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Critique de fulmar


T'es qui, toi, écrivain voyageur qui déambule seul dans la capitale iranienne,
t'es errant ?

Etrange coïncidence !
Un matin de la semaine dernière, j'entends (et j'écoute) sur France Inter une interview de François-Henri Désérable, qui vient de faire un voyage de six semaines en Iran qu'il relate dans « L'usure d'un monde », livre qui vient de sortir.
Deux jours plus tard, je trouve dans la boîte aux lettres « Voyage en Iran » de l'écrivain turc Nedim Gürsel, la sélection de la bibliothèque orange tournante.

Deux récits de voyage bien différents, mais sur le même pays, avec la même référence au célèbre « L'usage du monde » de Nicolas Bouvier.
Le Français, relatant un pays vicié, va jusqu'à détourner le titre du livre du Suisse.
Le Turc, avec en sous-titre « en attendant l'imam caché », emprunte les chemins référencés de la littérature pour illustrer son propos.

J'ai trouvé l'accroche, je me lance un défi, aller à la découverte d'un pays que je ne connais pas, l'Iran, vu par des écrivains voyageurs, à des moments différents, pour essayer de comprendre les richesses insoupçonnées de l'ancienne Perse.  

Ce qui marque en premier lieu à la lecture de ces romanciers de récits, c'est la description de la lumière et des couleurs, tout un florilège éclatant.

Nicolas Bouvier, dans L'usage du monde, écrit ceci :

« Et surtout, il y a le bleu. Les portes des boutiques, les licous des chevaux, les bijoux de quatre sous : partout cet inimitable bleu persan qui allège le coeur, qui tient l'Iran à bout de bras, qui s'est éclairé et patiné avec le temps comme s'éclaire la palette d'un grand peintre. Les yeux de lapis des statues akkadiennes, le bleu royal des palais parthes, l'émail plus clair de la poterie seldjoukide, celui des mosquées séfévides, et maintenant, ce bleu qui chante et qui s'envole, à l'aise avec les ocres du sable, avec le doux vert poussiéreux des feuillages, avec la neige, avec la nuit... C'est ce fameux bleu, j'y reviens. Ici, il est coupé d'un peu de turquoise, de jaune et de noir qui le font vibrer et lui donnent ce pouvoir de lévitation qu'on n'associe d'ordinaire qu'à la sainteté.»

Pour Nedim Gürsel, dans Voyage en Iran :

« En persan, gol signifie fleur. Avec ses murs de brique jaune renfermant un grand bassin rectangulaire et ses jardins ornés de vieux cyprès, arbre sacré en Iran, le palais du Golestan est un endroit chaleureux et accueillant, dénué de toute ostentation. L'enceinte extérieure qui enclot le jardin est couverte de carreaux de faïence bleus et jaunes qui n'ont pas leurs pareils dans l'art iranien. »

Il reprend également Pierre Loti dans Vers Ispahan :

« Chiraz et ses milliers de maisons de terre qui s'emmêlent, ses dômes en faïences bleues et vertes semblables à des oeufs géants, comme une ébauche de grande cité, moulée dans une argile couleur tourterelle. »

et aussi l'Iranien Sadegh Hedayat dans La Chouette aveugle :

« Elles sont bariolées comme des boîtes à bijoux. Des montagnes violettes, mauves, turquoises, jaune brûlé, marron, jaune safran. Derrière elles, un ciel bleu azur. »

Dans son interview, François-Henri Désérable parle du « bleu inimitable des mosquées d'Ispahan, la lumière qui se lève et qui se couche derrière les dunes du désert de Lout. »
 
Ce qui se remarque également, c'est la poésie, présente à tous les coins de rue et à toutes les époques, avec une prédilection pour l'incompréhension du monde.
En voici deux cités par Nedim Gürsel :

Omar Khayyam (auteur perse du 11ème siècle) :

« J'ai quitté atterré ce bas monde, j'ai trépassé.
Mes perles de savoir jamais ne seront plus percées.
Faute à la folie des ignorants
Je laisse mille idées irisées qui jamais n'auront essaimé. »

Sabahattin Ali (auteur turc du début du 20ème siècle) :

« Si un jour mon destin se sait,
Mon nom est murmuré,
Et si l'on s'inquiète de savoir où je suis,
Mon pays est celui des montagnes. »

Nicolas Bouvier n'était pas en reste, vu l'inscription sur sa Fiat Topolino:

« Même si l'abri de ta nuit est peu sûr
Et ton but encore lointain,
Sache qu'il n'existe pas
De chemin sans terme.
Ne sois pas triste. »

Et récemment, Désérable, dans « L'usure d'un monde » :

« Sur les dômes des mosquées
Sur les turbans des mollahs
Sur les barreaux des prisons
Sur le drapeau de l'Iran
Sur les cyprès millénaires
Sur les tombes des poètes
Sur les portes des bazars
Sur les dunes du désert
Sur les voiles embrasés
Sur la peau abandonnée
Sur la lutte retrouvée
Et sur l'espoir revenu
Femmes, vie, liberté. »

Ces trois derniers mots sont scandés dans la rue et aux fenêtres des maisons par le peuple iranien depuis l'automne dernier.
Désérable l'explique ainsi :

« La peur était pour le peuple iranien une compagne de chaque instant, la moitié fidèle d'une vie. Les Iraniens vivaient avec dans la bouche le goût sablonneux de la peur. Seulement, depuis la mort de Masha Amini, la peur était mise en sourdine : elle s'effaçait au profit du courage. 
Mais chacun sait une chose : derrière chaque personne qui meurt battent mille coeurs. »

En conclusion, laissons la fin du périple à Nassim Gürsel :

« L'imam caché, nous disent les Iraniens, un jour réapparaîtra et alors, rétablira l'égalité, remplira le ventre de l'affamé, soignera le malade, châtiera les tyrans et rétablira cette justice qui chaque jour passant, se fait de plus en plus désirer. Un jour l'imam caché viendra et il sera le bienvenu. Viens donc, hâte-toi, notre patience est presque à bout ! »

Des bribes d'histoires de l'Iran, pays délirant.
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