'est comme recevoir en permanence des décharges électriques, ou vivre dans un éternel orage.
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Vidéo de David Grossman
Wajdi Mouawad interprète le rôle du juge Avishai dans le texte de David Grossman, Un cheval entre... .Wajdi Mouawad interprète le rôle du juge Avishai dans le texte de David Grossman, Un cheval dans un bar. Une fiction enregistrée au musée Calvet d'Avignon, à retrouver ici : http://bit.ly/2uiEaiS
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