L’oseille n’a pas de couleur, c’est le meilleur rempart contre le racisme.
Les kilomètres et la mer suffisent à transformer les coutumes en souvenirs.
La langue de l’immigré, elle s’intègre toujours moins bien que lui.
« Pour marcher droit, il faut avoir la colonne vertébrale solide. Et à nous, il nous a manqué quelques vertèbres. Chacun à sa manière, on a compensé. Moi avec les voitures, le sbah, le teuteuh, le gazon, et le petit d’abord avec la tête dans les nuages et une main sur le Coran. J’ai jamais compris ni pourquoi ni comment il était parti. Un mec bien câblé du citron dirait qu’il avait tout : famille, copine, boulot, argent, avenir, et que c’était incompréhensible.
Pas de colonne vertébrale : ni vraiment français, ni vraiment syriens, ni vraiment autochtones, ni vraiment immigrés, ni chrétiens, ni musulmans. Des métèques sans savoir pourquoi on l’est. Mon père a pas raconté sa moitié de l’histoire, du coup il manque des épisodes et on imagine le reste. Quant à l’autre moitié de notre histoire, ceux qui pouvaient la raconter vivent loin de chez nous, là-bas en Bretagne. C’est la famille sans vraiment l’être. Je sais pas comment l’expliquer, mais impossible de se comprendre avec eux. Comment retrouver son chemin quand on sait pas d’où l’on vient ?"
Tu pouvais pas faire comme tout le monde. Te contenter de la prière du vendredi pour espérer mieux. Au quotidien, faire le bien avec ton métier, respecter l'essentiel.
Sinon, l'art pour l'art, tout le monde s'en balance. L'art, il faut déjà que ça vous mette un uppercut au premier coup d'oeil. Puis, quand vous analysez, vous découvrez tous les détails. Et là, vous concluez au chef-d'oeuvre.
La vie ? J’ai appris à la tutoyer en m’approchant de la mort. Je flirte avec l’une, en pensant à l’autre. Tout le temps, depuis que l’autre chien, mon sang, ma chair, mon frère, est parti loin, là-bas, sur la terre des fous et des cinglés. Là où pour une cigarette grillée, on te sabre la tête. En Terre Sainte. Dans le monde des gens normaux, on dit "en Syrie", avec une voix étouffée et le regard grave, comme si on parlait de l’enfer. Le départ du petit frère, ça a démoli le daron.
- La vie c'es comme café turc ou syrien ou grec, importe peu pas grave le nom.
La vie c'est comme café bled, d'accord ?...
...Pour réussir tout, tu dois doser choses. Puis surveiller, patiente, attondre... Tu enlever mousse une fois, tu faire mousser là deux fois, et tu partager. A la fin, tu bois tranquille café. Doucement là. Profiter. Café turc, c'est travail et patience, puis plaisir, apprécier les arômes. Tu comprends ? Comme la vie. Travailler puis plaisir, amuser. Très important. Tu comprends ?
Un fantôme. Enfui sans rien dire. Juste «t’inquiète». Et «t’inquiète», c’est justement ce qui me faisait m’inquiéter. À tourner en rond, je devenais dingue. Je tremblais. Je tutoyais le sombre.
L’air fuit ses poumons, secoue ses épaisses cordes vocales encroû- tées de tabac pour kidnapper du son, et ça remonte dans la gorge, trouve un chemin entre les aliments à peine mâchés, glisse sous la moustache, vole dans la pièce pour me boxer les tympans, le nerf réceptionne, transforme et conduit l’information là-haut, entre mon front et ma nuque.