Le sommeil l’engloutit comme l’aurait fait une bouche, tiède, humide et molle.
Il y eut des nuits et il y eut des jours.
Des semaines.
Et puis des mois.
Peu à peu, le temps qui passait prit une autre forme, une progressive altération de sa nature: il n’y avait plus besoin de l’occuper, il s’écoulait discrètement, avec douceur, il n’était plus un adversaire, il liait ente eux les chapitres simples de l’existence : dormir, trouver de quoi manger.
À quoi bon son talent et son intelligence quand le champ d’exercice de ce talent et de cette intelligence avait disparu ?
Durant des années, l’île n’avait été qu’un support, un socle, un appui pour la maison et tout ce qu’elle contenait. À leurs yeux, elle n’avait été rien d’autre qu’un morceau de basalte auquel on ne prêtait pas attention.
À présent, à son tour elle était devenue maison, elle avait pris le relais de celle qui avait disparu dans les flammes.
Alors, ils apprirent à la regarder et à la connaître. Ils découvrirent ses reliefs, ses côtes, la nature de ses surfaces, les caractéristiques de ses parties.
Ils l’habitèrent, elles les protégea, ils firent partie d’elle, ils étaient comme les oiseaux qui la survolaient, comme les phoques qui venaient se reposer sur ses rochers.
Ils devinrent comme sa pierre, ses plantes, sa terre.
Ils étaient en vie.
L’idée d’un complot aussi angoissante soit-elle n’était jamais aussi terrifiante que l’idée selon laquelle tout ce qui se passait n’avait aucun sens.
Ignorer la réalité ne vous en protégera pas.
Et puis vint l’apparition des grandes civilisations et les grandes civilisations s’inventèrent des religions pour justifier l’injustifiable.
Comme la plupart des gens, les parents d’Hélène avaient choisi de faire ce que le gouvernement leur ordonnait de faire, docilement, convaincus que le civisme et l’obéissance étaient les clés en ces temps troublés. Ils étaient d’abord restés chez eux, plusieurs semaines, dans leur petit pavillon de province, aveuglément confiants dans un retour à la normal à moyen terme. Ils étaient nés au vingtième siècle, dans un monde ravagé par une guerre mondiale, ils avaient connu les Golden Sixties, des révolutions culturelles, des crashs financiers, des chocs pétroliers, des canicules, des pandémies, des attentats et ils avaient acquis la certitude que tout finissait toujours par s’arranger. Ils incarnaient à la perfection cette foi absurde en la solidité des institutions et l’éternité de la civilisation humaine.
Il savait bien que, d’une certaine manière, sa vie d’avant n’avait pas plus de sens mais au moins, grâce à l’agitation qui y régnait, il avait l’illusion d’être la pièce essentielle d’un spectacle que tout le monde regardait.
La tristesse avait la même dynamique qu’un feu de broussaille : si on ne prenait pas au sérieux les premières petites flammes, c’était toute la forêt qui pouvait disparaitre.