Non seulement l'homme ne sait pas tirer profit de l'expérience des autres, mais la sienne même ne lui sert à rien.
Quel énigme le coeur humain! Je maudis de toute mon âme l'homme qui a imaginé d'édifier une ville sur cette éternellement gelée, en la réchauffant avec le sang, la sueur et les larmes de tant d'innocents.
Mais rien que cette idée: je suis dans un endroit où on plante des fleurs, faisait naître dans l'âme de bizarres espérances.
On pourra m’objecter que nous voyons beaucoup plus souvent des gens qui clament bien haut leur innocence et rejettent la faute sur leur époque, sur leur voisin, sur leur état de jeunesse et d’inexpérience. C’est vrai. Mais je suis presque sûre que s’ils poussent des clameurs si hautes, c’est justement pour étouffer la voix intérieure douce et implacable qui rappelle à chacun sa responsabilité personnelle.
Aujourd’hui où je touche à la fin de mes jours, je sais avec certitude qu’Anton Walter avait raison. Dans le cœur de chacun de nous bat un mea culpa, et la seule question est de savoir à quel moment nous commençons à entendre ces deux mots qui résonnent au plus profond de notre être.
On peut les percevoir distinctement pendant les nuits d’insomnie où, « relisant sa vie avec dégoût », on frémit et on maudit. Pendant les insomnies, il ne suffit pas pour retrouver la paix de se dire qu’on n’a pas pris une part directe aux assassinats et aux trahisons. Car qui a tué ? Pas seulement celui qui a frappé, mais aussi tous ceux qui ont apporté leur soutien à la Haine. Peu importe de quelle manière. En répétant sans réfléchir des formules théoriques dangereuses. En levant sans rien dire la main droite. En écrivant lâchement des demi-vérités. Mea culpa… Et de plus en plus souvent, il me semble que dix-huit ans d’enfer sur terre ne sont pas encore assez pour expier une faute pareille.