AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Unvola


Dans ce passionnant essai, Patrice Gueniffey (maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales) décortique la montée crescendo de la Terreur entre 1789 et 1794, lors de notre Révolution Française.
Cet ouvrage est essentiel pour appréhender et différencier les phénomènes de violence et de Terreur lors de la Révolution Française, voire des Révolutions en général.
En effet, l'auteur distingue d'une part, la violence révolutionnaire sauvage populaire des foules, qui engendre de nombreuses victimes, mais qui n'est pas préméditée, pendant la première période située entre 1789 et 1791. Et d'autre part, l'auteur décrypte le phénomène de la Terreur politique Étatisée et Idéologique (Pensée unique) délibérée et officialisée durant la Révolution Française par le décret du 5 septembre 1793 ; puis renforcée par le décret de la Grande Terreur du 10 juin 1794, sous le Comité de Salut Public de Robespierre. Cette Terreur d'État choisit ses cibles à exterminer : les « ennemis du peuple », les « suspects », les « contre-révolutionnaires », etc., durant la seconde période de la Révolution Française située entre 1792 et la chute de Robespierre le 9 Thermidor an II (le 27 juillet 1794), (page 14) :
« Les historiens ont trop souvent expliqué la Terreur par la peur ou par le fanatisme. Par la peur : le danger aurait réveillé des réflexes enfouis, qu'il s'agisse de la tentation de massacrer de supposés coupables ou de les réduire à la passivité en les terrorisant. Par le fanatisme : la Terreur comme instrument pour plier le réel aux exigences d'un projet conçu préalablement dans le ciel des idées. Mais la première explication ne dit pas pourquoi les révolutionnaires avaient peur de dangers parfois imaginaires. La seconde ne dit pas davantage pourquoi les plus fanatiques ont fini par prendre le dessus avant de s'éliminer les uns les autres. Comme on le verra, la Terreur n'est ni le produit de l'idéologie, ni une réaction motivée par les circonstances. Elle n'est imputable ni aux droits de l'homme, ni aux complots des émigrés de Coblence, ni même à l'utopie jacobine de la vertu : elle est le produit de la dynamique révolutionnaire et, peut-être, de toute dynamique révolutionnaire. En cela, elle tient à la nature même de la Révolution, de toute révolution. Mais elle est aussi un moment de vérité de la Révolution française. Non parce qu'elle dévoilerait, comme le pensait Augustin Cochin, le mensonge de la démocratie, mais parce qu'elle dissipe tragiquement certaines illusions cultivées en 1789. »
Cette Terreur révolutionnaire ne stoppa pas net, le 9 Thermidor, mais s'estompa lentement… (page 15) :
« Si la Terreur, comme système de pouvoir, appartient désormais au passé, la Terreur comme moyen de gouvernement ne disparaît pas pour autant. Les exemples abondent en effet de la persistance d'actes de terreur : la déportation sans jugement, décrétée le 1er avril 1795, de Barère, de Billaud-Varenne, de Collot d'Herbois et de Vadier ; la décision prise par la Convention le 27 juillet 1795, le jour même où elle célèbre le premier anniversaire de la chute du « tyran », de fusiller les émigrés faits prisonniers à Quiberon ; la loi du 25 octobre 1795 qui reproduit les textes de 1792 et de 1793 frappant les prêtres et qui ressuscite contre les nobles la loi des suspects du 17 septembre 1793 ; les déportations consécutives au coup d'État anti-parlementaire du 4 septembre 1797, etc. le 9 thermidor tourne une page de l'histoire de la Terreur plus qu'il n'en signe la fin. »
Il est donc difficile de déterminer exactement quand s'est terminée cette Terreur et quand elle a commencé, peut-être dès 1789… (pages 16 et 17) :
« C'est en effet dès juillet 1789 que se produit une première flambée de violence ponctuée de massacres, à Paris comme en province ; c'est en septembre que Marat publie le premier numéro de l'Ami du peuple ; c'est en octobre enfin que la municipalité parisienne établit un Comité des recherches chargé de traquer les conspirateurs.
Bien avant la première terreur de 1792 et la Terreur de 1793-1794, il existe ce qu'on pourrait nommer une « Terreur d'avant la Terreur » (note n°10 : Bronislaw Baczko, « The Terror before the Terror ? Conditions of possibility, logic of realization », in Keith Michael Baker (éd.), The Terror, Oxford, Pergamon Press, 1994, p. 19-38.), contemporaine du début de la Révolution, ou qui du moins suit son avènement de si peu (les états généraux se sont réunis en mai 1789, la violence fait irruption en juillet) que l'on peut dire que l'histoire de la Terreur commence avec celle de la Révolution pour ne finir qu'avec elle. Aussi faut-il d'emblée, en raison de cette apparition simultanée de la Révolution et de la violence, renoncer à deux idées fausses : la première, que la Terreur serait un produit extérieur à la Révolution ; la seconde, qu'elle serait un produit tardif de la Révolution. Si l'on ne peut, sans exagération, en conclure que la Terreur se confond avec la Révolution française, autrement dit que la Révolution serait en elle-même et tout entière terroriste, du moins faut-il admettre que Terreur et Révolution, apparues presque ensemble, entretiennent dès ce moment des liens étroits qu'il faut précisément élucider. »
Mais reprenons plus précisément la chronologie des événements concernant la violence et la Terreur, lors de la Révolution Française….
La difficulté de cette étude est d'autant plus conséquente, que la violence et la Terreur prirent différentes formes (page 22) :
« le risque existe, en identifiant terreur et violence, de confondre arbitrairement des événements de nature différente. Qu'y a-t-il en effet de commun entre les lynchages perpétrés par les foules de 1789 et les déportations en Guyane de 1797, entre les « journées » insurrectionnelles soigneusement organisées et encadrées de 1792 ou de 1793 et les massacres de septembre 1792 ? Quel point de comparaison trouver entre la « bagarre » de Nîmes en 1790 et l'élimination systématique des « ennemis du peuple » programmée par la loi du 22 prairial (10 juin 1794), entre la persécution des prêtres et la « terreur blanche » de 1795 ? Les exemples cités n'ont en commun que l'effroi ressenti par ceux qui en furent les victimes ou, dans certains cas, les témoins. Pour le reste, les dissemblances l'emportent de loin sur les ressemblances : ici la violence est spontanée, là préméditée ; ici sauvage, là judiciaire ; ici le fait du peuple, là de l'État ; ici elle frappe des individus identifiés, là elle s'abat aveuglément… Cette diversité n'est nullement exhaustive et il serait facile de multiplier les exemples au point de décourager toute tentative d'interprétation d'ensemble, sauf à considérer le problème de la violence et de la terreur du seul point de vue de leurs victimes et à se contenter ainsi d'en saisir les effets plutôt que le sens. »
Pour aider à la compréhension, il faut donc d'abord commencer par distinguer la Violence de la Terreur (pages 24, 25 et 26) :
« La terreur n'est pas réductible à la violence. Sans doute, toute violence inspire un sentiment de terreur, tandis que la terreur exige toujours le recours à une dose variable de violence. Mais pour autant, toutes les violences de l'époque révolutionnaire ne sont pas de nature terroriste. Violence et terreur se distinguent de deux façons : d'un côté par leur caractère délibéré ou non ; de l'autre par l'identification, ou au contraire la distinction, entre la victime frappée et la cible réellement visée. La violence des foules frappe, sinon au hasard, du moins sans préméditation ceux qu'elle vise, tandis que la terreur a pour particularité d'être l'application délibérée de la violence à une victime choisie en vue d'atteindre une cible.
La violence sauvage et collective, dont la Révolution offre maints exemples, depuis la mise à mort de Foulon et de Bertier de Sauvigny le 22 juillet 1789 jusqu'aux massacres des prisons en septembre 1792, a pour principal caractère la spontanéité de son déclenchement. Aucune directive ne préside aux premiers lynchages parisiens, ni même, du moins en l'absence d'indices convaincants, aux assassinats de septembre 1792.
(…) Cette violence collective et spontanée, d'une cruauté souvent extrême par la durée et le raffinement des sévices infligés aux victimes avant et souvent après leur mort, mais ponctuelle et localisée, n'a pas d'autre fin qu'elle-même. À la soudaineté de son déchaînement fait écho la rapidité du retour au calme. La mort des victimes laisse les tueurs et les spectateurs hébétés et comme rassasiés, convaincus d'une certaine façon que justice a été faite, mais incapables, lorsqu'on les interroge, de donner de leur geste une explication un tant soit peu rationnelle. Si cette violence sauvage est à l'origine de quelques-uns des épisodes les plus dramatiques de la Révolution française, elle s'inscrit dans une longue histoire où les années 1789-1794 n'occupent qu'un très court chapitre.
(…) Il s'agit d'un phénomène que les historiens des mentalités connaissent bien : la violence est une réponse à l'angoisse qui s'empare de la communauté lorsqu'elle se trouve confrontée à une menace engageant son existence même ou dont elle est persuadée qu'elle engage son existence, et qu'aggrave un contexte conjoignant affaissement de l'autorité légitime et effacement des repères traditionnels. C'est alors le temps des rumeurs les plus irrationnelles mais dont la fonction est d'apporter une réponse rassurante à l'incompréhensible, donc rationnelle en ce qu'elle assigne une cause objective, identifiable et extérieure à la dissolution dont la communauté paraît menacée. Rumeur, dénonciation, identification, châtiment : la violence se présente alors comme le moyen de donner un coup d'arrêt à la subversion de l'ordre naturel des choses par l'élimination du coupable, physiquement tué et symboliquement expulsé comme corps étranger et nuisible, afin que par ce sacrifice soient rétablies la cohésion et l'unité ontologiques de la communauté. C'est en cela que la mort du coupable épuise la signification de la violence.
Que ces actes terrorisent, la chose est certaine. Cependant, on ne saurait parler d'actes terroristes, car la terreur a précisément pour caractères distinctifs ce qui fait défaut à la violence spontanée des foules : une dimension stratégique et la distinction entre la victime et la cible réelle de la violence.
La terreur peut être définie comme une stratégie mobilisant un quantum de violence dont l'intensité peut varier de la simple menace de la violence jusqu'à son déchaînement aveugle, avec l'intention explicite de provoquer le degré de peur jugé nécessaire à l'accomplissement d'objectifs politiques dont les terroristes estiment qu'ils ne peuvent être atteints sans violence ou par les moyens légaux disponibles. Aussi la terreur se distingue-t-elle des autres formes de violence par sa nature délibérée, donc rationnelle : elle procède d'un calcul et vis à produire certains effets en vue d'une fin déterminée. Peu importe que cette fin soit ou ne soit pas rationnelle, ou que le recours au terrorisme engendre, comme le démontre l'expérience, des effets qui vont directement à l'encontre du but recherché, ou encore que le moyen soit intrinsèquement incapable de jamais atteindre la fin qui lui a été assignée : « On ne voit pas, note Jean Baechler, comment l'assassinat de quelques capitalistes pourrait amener à la disparition du capitalisme » (note n°14 : J. Baechler, « La terreur a-t-elle un sens ? », art. cité, p. 591) ; il en va de même des « aristocrates » ou de la « contre-Révolution ». La terreur est rationnelle, indépendamment de ses effets réels, en ceci que le terroriste y recourt en fonction d'un calcul sur le coût respectif des moyens disponibles (à supposer qu'il en existe d'autres) pour atteindre la fin qui est la sienne. de la crucifixion des partisans de Spartacus jusqu'à l'anéantissement des populations d'Hiroshima et de Nagasaki, la terreur est une stratégie marquée au coin de la rationalité : elle vise à contraindre ou à soumettre un sujet, moins par la souffrance et la mort que par la menace de la souffrance et de la mort infligées préalablement à un certain nombre de victimes choisies (y compris, le cas échéant, selon le principe du hasard). La terreur n'est jamais qu'un moyen, un instrument au service de la politique ou de la conduite de la guerre, aussi ancien que la politique et la guerre, et qui n'entretient même aucun lien particulier avec la modernité. »
Patrice Gueniffey revient encore sur la différence entre violence collective et Terreur (pages 27, 28, 29, 30 et 32) :
« On voit ici à l'oeuvre les principales composantes de la terreur : sa dimension stratégique, la violence calculée qu'elle mobilise, enfin la relation indirecte qu'elle instaure entre les différents protagonistes. En effet, alors que la violence collective ne met en scène que deux acteurs (la foule et sa victime), la terreur en requiert au moins trois : le terroriste, la victime qu'il frappe, enfin la cible que le spectacle du supplice doit suffisamment terrifier pour qu'elle cède aux exigences du terroriste. Dans l'exemple donné par Machiavel, Remiro di Orco n'est que la victime, tandis que le peuple de Cesena est le véritable destinataire de cet acte de terreur. Cette relation nécessairement indirecte entre le terroriste et sa cible réelle peut même redoublée lorsque, comme dans le cas du terrorisme contemporain, un groupe politique ou un État frappent aveuglément une fraction plus ou moins large de la population pour la terroriser dans son ensemble et ainsi, par son intermédiaire, atteindre son gouvernement.
(…) S'il s'agit de punir pour réparer, il s'agit plus encore de punir pour prévenir. Les terroristes de 1793 ne disent pas autre chose. Ils ont sans doute en vue un autre objet, purement politique, mais ils justifient les mesures rigoureuses qu'ils préconisent en empruntant leurs arguments aux théoriciens qui, sous l'Ancien Régime, défendaient le principe de la peine capitale en fonction de son utilité.
Comme eux, comme Muyart de Vouglans, ils croient à la vertu des « grands exemples » : la punition prompte et capitale des conspirations doit prévenir de futures conspirations en imprimant dans les esprits la certitude du châtiment et la crainte de l'échafaud.
(…) La terreur est le règne universel et indéfini de l'arbitraire. Même lorsqu'elle emprunte ses formes à la justice, comme avec la création du Tribunal révolutionnaire du 10 mars 1793, la terreur doit conserver l'arbitraire de ses arrêts comme son ressort principal, car l'insécurité qu'elle répand est la condition de son efficacité. Peut-on concevoir en effet un système de terreur frappant seulement d'authentiques coupables ? Rassurant les innocents, il manquerait son but. L'asservissement de tous exige que chacun vive dans une crainte perpétuelle provoquée et entretenue par des exemples éclatants, suffisamment arbitraires et répétés : tous alors prendront peur et comprendront que la mort qui a frappé tel « coupable » pour des motifs incertains pourra, demain, les frapper à leur tour sans plus de formalités. »

P.S. : Vous pouvez consulter ce commentaire, dans son intégralité, sur mon blog :
Lien : https://communismetotalitari..
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}