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Critique de HordeDuContrevent


Hubert Haddad est un caméléon me semble-t-il, de style japonisant avec « le Peintre d'éventail », de style scientifico-philosophique dans « Corps désirable » et là, de style baroque avec son dernier roman « L'invention du diable ». Cet auteur, qui a reçu le grand Prix SGDL de littérature pour l'ensemble de son oeuvre, sait adopter le style qui sied à son thème, se réinventer, et cette façon de faire force l'admiration. J'imagine le travail important qu'il y a derrière chacun de ses livres, notamment en termes de préparation pour bien connaitre son sujet et pour le traiter de façon si originale. Les quelques livres lus de lui m'ont en effet étonnée tant le sujet est chaque fois abordé de façon surprenante. Il sort à chaque fois des sentiers battus de la littérature contemporaine et transcende son objet d'étude.

C'est bien un roman baroque à l'écriture ciselée qui caractérise son dernier livre. Hubert Haddad se base sur la vie du véritable Marc Papillon de Lasphrise, poète baroque satirique et érotique, né près d'Amboise vers 1555 et mort vers 1599, pour en faire un roman flirtant par moment avec le fantastique.

Après avoir connu l'amour et la guerre, après avoir flirté avec la mort, enfant, suite à une ruade violente à son encontre par une truie, il l'imagine pactisant avec le diable : tant que ses Poésies n'auront pas accédé à la prospérité, il ne connaitra pas de repos éternel. L'immortalité sera sa malédiction. Les multiples et courts chapitres du livre sont ensuite dédiés aux différentes péripéties que Papillon va rencontrer après l'année 1599, année réelle de sa mort, péripéties nous permettant d'appréhender l'Histoire de France car il va en effet traverser les époques depuis la fin du XVème Siècle jusqu'au milieu du XXème Siècle. Nous croisons des scènes médiévales d'exécutions publiques, d'obscures remèdes médicaux à base de saignées, des scènes sensuelles et cocasses de libertinage galant où les femmes « s'encadrent de vilaines mouches pour gagner par contraste en appâts », un enfermement dans la Bastille avec Le Marquis de Sade, Une rencontre surprenante avec Napoléon…jusqu'à la Gestapo dont il échappe de peu. A chaque période les écrits de Marc Papillon sont plus ou moins bien accueillis.
Chaque aventure n'est pas dénouée d'humour et de sensualité, à la recherche de femmes dont les senteurs de lait, d'encens et de musc lui rappellent d'anciennes émotions « qu'il avait cru dissoutes dans les acides du temps », à la recherche de son Inconnue idéale.

« Il y avait là, belle et blonde, couchée à demi sur un lit à baldaquin richement drapé de taffetas une dame encore jeune, dignement parée, en robe de réception, un sobre collier de diamants sur une gorgerette blanche, qui semblait à cet instant attendre les saints sacrements ».

Mais quel étonnement de la part des mignonnes lorsqu'elles s'aperçoivent que le doux Papillon, contrairement à elles, ne vieillit pas, tout immortel qu'il est :
« Sans que leur flamme eût pâli, des années plus tard, un dimanche matin submergé de soleil liquide, Elfida réveillée par une volée d'hirondelles surgies en criant dans la chambre, découvrir avec consternation sa nudité flétrie, la peau distendue de son ventre et de ses cuisses. Malgré une ferveur intacte, relevant le visage, elle se mordit le poing pour ne pas gémir d'effarement en constatant pour la première fois en vingt années de vie commune le corps immuable de son amant, pareillement musculeux et robuste, avec cette tournure candide qu'ont les ours ou certains moines ».

Oui, Hubert Haddad est un caméléon, car figurez-vous que le plus original et le plus audacieux dans ce livre, est qu'il adapte son écriture aux époques traversées. D'un style baroque au début du livre, nous passons peu à peu à un style contemporain. Un véritable tour de force !
De belles réflexions sur le rôle de la poésie et des poètes éclairent chaque chapitre mettant en valeur la puissance intemporelle de la littérature.

Original oui, énormément même…Mais, il y a un mais…Est-ce cette originalité qui est à la fois source de plaisir et source de troubles me concernant ?… je suis restée comme spectatrice, sur le chemin. Est-ce dû au style tellement travaillé et magnifique, style très particulier voire complexe (que de phrases lues et relues, que de mots cherchés dans le dictionnaire !), style évoluant au fil du livre ? Un style tellement à part que je me suis tenue quelque peu à distance du personnage et de l'histoire, focalisée sur l'écriture dont les tournures me réjouissais, perdant parfois les pédales dans la compréhension de l'histoire, n'arrivant pas à me concentrer, ne comprenant plus où j'en étais et devant faire un effort de mémoire pour savoir quel était déjà l'objectif de l'auteur. le style a fait de l'ombre à l'histoire. C'est étonnant, c'est exactement le même ressenti que j'avais eu pour Corps désirable ; une attirance et une curiosité pour le thème choisi (la transplantation d'une tête sur le corps d'un autre) tout en restant à distance (cette fois ci complètement à distance) de l'histoire et des personnages, m'en voulant presque de rester si froide et hermétique. C'est comme si, en ce qui me concerne en tout cas, le style d'écriture d'Hubert Haddad et son ingéniosité empêchait de me connecter totalement à la narration, comme si, en voulant trop bien faire, il noyait un peu son histoire…L'arbre qui cache la forêt en quelque sorte. le talent stylistique plus fort que le talent de conteur, l'écriture alambiquée et travaillée tel un orfèvre écrasant la narration ?

Ça n'en reste pas moins un beau livre, exigeant, original en période de rentrée littéraire, dont l'écriture à elle seule vaut le détour…celle-ci m'a en effet procuré beaucoup de plaisir, source d'une lecture qui se mérite il est vrai, mais dont le murmure à haute voix procure un immense bonheur tant elle est belle et ingénieuse. C'est de plus, un bel hommage à la littérature, aux poètes et à la poésie, à sa puissance et à sa force intemporelle. A son immortalité. Je regrette d'être passée ainsi à côté de l'histoire.

Un poème de Marc Papillon de Lasphrise pour clore ce retour mitigé en beauté, morceau tiré de ses Amours de Théophile, et pour vous donner un aperçu de ses poésies qui sont restées dans la postérité…est-ce dire que son âme, quelque part, est restée présent à toutes les époques et les a traversées ? Sans doute…

« Ton poil, ton oeil, ta main, crêpé, astré, polie,
Si blond, si bluettant, si blanche (alme beauté)
Noue, ard, touche, mes ans, mes sens, ma liberté,
Les plus chers, les plus prompts, la plus parfaite Amie,
Mais ce noeud, mais ce feu, mais ce trait gâte-vie,
Qui m'enlace, m'enflamme, et me navre arrêté,
Etreint, encendre, occit, avecques cruauté,
Quel cheveu, quel flambeau, quelle dextre ennemie ?
Phébus, Cypris, l'Aurore (Ange du plaisant jour)
Ton poète, ta Mère, et ta cousine Amour,
Porte-crins, porte-rais, porte-doigts agréables,
Puisses-tu donc beau poil, bel oeil, et belle main,
Lier, brûler, blesser, mon coeur, mon corps, mon sein,
De cordelles, d'ardeurs, de plaies amiables.

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