Citations sur The Big Sky, tome 2 : La route de l'ouest (11)
Dick Summers songeait avec ennui que tous ces gens qu'il avait à conduire étaient bien différents des hommes de la montagne. Aucun d'eux ne savaient jouir paisiblement du temps présent. Ils s'acharnaient à vouloir tirer quelque chose de la vie, comme si l'on pouvait la saisir à pleines mains et la modeler à sa convenance à force de calculs et de combinaisons. Ils ne parlaient jamais de castors, de whisky ni de squaws en s'abandonnant à la douceur du soir. Ils ne parlaient que de récoltes, de force hydraulique et de bénéfices, sans accorder autrement d'importance au soleil et au verdoiement des jeunes pousses qu'à un décor vague et imprécis sur le chemin de ce qu'ils voulaient être ou avoir. Plus tard, certains d'entre eux regarderont peut-être en arrière et se demanderont comment toutes ces choses merveilleuses ont pu leur échapper (...).
Mais c'est toujours l'insouciance passée qui fait l'amertume des souvenirs. On ne peut pas revenir sur ses pas.
Tout bien considéré, il ne partirait pas pour l’Oregon. et pourtant, il aurait été fier de participer à l’aventure, d’agrandir le territoire des États-Unis et aussi de barrer la route aux Anglais. Mais, somme toute, le Missouri était un bon pays. Si l’on n’y engraissait guère, du moins pouvait-on y vivre, à condition de travailler.
Un pays libre s'achète, très cher quelquefois. Une chance de mieux vivre se gagne, et se gagne avec peine. Une nation ne saurait grandir si personne n'ose. Certes le prix était élevé, mais qui le trouverait excessif, en dehors de ceux qui en ont fait l'appoint de leur cœur et de leur chair?
Il s'appelait Brownie Evans, il avait dix-sept ans et il partait pour l'oregon. Ces mains qui tenaient les rênes étaient ses mains, ce mécanisme d'os, ce mécanisme d'os, de nerfs et d'ongles cassés était fait pour obéir aux ordres de son cerveau, comme ces pieds dans leurs bottes Nelson, ces bras dans les manches de la chemise et ces jambes dans leur culotte de droguet. Dans sa poitrine et dans sa tête palpitait une vie secrète, une vie à lui tout seul, pétrie de pensées que personne n'avait sans doute jamais eues et de sensations que personne n'avait peut-être jamais éprouvées, tant elles étaient folles...
Non, pensa Summers, on n'aime pas recevoir moins que ce qu'on attendait, mais on est bien obligé de l'accepter et de le prendre. C'est sans doute là qu'est la grande leçon de la vie. S'attendre toujours à la moitié de ce que l'on espère.
Quoi qu'il en soit les femmes prenaient leur part, et plus que leur part, des soucis et des duretés du voyage. Elles faisaient la route avec courage, sur un plan d'égalité total avec les hommes, sans montrer de craintes, sans exiger de faveurs.
P. 357
Summers se secoua. Bon sang ! Si on ne se reprenait pas, on passerait la moitié de sa vie à regretter l'autre. À quoi bon se plaindre ? Ne vaut-il pas mieux tirer le meilleur parti de ce qui vous reste ?
Il reprit les rênes et rejoignit au galop le convoi.
P. 172
Conduire, patauger, tirer, pousser la roue, bouffer de la poussière, putain ! Bouffer de la boue... Tremper sa chemise et grelotter la nuit. Turbiner de l'aube au crépuscule, avancer !
Surveiller les bêtes, réparer le chariot, charger, décharger, recharger. Dormir comme une brute, malgré les roues qui continuent à vous tourner dans la tête. Se lever, recommencer, patauger, tirer, pousser... Putain de taons ! Putain de distance ! Putain de ravines, de rivières, d'arbres... En avant ! Hourra pour l'Oregon !
P. 85
Comme disait un jour son père, en lui racontant sa descente de l'Ohio sur une barge : "Il n'y a pas plus beau pays que celui qu'on a pas encore atteint."
P. 15
[...] ... Jour après jour, nuit après nuit, des petits fragments du passé s'assemblaient dans son esprit, comme les cristaux multicolores d'un kaléidoscope et que suffisait à susciter la vue d'une colline, la rencontre d'un ruisseau, un geste qu'il avait fait jadis et qu'il refaisait aujourd'hui. Faisait-il sécher de la viande ... il se revoyait un hiver cassant la croûte avec Jim et Boone, après une longue course entre la Powder et les Winds, et parlant de leurs chasses du printemps. Arrivait-il en haut d'un col ... qu'il revivait une journée tiède et douce, tout emplie de la floraison rouge et jaune des cactus, et il s'entendait dire : "Ils sont bien jolis, maintenant !" et il voyait le vieil Etienne Provot cracher sa chique pour répondre : "Sont un peu trop piquants pour mon goût !" Apercevait-il les Winds ... et il se rappelait la première fois qu'il les avait escaladées, stupéfait de tant de grandeur et se demandant s'il ne chevauchait pas le toit du monde ! ... Rencontrait-il la Green River ... et c'était son premier contact avec elle, le pullulement des castors, si nombreux qu'on eût pu les attraper à la main, et la joie enfantine des trappeurs devant leur stupéfiant tableau de chasse.
Il vivait à la fois dans le présent et dans le passé, bavardant avec les gens comme le vieux Weatherby, guidant le convoi, donnant des conseils, chassant et plaisantant avec Brownie ou Lije, cependant que les jours et les amis disparus ne quittaient point son esprit. "Summers ! Oh, Summers ! Espèce de sacré vieux raton ! Ben, y a un bail qu'on ne t'avait pas vu ! Comment ça va ? T'as pris du ventre, dis donc ! ..." Des voix familières l'appelaient du fond des années, des rires sonnaient à ses oreilles, des mains lui frappaient dans le dos ... "Ca vaut une année de chasse, de te revoir, vieille crapule ! Si t'as le gosier à sec, tiens, voilà du whisky ! ..." ... [...]