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Citations sur Le vertige, tome 2 : Le ciel de la Kolyma (14)

Pendant plusieurs années il n’eut plus à la place de l’ulcère béant qu’un petit bleu opiniâtre. Mais peu avant le début de 1960, à la suite du surmenage moral et du choc physique représenté par la réhabilitation et le retour sur le continent, cet ulcère trophique se rouvrit en vertu de mystérieuses lois naturelles et s’étala à nouveau, béant, sur sa jambe. Comme un sceau, le sceau avec lequel tant et tant de détenus étaient morts à la Kolyma. A la fin de 1959, deux jours avant sa mort, Anton, hospitalisé à l’Institut thérapeutique de Moscou, disait avec un sourire amer : « On reconnait les anciens d’Auschwitz, et de Dachau à leur numéro tatoué sur le bras. Les anciens de la Kolyma, on peut les reconnaître à cette marque tatouée par la faim ». (Extrait du Chapitre « L’ire et l’amour de nos seigneurs… »)
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Quand on vit pendant des années dans un monde de tragédie, on finit par s'accomoder d'une souffrance si constante, et on apprend même à lui échapper de temps en temps. On se console en pensant que la souffrance met à nu l'essence des choses, qu'elle est le prix dont on achète une vision de l'existence plus profonde et plus proche de la vérité.
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Toutes les autres éducatrices étaient des contractuelles, arrivées souvent depuis très peu de temps. Il y avait parmi elles des femmes charmantes, et je leur était reconnaissante du tact avec lequel elles évitaient de souligner ma qualité de paria. Mais je ne pouvais me lier d’amitié avec elles. Elles me paraissaient plus enfants que nos pupilles. Certes, elles avaient vécu la guerre, l’évacuation, la famine, mais sorties de là, elles ne savaient rien. Leur naïve confiance à l’égard de la propagande officielle était si forte que ce que leurs yeux voyaient à la Kolyma, elles ne le croyaient pas. Les phrases imprimées dans le journal faisaient sur elles plus d’effet que ce qu’elles voyaient dans la rue. C’est avec une extase quasi religieuse qu’elles apprenaient aux enfants la chanson si répandue à l’époque : « Le premier faucon est Lénine, le second est Staline. » En tout cas elles avaient un sentiment de la réalité nettement moins développé que, disons, la petite Lida Tchachetchkina, née à Elguen, qui avait déjà été par deux fois séparée brutalement de sa mère et qui, depuis six ans qu’elle était sur terre, avait vu je ne sais combien de mètres de barbelés, des dizaines de chiens-loups et autant de miradors. (Extrait du chapitre « Noble labeur », dans lequel l’auteure raconte son retour au monde « libre » et son travail d’éducatrice).
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Alors venaient des « pourquoi ? » et des « comment ? » sans fin, auxquels il était presque toujours délicat de répondre. C’est qu’il était diablement observateur, ce gamin ! La discordance entre les principes qu’on lui inculquait et ce qu’il voyait dans la vie réelle l’entretenait dans une inquiétude perpétuelle.
« Les éducatrices disent toujours qu’il ne faut pas s’assoir par terre, qu’on peut attraper du mal et se salir…
- Bien sûr. », acquiescé-je tout en pressentant vaguement un piège derrière cette phrase innocente. En effet, la voici. Comment se fait-il donc qu’Edik ait vu de ses yeux dans la rue, un soldat-escorteur qui criait : « Assis ! » à une colonne de zeks nouvellement débarqués et que tous se soient assis par terre ? Justement il venait de pleuvoir. Certains zeks se sont retrouvés le derrière dans des flaques. « Ils vont avoir attrapé du mal, n’est-ce pas ? C’était un mauvais homme, cet escorteur, n’est-ce pas ? » Le plus souvent j’élude ce genre de questions. Je détourne la conversation vers d’autres sujets. (…). Mais cette fois, il insiste : « C’était un mauvais homme, cet escorteur, n’est-ce pas ? » (Extrait du chapitre « Noble labeur », dans lequel l’auteure raconte son retour au monde « livre » et son travail d’éducatrice, ici à propos d’un enfant de six ans)
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Parce que chez nous, hein, c'est dialectique: aujourd'hui distinguée, demain reléguée...
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J’ai gardé un souvenir particulièrement net de mon étude des « jeux créatifs ». Une heure était réservée, entre le goûter et le dîner, aux activités que l’on appelait ainsi. Les enfants avaient le droit de jouer à ce qu’ils voulaient et comme ils voulaient. Les éducateurs se tenaient à l’écart et devaient seulement éventuellement ramener le calme, veiller au bon usage des jouets communs, et surtout noter ensuite sur leur cahier, dans la colonne « bilan », à quoi avaient joué les enfants et comment s’étaient manifestés dans leurs jeux l’attachement à la patrie soviétique, la haine envers nos ennemis, etc. (Extrait du chapitre « Noble labeur » dans lequel l’auteure raconte son expérience d’éducatrice à Magadan peu après sa libération des camps de travaux forcés).
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Et je resens avec d'autant plus d'acuité le bonheur envoyé par le destin que je sais qu'il sera bref.
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Cette femme de lettres de Leningrad, douée d'une grande élévation d'âme et totalement perdue dans la vie courante, avait constamment besoin d'une tutelle. Les jeunes, dont nous faisions partie à l'époque, étaient nombreusesà accepter avec joie de la prendre en charge. Elle nous rendait de son côté un service incomparablement plus précieux: celui d'entretenir, les braises presque éteintes de la vie de l'esprit. Jusque très tard dans la nuit, elle nous racontait, juchéee en haut des châlits, ses rencontres avec Bloc, Akhmatova, avec Mandelstam.
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Cet oiseau de la taïga, qui vient de lancer son cri: une fois, deux fois, trois fois...s'il crie encore trois fois, c'est que je sortirai d'ici vivante. Cette bûche qui craque à petits coups dans le feu moribond: si elle s'éteint avant que j'aie fini de scier mon arbre, c'est que je ne m'en sortirai pas...
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C'était une mère comme tant d'autres, et que personne n'a jamais décrite. Une mère de détenue. Ses prodiges d'héroïsme silencieux, dont elle ne prit jamais conscience, elle les accomplit aux approches de la vieillessse, après avoir pedu son mari et sa maison. Ni les maladies, ni l'âge, ni la faim chronique ne l'arrêtaient.
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