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EAN : 9791038701380
320 pages
Zulma (18/08/2022)
3.71/5   34 notes
Résumé :
Papillon de Lasphrise s'est retiré dans sa tour d'ivoire angevine. Après une existence dédiée à l'amour et à la guerre, le voilà tout entier habité par le démon de l'écriture. Au soir de sa vie, il pactise avec le diable : tant que ses Poésies n'auront pas accédé à la postérité, il ne connaîtra pas le repos éternel. L'immortalité sera sa malédiction.
Emporté dans une aventure aux multiples péripéties, Papillon traverse les époques, se fourvoie chez les Précie... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
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°°° Rentrée littéraire 2022 # 33 °°°

Qui connaît Marc Papillon de Lasphrise à part quelques amateurs de poésie baroque ? Poète-soldat contemporain de Ronsard, il combattit aux côtés des Ligueurs et des Guise durant les guerres de religion, un dur à cuire sur son cheval; avec son armure de près de cent kilos, il était envoyé briser les lignes adverses. Retraité de la soldatesque à 40 ans, retiré dans son fief de Touraine, couturé et balafré, perclus de rhumatisme, il décide de se consacrer à la publication définitive de sa poésie. Il est supposé mourir en 1599 mais pas de tombe, comme s'il s'était volatilisé.

Hubert Haddad ne propose pas un roman biographique conventionnel même s'il injecte dans la première partie de son récit le peu d'éléments biographiques dont on dispose sur Marc Papillon. Dans son dernier poème empli d'exaltation, celui-ci lance un pacte faustien au Diable : tant que sa poésie ne sera pas reconnue et célébrée, il ne mourra pas. L'écrivain prend au mot le poète et l'imagine immortel en quête de gloire errant à travers les temps.

A partir de la deuxième partie qui démarre en 1599 donc, Marc Papillon traverse les siècles et se confronte à l'Histoire de France et à ses grands événements mais de biais, par des anecdotes et des rencontres avec des personnages secondaires toujours savoureux, jusqu'à déborder notre époque dans un Paris de demain. La Révolution française, les guerres napoléoniennes, la Commune, les deux Guerres mondiales servent ainsi de décors à cet extraordinaire roman picaresque temporel. On se régale de la fantaisie de ce personnage sans cesse déphasé, devant s'adapter sans fin aux nouvelles réalités ( linguistiques, vestimentaires, scientifiques, technologiques ), se confrontant également aux milieux littéraires de chaque époque.

« Les décennies se succèdent à la vitesse de l'oubli et s'effacent dans un clignotement d'étoiles. »

A mesure que le récit avance, la fantaisie poétique se teinte d'une puissante réflexion sur le Temps et gagne en épaisseur en acquérant cette dimension philosophique. Marc Papillon devenu immortel devient une créature métaphysique confronté au tragique de l'existence humaine.

« Que valent jours, mois et années pour l'insensé qui, ajournant son Salut au profit d'une hypothétique gloire, se sera lui-même condamné à la survivance ? Marc Papillon, sieur de Lasphrise, empli de cette candeur phénoménale que partagent les soldats et les poètes, avait trop de morgue pour en convenir. de tout, fors l'orgueil, on admet l'emprise. »

Au fil des siècles, il ne cherche plus à jouer à la vie, il se dépouille de ses vanités, de ses aspirations initiales, de sa poésie même, jusqu'à n'espérer plus rien que l'amour, que retrouver sa « Nouvelle inconnue », cette femme aimée qu'il perd à chaque fois et retrouve sous un autre visage quelques décennies plus tard. L'immortalité n'est que mélancolie à apprivoiser.

« Papillon à cet instant de recueillement ne jouait plus à la vie ni même en proie à ce comble du divertissement qu'est l'ennui. Il pleurait à l'écoute de la pluie et du vent, de cette durée si ténue qu'une musique virtuose simulait au pli même du présent et de la mémoire. N'existe-t-il en ce monde que des parenthèses temporelles qui s'effacent à la suite les unes des autres comme des paysages entrevus ? Il n'avait rien oublié du soleil de Moissy, l'été, dans un vacarme d'insectes et de passereaux, ni des longues nuits d'hiver faussées par la clarté de neige des songes. Mais les visages adorés, éphémères reliquaires de l'âme, s'étaient défaits aussi vite que les nuages sous un ciel précipité. »

Dans cette odyssée fantastique, l'émotion ne naît pas nécessairement du sort tragique de Marc Papillon, le récit a quelque chose de actuellement glacé, le lecteur survolant le récit en surplomb sans être vraiment touché par les êtres du dessous. Mais l'émotion naît de la beauté de l'écriture, elle affleure en permanence au détour de phrases absolument sublimes. le regard subtil de l'auteur sur la complexité humaine fusionne avec une écriture à la fois flamboyante et précieuse, éclatante par la richesse de son vocabulaire ( c'est bien d'avoir un dictionnaire à proximité, j'ai ainsi découvert de très beaux mots ).

« Prêt de rendre l'âme, il avait mis celle-ci aux enchères ; mais quel était l'enjeu véritable ? Il avait vu s'effacer comme buée ses contemporains jeunes et vieux, tant d'amis chers et d'amours impérissables. le monde humain pour lui était une serre à papillons ; les plus belles parures ocellées d'un jour ou d'une nuit voletaient autour de ses mains vides et de son visage. »

Une proposition littéraire rare et exigeante, portée par un talent de conteur évident.
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Hubert Haddad est un caméléon me semble-t-il, de style japonisant avec « le Peintre d'éventail », de style scientifico-philosophique dans « Corps désirable » et là, de style baroque avec son dernier roman « L'invention du diable ». Cet auteur, qui a reçu le grand Prix SGDL de littérature pour l'ensemble de son oeuvre, sait adopter le style qui sied à son thème, se réinventer, et cette façon de faire force l'admiration. J'imagine le travail important qu'il y a derrière chacun de ses livres, notamment en termes de préparation pour bien connaitre son sujet et pour le traiter de façon si originale. Les quelques livres lus de lui m'ont en effet étonnée tant le sujet est chaque fois abordé de façon surprenante. Il sort à chaque fois des sentiers battus de la littérature contemporaine et transcende son objet d'étude.

C'est bien un roman baroque à l'écriture ciselée qui caractérise son dernier livre. Hubert Haddad se base sur la vie du véritable Marc Papillon de Lasphrise, poète baroque satirique et érotique, né près d'Amboise vers 1555 et mort vers 1599, pour en faire un roman flirtant par moment avec le fantastique.

Après avoir connu l'amour et la guerre, après avoir flirté avec la mort, enfant, suite à une ruade violente à son encontre par une truie, il l'imagine pactisant avec le diable : tant que ses Poésies n'auront pas accédé à la prospérité, il ne connaitra pas de repos éternel. L'immortalité sera sa malédiction. Les multiples et courts chapitres du livre sont ensuite dédiés aux différentes péripéties que Papillon va rencontrer après l'année 1599, année réelle de sa mort, péripéties nous permettant d'appréhender l'Histoire de France car il va en effet traverser les époques depuis la fin du XVème Siècle jusqu'au milieu du XXème Siècle. Nous croisons des scènes médiévales d'exécutions publiques, d'obscures remèdes médicaux à base de saignées, des scènes sensuelles et cocasses de libertinage galant où les femmes « s'encadrent de vilaines mouches pour gagner par contraste en appâts », un enfermement dans la Bastille avec Le Marquis de Sade, Une rencontre surprenante avec Napoléon…jusqu'à la Gestapo dont il échappe de peu. A chaque période les écrits de Marc Papillon sont plus ou moins bien accueillis.
Chaque aventure n'est pas dénouée d'humour et de sensualité, à la recherche de femmes dont les senteurs de lait, d'encens et de musc lui rappellent d'anciennes émotions « qu'il avait cru dissoutes dans les acides du temps », à la recherche de son Inconnue idéale.

« Il y avait là, belle et blonde, couchée à demi sur un lit à baldaquin richement drapé de taffetas une dame encore jeune, dignement parée, en robe de réception, un sobre collier de diamants sur une gorgerette blanche, qui semblait à cet instant attendre les saints sacrements ».

Mais quel étonnement de la part des mignonnes lorsqu'elles s'aperçoivent que le doux Papillon, contrairement à elles, ne vieillit pas, tout immortel qu'il est :
« Sans que leur flamme eût pâli, des années plus tard, un dimanche matin submergé de soleil liquide, Elfida réveillée par une volée d'hirondelles surgies en criant dans la chambre, découvrir avec consternation sa nudité flétrie, la peau distendue de son ventre et de ses cuisses. Malgré une ferveur intacte, relevant le visage, elle se mordit le poing pour ne pas gémir d'effarement en constatant pour la première fois en vingt années de vie commune le corps immuable de son amant, pareillement musculeux et robuste, avec cette tournure candide qu'ont les ours ou certains moines ».

Oui, Hubert Haddad est un caméléon, car figurez-vous que le plus original et le plus audacieux dans ce livre, est qu'il adapte son écriture aux époques traversées. D'un style baroque au début du livre, nous passons peu à peu à un style contemporain. Un véritable tour de force !
De belles réflexions sur le rôle de la poésie et des poètes éclairent chaque chapitre mettant en valeur la puissance intemporelle de la littérature.

Original oui, énormément même…Mais, il y a un mais…Est-ce cette originalité qui est à la fois source de plaisir et source de troubles me concernant ?… je suis restée comme spectatrice, sur le chemin. Est-ce dû au style tellement travaillé et magnifique, style très particulier voire complexe (que de phrases lues et relues, que de mots cherchés dans le dictionnaire !), style évoluant au fil du livre ? Un style tellement à part que je me suis tenue quelque peu à distance du personnage et de l'histoire, focalisée sur l'écriture dont les tournures me réjouissais, perdant parfois les pédales dans la compréhension de l'histoire, n'arrivant pas à me concentrer, ne comprenant plus où j'en étais et devant faire un effort de mémoire pour savoir quel était déjà l'objectif de l'auteur. le style a fait de l'ombre à l'histoire. C'est étonnant, c'est exactement le même ressenti que j'avais eu pour Corps désirable ; une attirance et une curiosité pour le thème choisi (la transplantation d'une tête sur le corps d'un autre) tout en restant à distance (cette fois ci complètement à distance) de l'histoire et des personnages, m'en voulant presque de rester si froide et hermétique. C'est comme si, en ce qui me concerne en tout cas, le style d'écriture d'Hubert Haddad et son ingéniosité empêchait de me connecter totalement à la narration, comme si, en voulant trop bien faire, il noyait un peu son histoire…L'arbre qui cache la forêt en quelque sorte. le talent stylistique plus fort que le talent de conteur, l'écriture alambiquée et travaillée tel un orfèvre écrasant la narration ?

Ça n'en reste pas moins un beau livre, exigeant, original en période de rentrée littéraire, dont l'écriture à elle seule vaut le détour…celle-ci m'a en effet procuré beaucoup de plaisir, source d'une lecture qui se mérite il est vrai, mais dont le murmure à haute voix procure un immense bonheur tant elle est belle et ingénieuse. C'est de plus, un bel hommage à la littérature, aux poètes et à la poésie, à sa puissance et à sa force intemporelle. A son immortalité. Je regrette d'être passée ainsi à côté de l'histoire.

Un poème de Marc Papillon de Lasphrise pour clore ce retour mitigé en beauté, morceau tiré de ses Amours de Théophile, et pour vous donner un aperçu de ses poésies qui sont restées dans la postérité…est-ce dire que son âme, quelque part, est restée présent à toutes les époques et les a traversées ? Sans doute…

« Ton poil, ton oeil, ta main, crêpé, astré, polie,
Si blond, si bluettant, si blanche (alme beauté)
Noue, ard, touche, mes ans, mes sens, ma liberté,
Les plus chers, les plus prompts, la plus parfaite Amie,
Mais ce noeud, mais ce feu, mais ce trait gâte-vie,
Qui m'enlace, m'enflamme, et me navre arrêté,
Etreint, encendre, occit, avecques cruauté,
Quel cheveu, quel flambeau, quelle dextre ennemie ?
Phébus, Cypris, l'Aurore (Ange du plaisant jour)
Ton poète, ta Mère, et ta cousine Amour,
Porte-crins, porte-rais, porte-doigts agréables,
Puisses-tu donc beau poil, bel oeil, et belle main,
Lier, brûler, blesser, mon coeur, mon corps, mon sein,
De cordelles, d'ardeurs, de plaies amiables.

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L'invention du diable – Hubert Haddad*****
lecture en mars 2023

« Un jour le ciel était superbement ému » et salua bien bas la beauté inouïe d'une plume dont le soleil se vit jaloux et la lune dut avouer que la lumière volée dont elle se paraît trouva son « heure vacillante », et les longues heures de lecture franchirent les « limites instables où s'agitent les chimères », où l'illusion côtoie le rêve, s'empare de la réalité, du quand, pourquoi et comment et les met courtoisement à l'écoute de la musique des mots racontant une histoire hors du temps, de tous les temps, hors de l'espace en pérégrination libre, sans encombre au-delà des mers, époques, lieux.
Marc Papillon, sieur de Lasphrise « ou tout bonnement le capitaine Lasphrise » est « le dernier immortel », un pacte avec le Malin ? Il est poète, Papillon, célèbre inconnu il cherche la reconnaissance pour la postérité, sans quoi pas de repos éternel, mais une immortalité damnée.
Papillon immortel, damné de ne jamais se reposer, le repos éternel, tant que sa poésie n'aura trouvé la postérité ; p.169 « sa malédiction était d'avoir à perpétuer sans plus y croire la vaine illusion des poètes tandis que la Dame au Renom se riait de lui sous les apparences facétieuses d'Icélos ou de Morphée », sans trop y croire et pourtant il n'abandonne pas il s'y tient jusqu'à la fin.
La damnation, celle de l'enfer, le royaume du diable, celui dont certains ont peur car il surprend toujours. Et si la poésie était le diable c'est bien d'en être surpris sans fin et de l'aimer pour cela en premier, elle durera bien plus longtemps que nous les humains.
Marc Papillon un Don Quichotte de rêves et de mémoire et d'une certaine gloire plutôt secrète, un Cyrano de poésie et amour à jamais perdu, Papillon poète fantasque fait un pacte, avec le diable pour la reconnaissance de ses Diverses Poésies.
En permanence dans la surprise, la poésie n'a pas fini de nous surprendre, de nous émerveiller, l'histoire est fantastique et la langue qui l'habille aussi, d'une richesse infinie, une mantille précieuse digne des plus grandes dentellières ou des magiciens les plus étonnants.
Hubert Haddad travaille avec des « éléments en creux », selon ses propres mots, il sait où il va et tout en faisant voyager à travers les siècles son sieur Papillon, interroge le temps et l'histoire sans finalement arriver à une réponse. Papillon meurt plusieurs fois et renaît autant de fois, la mort n'est pas assez puissante pour l'annihiler, il se confronte à l'histoire c'est à dire à la sans fin, car l'histoire n'a pas de fin, il se surprend et nous surprend, belle métaphore de la poésie qui nous demande, à sa façon, de la revisiter, immortelle comme la littérature.
«prodigue compagne à tout instant volage, l'âme des poètes et des grandes amoureuses. On pouvait certes y croire entre deux perditions de diable logicien, à la condition… "que l'on n'ajoute pas foi à ce que dit la Raison, cette pauvrette, cette dégoûtée » »  p.170
Le roman de Hubert Haddad est comme un cadeau, une offrande de grande qualité littéraire, précieuse car très rare, un voyage sur les terres des mots qui font la littérature.
Imaginatif jusqu'à l'émerveillement, inventif jusqu'à l'époustouflante surprise, d'une richesse prodigieuses et d'une qualité musicale rare, le texte de L'invention du diable donne libre cours à la liberté de création, à repousser les contraintes logiques pour donner naissance à une oeuvre littéraire accueillant le fantastique, donc la vie, n'est-elle pas fantastique ?, pied de nez gracieux à la mort qui fait partie de la vie tout en lui reconnaissant sa qualité : elle nous fait découvrir le tragique sans désespoir et une liberté certaine, souvent mal interprétée, celle qui fait notre condition humaine en perpétuel mouvement et changement, en création et métamorphose constantes, en pouvoir d'adaptation, élancée vers aspirations de beauté inatteignable « le temps n'a de réalité qu'en son irrépressible franchissement, il est l'esprit du mouvement, la chute et l'élévation »p.154, et un bonheur défini par la bouche de la mourante Pulchelle : « Le bonheur est chez toi que toujours tu désires/Et le bonheur chez toi te désire toujours. »
« pourquoi la mort avait un goût de miel sauvage » ? p.154
Dans sa traversée des siècles, le capitaine Papillon, guerrier à la retraite, se confronte au temps, le grand inconnu, cet infini qui définit notre finitude, l'interroge et attend ses réponses qui arrivent en énigmes, expressions du vivant, fait des rencontres, apparaît et disparaît, perd son chemin pour s'y retrouver à nouveau. le temps est facétieux et la vie nous joue des tours, bons et mauvais, elle nous laisse comprendre quelque chose, très peu, mais « être au monde c'est fantastique en soi », nous dit Hubert Haddad, et je continue à le citer « tout ce qui fait l'humain, le langage lui-même est la conscience de la disparition qui nous porte à nommer l'absence en permanence – parce que l'absence est là, nous sommes faits d'absence, l'univers qui nous porte, on doit l'interroger sans fin pour pas oublier, pour garder mémoire ».
Marc Papillon se questionne et questionne le temps, l'humain et son passage entre deux points,  « aux limites instables où s'agitent les chimères »   p.71. « Il aimait plus que tout cette attente face au ciel, le vertige silencieux, l'éclat toujours neuf de l'éternité… Papillon eût désiré s'étonner encore des crédules mystères humains qui s'encombrent de fétiches et d'idoles, des plus incohérentes superstitions à petite ou grande échelle. » p.152
« la corne d'abondance du rêve fut et demeurait sa seule aubaine »p.75 même si « tout est submersion et noyade à l'estuaire où vont se mêler les rêves à la mémoire »p.101
« Mais où est-elle sa Nouvelle Inconnue ? », sa Dame au Renom, « Tout l'en approche et l'en éloigne avec la lune pour seule lanterne. »p.247
Enchanteresse magique surprenante métaphorique subtile et riche à l'infini, exigeante et travaillée, sorcière à mille facettes, sphinx à devinettes sans réponses, la plume de Hubert Haddad m'a émerveillée, délectée, accompagnée sur le chemin de l'histoire du début à la fin, j'oubliais de suivre les aventures séculaires de Papillon et m'accrochais extasiée à l'écriture, à l'imaginaire, à la beauté finement ciselée et à l'intelligence du texte.
«Les décennies se succèdent à la vitesse de l'oubli et s'effacent dans un clignotement d'étoiles. Veille, sommeil, mémoire se distinguent mal de l'immobile seconde »p.156, « les mots changent avec les moeurs et on délaisse au tombeau les passions d'autrefois » p.163, tout change tout est mouvement, métamorphose et transformation.
Une mort apporte une renaissance, un oubli une mémoire, un poète fait revivre son confrère, quand le monde que nous vivons n'est plus le sien et change si vite, un poète reste éternel et nous surprendra toujours « sa divine magie, ou la plus démoniaque... feront si bien corps avec l'ingrate réalité »p.222.
Inventé,
"Le Démon, dans ma chambre haute,
Ce matin est venu me voir…"p.240
et me raconta une histoire imaginée de 1001 vérités.
« Tout est magie, ou rien » Novalis p.282
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Et si les Beatles n'étaient pas nés ? se demande Pierre Bayard. Peut-être écouterions-nous les Kinks en nous pâmant. L'uchronie, expliquait-il sur France Culture, nous oblige à réfléchir sur nos goûts : dans l'infini des possibles, il existe un monde où c'est Anatole France et non Marcel Proust qui est considéré comme le grand écrivain national.
(Parenthèse digressive : c'est marrant, imaginer un univers sans Michel Houellebecq ne me procure aucune angoisse particulière)
Bref, la postérité tient à bien peu de choses et le génie ne saurait l'expliquer à lui seul.
Ainsi, nous vivons dans un monde où Marc Papillon, seigneur de Lasphrise, auteur des « Amours de Théophile » et de « L'Amour passionnée de Noémie », est parfaitement inconnu, au grand dam de Marcel Coulon qui tenta de comprendre pourquoi celui qu'il considèrait comme « le chantre de l'amour sensuel le plus talentueux de la Renaissance » laissa si peu de traces dans les anthologies. Vous me direz que Marcel Coulon n'est lui-même pas très gâté par les trompettes de la renommée, mais il existe bien des gens qui croit de bonne foi que Molière est une grosse dent du fond, alors relativisons.
Donc, Coulon préfèrait Ronsard à Lasphrise mais Lasphrise à Du Bellay. Et Jacques Roubaud récite, fort bien ma foi, sur YouTube, le Sonnet en langue inconnue. Finalement, le XX°, puis le XXI° ne sont pas si oublieux du poète angevin.
Mais c'est Hubert Haddad qui enfonce le dernier clou dans le cercueil de Papillon en inventant le plus excitant des paradoxes : en faisant de lui le héros de son roman, en rendant justice au poète-soldat, il fait mourir celui qui avait décidé de rester en vie tant que ses oeuvres ne le rendraient pas immortel.
On sait qu'il s'agit là d'un des marronniers de la poésie ronsardienne : Quand vous serez bien vieille, le soir à la chandelle, vous serez bien contente de demeurer belle à jamais grâce aux vers que je m'en vais écrire séance tenante dès que vous aurez eu l'amabilité de passer à la casserole.
Lasphrise, lui, plus humble, plus émouvant, s'adresse à son livre qui s'en va vivre sa vie sans lui :
Tu rebanderas bien les insolents brocards ;
Courage, après ma nuit nous survivrons gaillards,
Et ceux qui nous blâmaient chanteront nos louanges.
Alors, oui, je chante les louanges du poète oublié, plus sans doute que je ne chante celles de son biographe : car si le corps de Papillon traverse les siècles, les siècles se refusent à lui. Passée une délicieuse rencontre dans la ruelle d'une Précieuse, Papillon de Lasphrise glisse comme un fantôme fatigué, ignorant tout des époques et de leurs écrivains. le lecteur fasciné finit par tomber lui aussi dans une langueur ennuyée qui, si elle convient au sujet, n'est pas sans provoquer de légers mais distingués bâillements.
Mais voilà la dernière page tournée, le livre refermé, et, comme le poète l'avait prévu, avec ou sans magie noire :
[…] comme oeuvre admiré que dignement on prise,
Dedans son cabinet curieux te mettra ;
Au rang des demy-dieux on te reconnoistra.
Ainsi entre les grands tu paroistras, LASPHRISE.
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Voici un ouvrage très original au style assez singulier que l'on croise rarement dans le cadre d'une rentrée littéraire.

Dans son dernier roman, Hubert Haddad rend ici un bel hommage au poète du XVIème siècle Marc Papillon de Lasphrise et lui offre la vie éternelle après avoir passé un pacte avec le diable tant que son oeuvre n'aura pas connu le succès et la reconnaissance de tous.
Ce poète qui a échappé dans sa jeunesse d'une mort certaine après avoir été renversé par une truie va au cours des siècles faire de nombreuses rencontres qui le marqueront à jamais...

La lecture de ce roman baroque se mérite. "L'invention du diable"est un très beau texte qui a la particularité d'être très riche. Finalement j'ai mis beaucoup de temps à le lire car il demande une grande concentration du fait de ses longues phrases comportant de nombreuses descriptions. En faisant le choix d'espacer ma lecture entre chaque chapitre j'ai mieux apprécié la plume très poétique d'Hubert Haddad qui nous offre ici un beau voyage dans L Histoire française...
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Délectable, sur la pierre de tuffeau des façades, du pigeonnier, d'une tourelle d'angle et des balustres entre jardins et terrasse, la lumière de juillet ruisselait, teintée d'un indécidable vermeil azuré au plus intime du faux relief des ombres et sur les délicats filigranes d'horizons des collines, par-delà le feuilletage ocré des prairies. Derrière les rideaux de peupliers géants qui balancent leurs nuques songeuses et les haies vives palpitant de mille essaims d'abeilles, s'étendaient les coteaux bouclés des vignes angevines et les forêts d'où jaillissent, comme la fumée d'une charbonnerie battue par le vent, d'immenses remuées d'étourneaux et de freux.
(incipit)
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Tout le monde somnolait à cette heure, bêtes et gens, dans un chuchotis d'insectes et de fontaines. Seule alerte, une jeune paysanne assise à l'ombre de la tourelle d'angle de la gentilhommière veillait d'un œil sur le plus jeune rejeton des maîtres. Ce dernier, occupé à se distraire de l'indifférence générale, malmenait une tortue, cherchant à faire sortir la tête de lézard de cet étrange galet de cuir. A l'âge de quatre ans, on expérimente sans désemparer les hypothèses mystérieuses de tout ce qui, tour à tour, se dissimule et s'expose, de la présence et de la disparition, de la vie et de la mort.
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Ses yeux suivirent l'élévation d'une feuille de charme ou de hêtre très haut par-dessus les toits d'ardoise et les ramures. Est-elle déjà morte ou encore vive, la feuille qui se détache de l'arbre et vole au vent ? Mais à la perdre de vue on l'oublie aussitôt, visage au ciel, seul théâtre éternel que les mortels, le regard noyé dans les nuages, n'auront cessé de contempler depuis la Genèse et pour la fin des temps.
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L'enfer sur terre se recommandait de Dieu ! Il se dit que même le diable n'avait de prise sur la férocité des hommes.
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Dans son état, une seule chose l'explique: rien de la réalité ne subsiste vraiment, le passé ne se détache plus clairement du présent et s'égare à la moindre distraction dans les culs de basse fosse de la mémoire. Il lui semblerait même, malgré son incurable insomnie, ses veilles d'étoile ou de volcan, qu'il n'ait pas entièrement perdu la faculté de rêver, d'ouvrir l'armoire des morts et d'errer d'un temps à l'autre comme un immortel ivre.
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Vidéo de Hubert Haddad
Avec Katerina Apostolopoulou, Caroline Boidé, Bruno Doucey, Mohammed El Amraoui, Hubert Haddad, Marie Pavlenko & Murielle Szac Accompagnés par le musicien Issa Hassan
Prenez le mot Grâce. Soupesez-le pour en estimer la richesse de sens. Puis déployez-le, en éventail, de manière à faire apparaître ses innombrables significations. Qu'y a-t-il au-delà de ce don accordé, de cette faveur ou non divine ? Un état, un moment, l'extase. Une supplique, une embellie, d'autres extases encore. Sans oublier ces vies que l'on épargne, ce coup souvent fatal, ces inquiétudes et cet accueil, le consentement ou le refus. Les uns disent « Grâce à Dieu », tandis que d'autres ne croient qu'en la chaleur d'une main dans la leur. Mais de textes en textes, de mots d'amour en chants des morts, de cimes en abîmes, les 118 poètes de cette anthologie entonnent sans relâche la grande partition de la vie. Et s'ils viennent de tous les horizons – si elles viennent, car plus de la moitié sont des femmes –, c'est pour dire d'une voix multiple et une : Gracias a la vida !
À lire – Grâce… Livre des heures poétiques, Anthologie établie par Thierry Renard & Bruno Doucey, éd. Bruno Doucey, 2024.
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