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Critique de berni_29


Paradis, ce roman écrit par Abdulrazak Gurnah, prix Nobel de littérature 2021, nous plonge au début du vingtième siècle, dans cette partie de l'Afrique de l'Est qui couvrait à l'époque un territoire depuis le Tanganyika jusqu'à Zanzibar et qui forme l'actuelle Tanzanie.
Nous découvrons le jeune Yusuf, un adolescent dans sa douzième année qui vit dans la tranquillité d'une famille harmonieuse auprès d'un père secret et d'une mère aimante.
De temps en temps, l'oncle Aziz, un marchand prospère vient leur rendre visite dans leur petit village. Il a l'habitude de s'arrêter chez eux lors des longues expéditions qu'il entreprend régulièrement pour son commerce. Pour rembourser une dette qu'il a contracté auprès d'Aziz, le père de Yusuf fait croire à son fils que ce dernier va séjourner pendant quelques temps chez son oncle. Une joie immense envahit l'enfant, celle de prendre le train, découvrir une grande ville, changer d'air. Mais en réalité Aziz n'est pas son oncle. Et voilà Yusuf emporté loin du giron familial, victime d'un esclavage qui ne dit pas son nom, devenant captif d'un monde nouveau tout en abordant les rivages d'une nouvelle existence qui va le transformer.
J'ai été embarqué dans cette histoire, dans les pas de Yusuf, traversant les paysages de ce texte, depuis l'océan jusqu'aux montagnes, vers les lacs et les forêts, franchissant des terres parfois plus arides. Mais les paysages les plus beaux sont les contrées qui mènent jusqu'au coeur des personnages, jusqu'aux abîmes intérieurs.
J'ai beaucoup aimé ce texte totalement inclassable et c'est sans doute ce qui en fait une de ses particularités pour ne pas dire son charme. Ceux qui aiment les romans qu'on peut facilement ranger dans une case bien précise en seront ici pour leur frais...
Ne pas savoir dans quelle catégorie situer cette lecture qui oscille comme une vague, comme des sables transportés par le vent du désert, pourra déstabiliser certains lecteurs. Ce signe distinctif m'a au contraire séduit. J'ai été pris dans l'oralité tourmentée de cette histoire comme si un griot venait me la chuchoter dans le creux de l'oreille rien que pour moi, parmi le son des tambours et la clameur des cris au loin.
Est-ce un conte oriental ? Un roman d'apprentissage ? Un récit sur l'exil et la mémoire ? La transposition contemporaine d'une fable biblique ? Une méditation sur la nature humaine ?
Croisement des chemins entre Hindous et Musulmans comme les caravanes se croisent dans le sillage des femmes et des hommes qui ont façonné cette Afrique multiple... C'était avant que le colonialisme ne vienne poser un joug supplémentaire, tandis que les marchands cupides couraient après l'or et l'ivoire, tandis que les religions s'affrontaient déjà, faisaient du mal, tandis que l'esclavage déplaçait le destin des enfants et que le chagrin de leurs mères inconsolables continuait de résonner longtemps après dans le silence du ciel et de la terre.
Yusuf est ce bel adolescent qui va grandir dans le fracas d'un monde qui lui échappe. Sa naïveté l'amène à poser sur ce monde en pleine mutation un regard singulier, à la fois attachant et détaché, sans bruit, presque muettement.
C'est l'éducation d'un adolescent, d'un jeune homme qui grandit et perd en chemin son innocence, en même temps qu'il va apprendre la liberté.
J'ai aimé l'amitié qui va se nouer entre Yusuf et Khalil, sortes de « frères ennemis » qui vont se taquiner, s'affronter, s'admirer dans cette captivité qui les a déracinés à jamais...
Ce que j'ai aimé aussi, c'est ce regard sans concession de l'auteur sur sa terre natale, la terre de ses ancêtres, qui, au nom de la sacrosainte tradition, permettait la traite des enfants séparés de leur famille, enlevés, rendus esclaves pour payer la dette de leurs parents, mais aussi les violences subies par les femmes, l'oppression douloureuse des religions.
L'appétit avide des colons viendra plus tard, avec le bruit de la guerre qu'on entend déjà au loin...
Brusquement, une porte s'entrouvre sur un jardin clos et je m'y suis engouffré parmi le parfum des orangers et la fragrance du jasmin. Je suis entré dans ce jardin, moment sensuel pour retrouver la Maîtresse du lieu, une étrange femme âgée qui est comme un oiseau en cage à chantonner le soir tristement. Elle est peut-être devenue folle, mais Yusuf sait lui donner de la joie, comme s'il avait un don.
Mais c'est Abdulrazak Gurnah qui a un don, celui de nous transporter ailleurs, dans un paradis bientôt perdu.
Il y a dans ce récit une tristesse fracturée de lumière, ou bien peut-être c'est l'inverse. Je ne sais plus...
J'ai été dévoré par les insectes, j'ai été écorché par les épines des buissons. J'ai traversé des paysages et j'ai été traversé par des personnages qui demeurent en moi comme l'écho d'une magnifique et poignante histoire emplie d'humanité.
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