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Critique de Meps


D'un Nobel à l'autre, d'un bout du palmarès à l'autre, me voilà dans la découverte du Nobel 2021, Abdulrazak Gurnah. Un quasi illustre inconnu quand il obtint le premier, lui-même en fut surpris parait-il. Heureusement, grâce au challenge Nobel, j'avais de bons échos qui me prédisaient une lecture agréable.

Les premières pages me déstabilisèrent. Certes le sujet, un jeune garçon qui voit basculer sa destinée dans l'esclavage est fort. Certes le contexte historique et géographique, la Tanzanie à l'époque des débuts du colonialisme allemand, est intéressant et original.Mais le style paraît assez passe partout, pas mal écrit du tout mais rien qui ne sorte de l'ordinaire, ni flamboyance ni innovation particulière.

Et puis au fil de l'histoire, je commence à comprendre le génie : c'est l'histoire, le récit qui est roi ici. Gurnah rend tout au long du livre hommage aux conteurs, à ceux qui racontent des anecdotes au coin du feu, aux bavards légèrement mythomanes, aux passeurs de légendes. Et pour ces hommes, c'est bien l'histoire en elle-même qui fait toute la force de leur art, pas forcément besoin d'artifice, pas de nécessité d'être original puisque l'histoire doit traverser le temps à travers eux. Difficile d'ailleurs d'extraire des citations qui puissent rendre ce ressenti de lecture, hormis certains dialogues peut-être. Mais ils ne prennent vraiment leur force que par la connaissance qu'on acquiert de ces personnages, par le parcours initiatique dans lequel on accompagne Yousouf.

Côté message, Gurnah donne tout pouvoir au lecteur. J'ai vu sur sa fiche Wikipedia que ce livre était considéré comme une charge contre le colonialisme… Soit nous n'avons pas lu le même livre, soit la subjectivité du lecteur a vraiment une importance capitale. Bien sûr Gurnah fait souligner par certains de ses personnages l'hypocrisie du colonisateur qui compte mettre fin à l'esclavage et aux pots de vin… mais avec le but avoué de prendre le contrôle du pays. Mais quand on observe ceux qui portent cette dénonciation, qui voit on ? Des musulmans du Yémen ou d'Oman, principaux organisateurs de l'esclavage, des Indiens commanditaires qui récupèrent les bénéfices, des tribus qui fournissent assez facilement certains de leurs congénères si le prix payé est satisfaisant, des familles autochtones endettés qui laissent partir leurs enfants en gage. Tout le monde est renvoyé dos à dos à ses propres turpitudes et chaque personnage rencontré passe son temps à critiquer et à appeler à la méfiance contre chaque communauté.

Et au coeur de tout ça j'en oublierais presque le héros, ce Youssouf prophète des temps modernes, directement inspiré du Joseph biblique et du Youssouf coranique, jeune homme loué pour sa beauté, dont les pouvoirs magiques sont espérés… mais surtout frappé, convoité, attouché, peut-être violé si Gurnah a fait le choix de ne pas tout nous dire… Un personnage au centre de tout, mais comme on est au centre de la tempête, sans aucune possibilité de choisir, qui semble parfois dans le confort de n'avoir à rien assumer mais parvient au fil du temps à mesurer la valeur de cette liberté qu'il ne peut connaitre puisqu'il n'a jamais eu à l'exercer.

Pour finir, le Paradis du titre, où peut on le trouver : s'il serait selon certains personnages présent quelque part sur Terre mais protégé des intrusions, selon Amina, autre esclave du seyid (maître) c'est bien l'Enfer qui est sur Terre, avec la vie qu'ils sont obligés de subir. Si le Paradis doit être trouvé, il est dans la nature visitée lors des expéditions dans l'intérieur du pays et que Youssouf admire, sans doute parce qu'elle est encore en majeure partie préservé des folies de l'humain.
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