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3,6

sur 286 notes
Le nom de Ngugi wa Thiong'o etait sur toutes les levres, sauf sur celles des suedois, qui ont prefere prononcer celui d'Abdulrazak Gurnah. Intrigue, je me suis degotte son Paradis.


La lecture de ce livre fut facile et agreable. L'apres-lecture n'en finit pas de faire eclore differentes pistes, pour sa comprehension et son evaluation.


En premier lieu c'est le genre roman d'apprentissage, de croissance, qui m'a saute aux yeux: Youssouf, un gosse swahili, est confie par ses parents a un riche commercant caravanier en tant que “rehani", comme caution de dette. Il travaillera quelques annees au magasin de celui-ci, puis sera mis au service du tenancier d'un autre magasin dans un petit bourg, pour enfin prendre part a une expedition caravaniere a l'interieur des terres kenyatis, vers le lac Victoria, avec son maitre, le “seyyid" Aziz. L'expedition s'avere desastreuse, physiquement et economiquement. Au retour, Youssouf qui est devenu un beau jeune homme, est convoite par la vieille femme de son maitre et s'amourache quant a lui de la deuxieme femme, plus jeune, de celui-ci. La situation devient dangereuse pour lui et sur un coup de tete il s'engage dans les “askaris", les troupes indigenes que recrutent les allemands a la veille de la premiere guerre mondiale.


Au fur et a mesure de la lecture s'est impose a moi un autre dessein, qui surplombe et transcende cette intrigue: decrire et caracteriser une societe Est-Afriquaine (Kenya et Zanzibar) avant la colonisation europeenne et au tout debut de celle-ci. Une societe composite, ou s'entrecroisent sans vraiment se melanger les riches commercants esclavagistes de Zanzibar, musulmans originaires d'Oman, les swahilis autochtones du continent, islamises sur la Cote et animistes a l'interieur des terres, les hindous commercants et preteurs d'argent, et, derniers arrives, les europeens qui jouent sur les antinomies existantes pour instaurer un nouvel ordre grace a la superiorite ecrasante de leurs armes et s'emparent peu a peu des meilleures terres.

Gurnah decrit une jungle humaine. A l'interieur, des tribus guerrieres ranconnent les agriculteurs, raflent leurs femmes, volent leurs enfants pour les vendre comme esclaves aux caravaniers musulmans, et des fois les massacrent pour s'emparer de tous leurs biens. Sur la cote les musulmans font la loi, grace a l'economie caravaniere et esclavagiste qu'ils ont instaure.

Dans ce contexte, la decision de Youssouf de fuir son ancien maitre, qui lui etait malgre tout bienveillant, de fuir son ancienne vie, n'est peut-etre pas un acte dicte par la panique et le desespoir, un acte qui signe sa defaite, mais plutot un choix raisonne: il ne sait pas ce que lui reservent les allemands mais en tous cas il ne sera plus esclave. C'est la premiere decision qu'il ait pris pour lui-meme, jusque la c'etaient toujours d'autres qui decidaient de sa vie. Une decision qui abolit son servage et lui permet l'espoir d'une autre vie. Meilleure? Il ne sait, mais c'est son espoir.


Gurnah n'est pas tendre avec les colonisateurs europeens. Il ne laisse percer aucune illusion sur leurs buts ni sur les moyens qu'ils emploient pour les atteindre. Mais la societe afriquaine sur place qu'il decrit est terrible. Une societe cruelle, ou l'hostilite est le rapport humain le plus courant, asphyxiee par l'asservissement, par l'esclavage endemique, une societe qu'une minorite rapace vide de ses richesses. Une societe ou les imperialistes europeens ne feront, au pire, qu'intensifier l'oppression, mais pourront peut-etre aussi, pour certains autochtones, ouvrir de nouveaux horizons. Et je percois dans le titre du livre beaucoup de douleur. Parce que bien que l'auteur integre dans son livre une discussion entre musulmans et hindous sur ce qu'est le paradis promis aux justes, bien que nous soit decrit amplement le jardin paradisiaque du seyyid Aziz, pour moi le titre s'adresse et designe la societe decrite. Paradis? Vraiment? Si cela etait le paradis que sera l'enfer?


Finalement, c'est en ecrivant que je realise la presence d'un autre substrat dans ce livre. Les reminiscences d'une histoire mythique, idyllique, qui est ici transposee et tronquee, parce qu'ici, dans ce “paradis" elle ne peut bien finir. C'est l'histoire biblique de Joseph en Egypte. Youssouf est Joseph. Comme lui, il a ete vendu en esclavage par sa famille. Comme lui, il a des reves et son entourage le prend pour un fou ou pour un devin. Comme lui, il est d'une beaute angelique et la femme de son maitre tente de le seduire. Mais la s'arrete le parallelisme. Si Joseph devient un grand d'Egypte et sauve ce pays de la famine, Youssouf fuit celle qui le seduit et nul ne sait ce qu'il deviendra. Dans le “paradis" ou il se meut on ne peut envisager une fin aussi enchanteresse que celle du Joseph biblique. Encore une fois, je me dis que le titre du livre est empreint d'une certaine amertume. Paradis?


C'est en tous cas un beau livre. Facile a lire mais pas si facile a digerer. Si je juge par lui, le seul que j'ai reussi a trouver, l'academie Nobel s'est dotee d'une belle parure.
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Paradis, ce roman écrit par Abdulrazak Gurnah, prix Nobel de littérature 2021, nous plonge au début du vingtième siècle, dans cette partie de l'Afrique de l'Est qui couvrait à l'époque un territoire depuis le Tanganyika jusqu'à Zanzibar et qui forme l'actuelle Tanzanie.
Nous découvrons le jeune Yusuf, un adolescent dans sa douzième année qui vit dans la tranquillité d'une famille harmonieuse auprès d'un père secret et d'une mère aimante.
De temps en temps, l'oncle Aziz, un marchand prospère vient leur rendre visite dans leur petit village. Il a l'habitude de s'arrêter chez eux lors des longues expéditions qu'il entreprend régulièrement pour son commerce. Pour rembourser une dette qu'il a contracté auprès d'Aziz, le père de Yusuf fait croire à son fils que ce dernier va séjourner pendant quelques temps chez son oncle. Une joie immense envahit l'enfant, celle de prendre le train, découvrir une grande ville, changer d'air. Mais en réalité Aziz n'est pas son oncle. Et voilà Yusuf emporté loin du giron familial, victime d'un esclavage qui ne dit pas son nom, devenant captif d'un monde nouveau tout en abordant les rivages d'une nouvelle existence qui va le transformer.
J'ai été embarqué dans cette histoire, dans les pas de Yusuf, traversant les paysages de ce texte, depuis l'océan jusqu'aux montagnes, vers les lacs et les forêts, franchissant des terres parfois plus arides. Mais les paysages les plus beaux sont les contrées qui mènent jusqu'au coeur des personnages, jusqu'aux abîmes intérieurs.
J'ai beaucoup aimé ce texte totalement inclassable et c'est sans doute ce qui en fait une de ses particularités pour ne pas dire son charme. Ceux qui aiment les romans qu'on peut facilement ranger dans une case bien précise en seront ici pour leur frais...
Ne pas savoir dans quelle catégorie situer cette lecture qui oscille comme une vague, comme des sables transportés par le vent du désert, pourra déstabiliser certains lecteurs. Ce signe distinctif m'a au contraire séduit. J'ai été pris dans l'oralité tourmentée de cette histoire comme si un griot venait me la chuchoter dans le creux de l'oreille rien que pour moi, parmi le son des tambours et la clameur des cris au loin.
Est-ce un conte oriental ? Un roman d'apprentissage ? Un récit sur l'exil et la mémoire ? La transposition contemporaine d'une fable biblique ? Une méditation sur la nature humaine ?
Croisement des chemins entre Hindous et Musulmans comme les caravanes se croisent dans le sillage des femmes et des hommes qui ont façonné cette Afrique multiple... C'était avant que le colonialisme ne vienne poser un joug supplémentaire, tandis que les marchands cupides couraient après l'or et l'ivoire, tandis que les religions s'affrontaient déjà, faisaient du mal, tandis que l'esclavage déplaçait le destin des enfants et que le chagrin de leurs mères inconsolables continuait de résonner longtemps après dans le silence du ciel et de la terre.
Yusuf est ce bel adolescent qui va grandir dans le fracas d'un monde qui lui échappe. Sa naïveté l'amène à poser sur ce monde en pleine mutation un regard singulier, à la fois attachant et détaché, sans bruit, presque muettement.
C'est l'éducation d'un adolescent, d'un jeune homme qui grandit et perd en chemin son innocence, en même temps qu'il va apprendre la liberté.
J'ai aimé l'amitié qui va se nouer entre Yusuf et Khalil, sortes de « frères ennemis » qui vont se taquiner, s'affronter, s'admirer dans cette captivité qui les a déracinés à jamais...
Ce que j'ai aimé aussi, c'est ce regard sans concession de l'auteur sur sa terre natale, la terre de ses ancêtres, qui, au nom de la sacrosainte tradition, permettait la traite des enfants séparés de leur famille, enlevés, rendus esclaves pour payer la dette de leurs parents, mais aussi les violences subies par les femmes, l'oppression douloureuse des religions.
L'appétit avide des colons viendra plus tard, avec le bruit de la guerre qu'on entend déjà au loin...
Brusquement, une porte s'entrouvre sur un jardin clos et je m'y suis engouffré parmi le parfum des orangers et la fragrance du jasmin. Je suis entré dans ce jardin, moment sensuel pour retrouver la Maîtresse du lieu, une étrange femme âgée qui est comme un oiseau en cage à chantonner le soir tristement. Elle est peut-être devenue folle, mais Yusuf sait lui donner de la joie, comme s'il avait un don.
Mais c'est Abdulrazak Gurnah qui a un don, celui de nous transporter ailleurs, dans un paradis bientôt perdu.
Il y a dans ce récit une tristesse fracturée de lumière, ou bien peut-être c'est l'inverse. Je ne sais plus...
J'ai été dévoré par les insectes, j'ai été écorché par les épines des buissons. J'ai traversé des paysages et j'ai été traversé par des personnages qui demeurent en moi comme l'écho d'une magnifique et poignante histoire emplie d'humanité.
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Peu connu du public francophone, Abdulrazak Gurnah est le deuxième écrivain d'Afrique noire subsaharienne à remporter le prix Nobel de littérature. Les lecteurs français ont eu l'occasion de le découvrir pour la première fois en 1995 dans « Paradis », le premier de ses trois romans traduits dans notre langue.

J'ai également découvert Abdulrazak Gurnah en lisant « Paradis ». J'ai été séduit par son écriture simple mais élégante et vivante. Dans ce roman, Gurnah esquisse le panorama de son pays au début du XXe siècle et s'intéresse aux destins d'individus vulnérables que l'histoire et la géographie malmènent. A travers l'odyssée du jeune Yusuf, vendu par son père en règlement d'une dette, réduit ensuite en esclavage par son « oncle » Aziz, puis lancé à dix-sept ans, au péril de sa vie, sur la route des caravanes à l'intérieur du pays, l'écrivain scrute les innombrables facettes de la servitude, dessinant le portrait d'une population africaine exploitée et menacée par des intérêt puissants.

Le roman crée un espace de réflexion sur la société précoloniale et coloniale de l'Afrique de l'Est où existait déjà, avant l'arrivée des Européens, Allemands, Italiens et Britanniques, une société métisse transculturelle, faite d'éléments culturels et langagiers arabes, africains et hindous, et l'auteur crée une sorte d'interlangue pour représenter un univers métissé des langues et des cultures. L'intrigue se déroule au début du XXe siècle, à mi-chemin entre la domination arabe et la colonisation allemande, au moment où des Européens commencent l'occupation de la côte est-africaine. le texte déconstruit le mythe de l'Eldorado précolonial en soulignant l'implication swahili — société métisse faite d'éléments arabes, indiens, persans, africains — dans la traite des esclaves.

À travers le regard, souvent ironique de Yusuf, le récit s'efforce de restituer ce qu'ont vécu les populations de l'Afrique de l'Est à un tournant de leur histoire, et décrit le piège et l'impasse que porte une idéologie récente dont l'obsession est de dénoncer la colonisation européenne en exaltant la résistance indigène et son exploitation. Les conflits linguistiques, religieux ou ethniques existaient bien avant la colonisation européenne et subsistent encore bien après.
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Puisque le rapprochement entre le Yusuf de Abddulrazak Gurnah avec le Yusuf de la douzième sourate du Coran, et avec le Joseph de la Genèse, cités par l'auteur, a été évoqué par d'autres lecteurs, il me semble plus intéressant d'étudier le titre même : Paradis.
Lorsque Yusuf, le petit ingénu arrive avec son oncle Aziz dans la maison de celui-ci, après avoir pris le train construit par les Allemands, il a la vision fugace « d'un jardin d'arbres fruitiers, de buissons en fleur, de reflets dans un bassin ».
Lorsqu'il arrive, enfin, (parce que le jardin est clos) à y entrer, il découvre LE jardin, avec bassin au centre et des canaux dans les quatre directions des points cardinaux, et une grotte aussi, ainsi qu'une abondance de fleurs.
C ‘est exactement la description du Paradis/jardin inventé en Mésopotamie : l'eau reflète le ciel, elle s'élève vers lui dans les fontaines, elle retombe en cascade, elle coule sur les terrasses, elle enchante l'oreille par ses clapotis, elle assure l'éclosion des fleurs parfumées et des arbres fruitiers( les orangers, les bananiers) et cela, métaphoriquement, pouvant s'étendre aux quatre coins du monde.
Ce jardin d'Eden, terrestre, donne une idée pour l'Islam du septième ciel crée par Dieu, lui –même partagé en sept niveaux, comme les jardins suspendus ou les jardins à terrasses de l'Inde.
L'Afrique Orientale Allemande, aujourd'hui Tanzanie reçoit depuis toujours les influences de l'Inde, de Boukhara, Tachkent d'Hérat, d'où lui vient le culte nouveau des jardins et de l'intériorité de l'Islam ; c'est par Zanzibar aussi que les explorateurs cherchant la source du Nil, Speke, Burton, Grant, Stanley, pénètrent, alors que les caravanes se dirigent de l'intérieur vers la côte : caravanes sans chameau, (malgré ce que pourrait nous faire croire la couverture du livre,) emportant l'or et les esclaves vers d'autres rivages .
La caravane de l'Oncle Aziz, à laquelle participe Yusuf, est une caravane marchande, portée par des volontaires payés pour le faire. Ils rencontrent au fur et à mesure de leur périple la présence des Européens, ce sont eux les nouveaux maitres. Aziz ajoute que ces étrangers font la même chose que ce que les arabes faisaient avec la traite, et ce que lui aussi fait, commercer.
Pourtant, les Allemands, introduits par Emin Pacha, ami de Stanley, ont instauré un régime un peu plus sévère que le commerce : taxes, interdictions, pendaisons, dans un pays où l'esclavage avait été la règle et où chacun pouvait vendre fils ou cousins.

Paradis, le livre Nobelisé en 2021, nous fait aussi voyager à l'intérieur des forêts et villages tanzaniens- j‘avoue ne pas avoir réussi à localiser Tayari, Mkata, Mkalkali, Mikosomi, , peu importe, la musique suffit parfois-( sauf Kilwa, ville côtière avec une Grande Mosquée somptueuse) et nous fait vivre la sortie de l'enfance de Yusuf, parti avec Aziz , qui en fait n'est pas son oncle, mais un marchand qui s'est payé de la dette de son père.
Il découvre donc qu'il est esclave, il entre dans le bosquet du désir, il devine maintenant ce que son maitre Aziz pense, ses angoisses et ses déconvenues, son calme et sa sérénité en toutes circonstances, essaie peu à peu de se sentir moins coupable quand il apprends sa propre histoire, et, finalement, ne choisit pas une liberté hasardeuse mais bien l'aventure des caravanes.
Livre pas plaisant au premier abord, un peu lent comme ces caravanes commerçantes, un peu tout azimut aussi, mais dont le charme discret se révèle à la relecture : Comme Aziz, un maitre zen africain, Gurnah donne à voir un monde feutré, et à la fois ouvert aux influences diverses venues du Moyen Orient, et aux pénétrations barbares, les ascaris, ou troupes africaines étrangères donc prêtes à tout .
Enfer.
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D'un Nobel à l'autre, d'un bout du palmarès à l'autre, me voilà dans la découverte du Nobel 2021, Abdulrazak Gurnah. Un quasi illustre inconnu quand il obtint le premier, lui-même en fut surpris parait-il. Heureusement, grâce au challenge Nobel, j'avais de bons échos qui me prédisaient une lecture agréable.

Les premières pages me déstabilisèrent. Certes le sujet, un jeune garçon qui voit basculer sa destinée dans l'esclavage est fort. Certes le contexte historique et géographique, la Tanzanie à l'époque des débuts du colonialisme allemand, est intéressant et original.Mais le style paraît assez passe partout, pas mal écrit du tout mais rien qui ne sorte de l'ordinaire, ni flamboyance ni innovation particulière.

Et puis au fil de l'histoire, je commence à comprendre le génie : c'est l'histoire, le récit qui est roi ici. Gurnah rend tout au long du livre hommage aux conteurs, à ceux qui racontent des anecdotes au coin du feu, aux bavards légèrement mythomanes, aux passeurs de légendes. Et pour ces hommes, c'est bien l'histoire en elle-même qui fait toute la force de leur art, pas forcément besoin d'artifice, pas de nécessité d'être original puisque l'histoire doit traverser le temps à travers eux. Difficile d'ailleurs d'extraire des citations qui puissent rendre ce ressenti de lecture, hormis certains dialogues peut-être. Mais ils ne prennent vraiment leur force que par la connaissance qu'on acquiert de ces personnages, par le parcours initiatique dans lequel on accompagne Yousouf.

Côté message, Gurnah donne tout pouvoir au lecteur. J'ai vu sur sa fiche Wikipedia que ce livre était considéré comme une charge contre le colonialisme… Soit nous n'avons pas lu le même livre, soit la subjectivité du lecteur a vraiment une importance capitale. Bien sûr Gurnah fait souligner par certains de ses personnages l'hypocrisie du colonisateur qui compte mettre fin à l'esclavage et aux pots de vin… mais avec le but avoué de prendre le contrôle du pays. Mais quand on observe ceux qui portent cette dénonciation, qui voit on ? Des musulmans du Yémen ou d'Oman, principaux organisateurs de l'esclavage, des Indiens commanditaires qui récupèrent les bénéfices, des tribus qui fournissent assez facilement certains de leurs congénères si le prix payé est satisfaisant, des familles autochtones endettés qui laissent partir leurs enfants en gage. Tout le monde est renvoyé dos à dos à ses propres turpitudes et chaque personnage rencontré passe son temps à critiquer et à appeler à la méfiance contre chaque communauté.

Et au coeur de tout ça j'en oublierais presque le héros, ce Youssouf prophète des temps modernes, directement inspiré du Joseph biblique et du Youssouf coranique, jeune homme loué pour sa beauté, dont les pouvoirs magiques sont espérés… mais surtout frappé, convoité, attouché, peut-être violé si Gurnah a fait le choix de ne pas tout nous dire… Un personnage au centre de tout, mais comme on est au centre de la tempête, sans aucune possibilité de choisir, qui semble parfois dans le confort de n'avoir à rien assumer mais parvient au fil du temps à mesurer la valeur de cette liberté qu'il ne peut connaitre puisqu'il n'a jamais eu à l'exercer.

Pour finir, le Paradis du titre, où peut on le trouver : s'il serait selon certains personnages présent quelque part sur Terre mais protégé des intrusions, selon Amina, autre esclave du seyid (maître) c'est bien l'Enfer qui est sur Terre, avec la vie qu'ils sont obligés de subir. Si le Paradis doit être trouvé, il est dans la nature visitée lors des expéditions dans l'intérieur du pays et que Youssouf admire, sans doute parce qu'elle est encore en majeure partie préservé des folies de l'humain.
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Joseph et la femme de Putiphar est un thème très courant dans la peinture religieuse mais, sans l'auteur de "Paradis", je n'aurais pas pensé à creuser l'histoire de ce personnage biblique même pas prophète quoique très populaire. Joseph, donc, rêve beaucoup, de ces rêves inspirés par Dieu, au grand dam de ses frères jaloux qui le vendent à un marchand d'esclaves. Acheté par Putiphar, il suscite le désir de sa femme qui, éconduite, l'accuse d'avoir voulu la violer. Envoyé en prison, il ravira Pharaon par la précision de ses rêves, en deviendra le premier ministre et finira riche, se payant le luxe de pardonner à ses frères contrits.
Or, si le Coran reprend souvent des personnages bibliques, il développe dans une sourate entière l'histoire de Joseph -désormais Yûsuf- qui n'échappe à la tentatrice qu'en lui laissant un morceau de sa chemise qu'elle déchire (C'est chaud!). Comme le pan abandonné correspond à la partie arrière de la chemise, Aziz, le mari, en déduit que c'était bien sa femme qui courait après le jeune esclave et non l'inverse. Yûsuf va pourtant en prison, mais, selon la version coranique, c'est de son plein gré, pour échapper aux turpitudes de ce monde.
Dans "Paradis", le héros est beau et pur comme un dieu, il suscite le désir de tous et se prénomme Yusuf. Son père l'a vendu à son créancier, le riche marchand Aziz. Et la femme d'Aziz déchirera la chemise de Yusuf...
Bien sûr, Abdulrazak Gurnah ne se contente pas de transposer cette histoire populaire pour le plaisir du clin d'oeil. Son roman évoque le basculement de l'Afrique de l'est dans la colonisation, lorsque son économie fondée sur le commerce caravanier devient impossible, et que les contes narrés par les porteurs autour du feu remplacent peu à peu les djins par les Allemands.
La destinée de Yusuf accompagne cette évolution. Arraché à sa famille, il accompagne son "oncle" Aziz, homme doux et protecteur qui n'en reste pas moins son maître, et croise tous ceux qui ont mis le pied en Afrique: Grecs, Arabes, Indiens, Sikhs, dans ce paradis mis à mal par la cupidité des hommes.
Par la cupidité des hommes et aussi par leur fatalisme. Yusuf aime Amina mais renonce à fuir avec elle. Abdulrazak Gurnah suggère que si Zanzibar est tombé sans grande difficulté dans le giron des Européens c'est parce que ses traditions esclavagistes ont préparé les âmes à l'acceptation. le maître de Yusuf est aussi son père de substitution: quand Aziz lui pardonne, Yusuf a perdu toute capacité à se révolter. Tandis que son homonyme choisissait de fuir en prison pour mieux se rapprocher de Dieu, le héros de Gurnah fuit son maître et son amoureuse, fuit le lâche qu'il est devenu, et rejoint volontairement la colonne de prisonniers emmenés par les Allemands. Yusuf ne le sait pas, mais le lecteur devine qu'il finira en chair à canon, quelque part à la frontière franco-allemande.
Ce très beau roman, roman de l'exil et du renoncement, écrit dans une langue parfaite de classicisme, est enfin édité en français, grâce aux jurés du Nobel qui viennent de couronner son auteur. Qu'ils en soient remerciés!
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En lisant Paradis de Abdulrazak Gurnah, j'avais un peu cédé à l'appel du titre et à celui de son auteur, écrivain d'Afrique de l'Est que je souhaitais découvrir. J'avoue que je n'ai pas trouvé dans ce roman ce à quoi je m'attendais...
La thématique de départ me plaisait : celle du voyage initiatique d'un jeune garçon Yussuf, arraché à sa famille pour rembourser une dette paternelle et confié à "oncle Aziz", un riche marchand, qui va faire de lui son serviteur.
Et le roman de nous faire suivre les mille et une tribulations de Yussuf, au gré des longs voyages de caravaniers qu'il va accompagner en compagnie d' oncle Aziz, un personnage haut en couleurs et bienveillant qui sera plus pour lui un mentor qu'un maître.
J'ai aimé la peinture de l'ambiance de ces transhumances humaines, avec leur cérémonial et une galerie de portraits très pittoresques des nombreux personnages qui y participent depuis les musiciens qui ouvrent la marche jusqu'aux porteurs, chargés comme des animaux de bât mais pourtant très investis de leur mission. C'est un véritable spectacle auquel assiste tout le village, à la grande fierté d'oncle Aziz qui ferme la marche...
Le cadre de l'histoire, à l'orée de la colonisation européenne de l'Afrique de l'Est est également bien rendu avec ses luttes ethniques très violentes entre bergers des montagnes et agriculteurs des plaines, entre Indiens et Arabes dont les conflits sont récupérés et attisés par les colonisateurs. Tous ces faits sont rapportés dans un récit qui s'apparente plus pour moi à un récit de voyage avant tout soucieux d'exactitude, qu'à un récit romanesque plus centré sur des personnages auxquels on s'attache au gré de leur évolution et des situations auxquelles ils doivent faire face.
Pourtant le récit ne manque pas de vie car il emprunte assez souvent les codes du conte oral, notamment dans les dialogues des autochtones évoquant de façon drolatique les méfaits des colonisateurs. Mais dans l'ensemble l'écriture reste "sage" voire conventionnelle même lorsqu'elle évoque les magnificences d'un mariage indien ou la beauté de paysages naturels idylliques.
La structure est également un peu répétitive et j'avoue qu'à la fin du 3ème voyage, j'étais contente de retrouver le port d'attache de Yussuf et le magnifique jardin d'oncle Aziz dans lequel il passe alors le plus clair de son temps.
C'est d'ailleurs à partir de là que l'on bascule dans un autre univers : celui du conte oriental. Yussuf va quitter son jardin enchanté et tomber sous le charme ensorceleur d'une mystérieuse femme (l'épouse cachée d'oncle Aziz). Tous les ingrédients du conte oriental se mêlent avec bonheur e,t en même temps que se crée un certain suspense, l'auteur nous livre certaines clés du roman, notamment celles relatives à l'attachement familial, la quête identitaire et la liberté...
Mais au moment même où je me réjouissais d'avoir retrouvé un plaisir de lecture plus grand, est arrivé le dénouement qui m'a laissée complètement perplexe...
D'ailleurs si une lectrice ou un lecteur peut m'éclairer sur cette fin qui reste pour moi énigmatique, je suis preneuse !

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Adolescence africaine d'autrefois, un roman du Nobel de littérature 2021
Ce n'est pas vraiment le paradis, puis que le jeune Yusuf de 12 ans a été confié à Oncle Aziz, un riche marchand, en échange d'une dette. Il est donc esclave, mais sa vie n'est pas bien différente de ce qu'elle aurait été dans sa famille, si ce n'est qu'il n'a pas l'affection de sa mère. Il n'est pas maltraité, il est bien nourri et travaille comme il aurait pu le faire chez lui.

Devant l'adversité, le garçon semble un peu froid, stoïque, mais fait d'horribles cauchemars la nuit. Il accompagnera le marchand dans une expédition commerciale périlleuse à travers le pays. Devenu un jeune homme très beau, il s'attirera les regards concupiscents, aussi bien des femmes que de certains hommes.

Un roman qui transporte ailleurs, mais malgré le dépaysement de la situation, on touche des sentiments universels. Demeurer un esclave ou être libre de partir? Et rester dans un lieu, un pays où le hasard m'a fait naître, m'attacher à ce sol parfois ingrat ou à cet emploi monotone, n'est-ce pas ce que font les gens partout dans le monde ? (Il faut que la situation soit vraiment difficile pour que les migrants partent en masse…)

Un bon roman, mais qui ne séduit pas d'emblée, car l'apparent détachement de Yusuf peut rendre plus difficile de s'attacher à lui au départ. (On peut aussi penser que la réaction de Yusuf ressemble à celle d'une victime post-traumatique..)
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Babelio m'a fait découvrir avec ses petits insignes que je lisais pas mal de livres se passant en Afrique ou écrit par un(e) auteur(e) africain(e). Je n'en avais pourtant pas la sensation... Quand j'ai dit ça à mon cher et tendre, il a bien ri, pour lui c'était une évidence....
Donc évidemment quand le Prix Nobel de Littérature est attribué à un auteur africain et que l'un de ses livres est proposé dans ma librairie préférée, j'avoue je n'ai pas hésité....
.
Afrique de l'Est, début du 20e siècle. La colonisation par les Européens se met en place.
On suit un jeune garçon acheté en remboursement des dettes parentales par un riche commerçant. On va suivre cet enfant puis ce jeune homme et découvrir cette période. Plus particulièrement on va l'accompagner dans les périples d'une vie de négoce (ces longues caravanes qui vont de lieux en lieux pour acheter et vendre).
Lecture en demie teinte pour moi. J'ai aimé cette description de la vie en caravansérail. le retour dans la demeure du maître et la fin m'a paru s'étirer, traîner sans arriver à conclure... Donc une légère déception.....
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Méconnu du grand public, Abdulrazak Gurnah reçoit en 2021 le prix Nobel de littérature. Depuis les médias font toujours l'impasse sur cet écrivain tanzanien d'expression anglaise.

"Paradis" est venu entre mes mains pour la quatrième de couverture décrivant les expériences d'un enfant esclave en Tanzanie. Ignorant l'histoire de ce pays d'Afrique de l'Est que je vais visité dans quelques jours, je voulais m'immerger dans cet ancien pays réputé pour être la plaque tournante de l'esclavage surtout l'île de Zanzibar (lieu de naissance du chanteur Freddy Mercury).

Yusuf est un primo-ado offert à son soi-disant oncle Aziz contre une dette impayée par ses parents. Très vite le jeune garçon va se déciller au contact de l'esclave Khalif qui se joue de lui en lui racontant des histoires effrayantes tirées des légendes et contes tanzaniens.
Mais l'apprentissage de Yusuf va surtout évoluer lors de l'expédition caravanière durant laquelle il va partager les affres du voyage avec les porteurs et le cruel Mohammed Abadella.
Des villes grouillantes pleines de bavardages, de célébrations, de religieux et d'idéalistes vont défiler jusqu'aux sultans tels le terrible Chatu qui séquestre hommes et marchandises selon son bon vouloir.
Yusuf porte un regard et une attitude empathiques envers ce monde plein de chahuts. Il ne se révolte pas , ne juge pas mais s'infiltre avec douceur dans un pays où vivent "sauvages" et civilisés.

Ecrit dans une langue sans artifice, j'ai tout de même été désorientée sans repère chronologique. Seule l'évocation de la colonisation allemande permet de situer le roman.
Je déplore mon manque d'enthousiasme pour ce roman saltimbanque.. Une parade de personnages défile faisant leurs tours sous les yeux naïfs du jeune esclave.
La modernité et les coutumes ancestrales se côtoient pour donner une atmosphère ouatée qui ne heurtent pas le lecteur.
J'ajouterai à titre personnel qu'il reste en Tanzanie que 167 rhinocéros, que les Masaïs ne sont plus de terribles guerriers à éviter.
Quand aux moustiques qui à cette époque engendraient de terribles maladies, je me demande s'ils n'ont pas suivi les migrants de Lampedusa pour s'installer chez nous.
D'ailleurs j'arrête là mon bavardage un moustique me tourne autour voulant se venger de mes propos.
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